Sciences dures vs sciences humaines : le match !
Discussion entre chercheurs en sciences sociales se préparant à couvrir, à leur manière, les dernières municipales : « Faudra pas oublier de faire du quantitatif, un peu de chiffre, quoi ! » L’approbation, quoique molle, se veut générale. Mais, chez ces chercheurs qui s’apprêtent à suivre sur le terrain militants, fonctionnaires et autres responsables politiques, ça soupire. Une illustration du fossé qui sépare encore les sciences « dures » ou « exactes » et celles humaines, sociales…
Une séparation que l’épistémologue Éric Audureau date du « XVIIème siècle. Avant, l’unité du savoir, de la culture, ça allait de soi. Galilée était critique d’art, Descartes a écrit un opéra… Mais avec les Lumières se sont constituées les disciplines universitaires. Et cette spécialisation s’est accentuée au XIXème. A contrario, la licence sciences et humanités veut aller à contre courant de cette fragmentation des savoirs ».
Aix-Marseille Université abrite juste à côté de la gare Saint-Charles une formation « pas pareille » parce que transdisciplinaire, mêlant sciences « dures » et sciences humaines. Une formation au sein de laquelle le Ravi est intervenu deux ans de suite, en 2015 et 2016, pour des ateliers de « journalisme participatif » (cf le Ravi n°129 & 141)
Comme le rappelle Éric Audureau – qui y a participé et consacré un ouvrage (1) – « Piaget disait que mémoire et intelligence sont liées. Or, à l’heure où tout est fait pour nous rendre amnésique, il nous a semblé important de réintroduire une dimension historique pour comprendre ce que sont les sciences. Rappeler que l’astronomie est née de l’astrologie. Ou que, depuis que Dieu a disparu, on a rarement autant parlé de cosmologie ». Et d’ajouter : « Il est stupéfiant de voir à quel point les littéraires ont une ignorance des sciences exactes. Alors que l’inverse n’est pas vrai. Si la licence a vu le jour, c’est notamment parti de scientifiques qui avaient des doutes quant à l’évolution de leur métier. »
« Les sciences dures rapportent plus… »
À l’origine, on trouve le physicien Gaëtan Hagel qui rappelle, lui, qu’il y a « des disciplines qui sont à cheval entre les différents univers. Par exemple, la biologie ». Et indique que « les parcours des étudiants qui sont passés par la licence sont très disparates. On en a même un qui est allé faire du management ! On essaye de leur apprendre à réfléchir et voilà… »
Plus sérieusement, sur la frontière entre sciences dures et humaines, il estime que, « s’il y a encore une chose qui résiste, c’est du côté de l’approche pédagogique. En sciences, on fait ses gammes, on répète. Alors qu’en sciences humaines, les étudiants ont du temps libre pour lire et travailler par eux-mêmes. Résultat ? Le temps libre se retrouve vite rempli par… le travail scientifique ! »
Et difficile de nier la différence de moyens avec, par exemple, ses collègues philosophes : « Nous, en physique, on est 200. Eux sont beaucoup moins nombreux. Ils sont donc saturés. Et peuvent consacrer moins de temps que nous à la licence. » Autre point à prendre en compte ? Le fait qu’au nom des frais de gestion, la faculté touche un pourcentage sur les projets de recherche : « Nous, on gère des projets qui se chiffrent en centaines de milliers d’euros. Alors qu’en sciences humaines, les budgets ne sont que de quelques milliers d’euros. Les sciences dures rapportent plus à la fac que les sciences humaines… »
Gaëtan Hagel se souvient que, « dans les années 90, avec le chômage de masse, on a vu beaucoup de monde s’inscrire dans les filières scientifiques. Avec le non-remplacement des départs, sauf ceux à la retraite, cela a figé la situation ». Éric Audureau rappelle, lui que « la licence est aussi née en réaction à la mise en place de la LRU, cette réforme sur l’autonomie des universités. Il a fallu trois ans pour la mettre en place. Alors qu’il est évident que la division des savoirs est un obstacle à la connaissance ! Cette licence est donc éminemment politique puisqu’elle vise à refonder l’université. Qui, aujourd’hui, n’est qu’un dispositif pour faire baisser les chiffres du chômage. »
Et de conclure : « À ses débuts, la licence a bénéficié du “label d’excellence”. Et cela a fait débat. Parce que cela permettait d’avoir des moyens. Mais, moi, j’étais contre. Car cela validait qu’il y a d’un côté l’excellence. Et de l’autre, le prolétariat universitaire? » Sciences sans conscience…
1. Sciences et Humanités, « décloisonner les savoirs pour reconstruire l’université », dirigé par Éric Audureau, PUP, 2019, 280 pages, 17 euros.