Le grand « Raoult » de la science politique !
Ah ! Marseille : la Bonne Mère, le Vélodrome et Didier Raoult ! Le directeur de l’IHU, on se l’arrache ! Souvenirs le 27 août : la maire écolo Michèle Rubirola et sa rivale LR de la Métropole Martine Vassal parlant d’une même voix aux côtés du controversé professeur le jour de la venue du ministre de la Santé. Et quand l’ordre des médecins s’en prend à celui qui a soigné toute la droite de Marseille à Nice, le patron LR de la Région Renaud Muselier vient à sa rescousse avec son diplôme de docteur. Grimace d’un prof à Saint-Charles : « Ce n’est ni de la science ni de la politique, c’est de la démagogie ! » Maugréant : « Qu’est-ce que Rubirola est allée faire là ? » Et une chercheuse à Luminy de refuser de parler de Raoult, « le Trump de la science » : « Il est trop politique ! » Ses connexions le sont indubitablement. A l’IHU siègent Muselier, Douste-Blazy (ex-UDF, ex-UMP)… Son chargé de com, Yanis Roussel, est suppléant de Cathy Racon-Bouzon, la députée LREM. Ses soutiens vont de Mélenchon (LFI) à Stéphane Ravier (RN). Et Raoult, lui, ironise : « Si je devais faire de la politique j’en aurais fait. Et ce serait une insulte de penser que je pourrais [en] faire car ça voudrait dire que je ne fais pas bien mon métier. » (1)
Que dire alors d’Yvon Berland, ex-patron d’Aix-Marseille Université, devenu aux municipales « héraut » phocéen de la macronie ? Du doyen de la fac de droit Jean-Philippe Agresti qui, faute d’investiture à LREM, a fini chez Vassal ? Ou de leur collègue Marc Péna qui a pris la tête de la gauche aixoise ? Sinon que cette reconversion n’est pas sans risque. Rire d’un prof à la retraite : « On l’a échappé belle ! Quand on voit ce que Berland a fait à la fac, imaginez ce que serait devenue Marseille ! » La question est sensible. Même pour le vauclusien Jean Viard : « On a tous des opinions et la neutralité est un leurre. Mais, quand j’ai été élu à Marseille, j’ai mis mes activités scientifiques en sourdine. Car dès qu’on a un mandat, on est disqualifié », souligne le sociologue, éditeur, passé du PS à LREM.
Autorité et polémique
Quand le sociologue Cesare Mattina qualifie de « presse de caniveau » l’article dans Capital selon lequel Rubirola aurait fait campagne en arrêt-maladie, son auteur, Olivier Jourdan-Roulot, bondit : « Vous faites quoi, comme métier, militant ou scientifique ? » Réponse de Mattina : « Je réagissais en citoyen. Même si on ne peut être totalement neutre – rien que dans le choix des sujets – je me méfie du militantisme chez les scientifiques. La sociologie, c’est comprendre la motivation des acteurs sociaux. Avec un point de vue militant, vous faites le même boulot qu’un journaliste engagé. »
Pour le spécialiste des questions de sécurité Laurent Mucchielli, « la science a toujours eu du mal à se séparer des grandes idéologies. La religion, le capitalisme, le marxisme… Comme il n’y en a plus, l’époque se veut plus apaisée ». À voir. Car, avec 35 chercheurs, il est à l’origine de la tribune « Nous ne voulons plus être gouvernés par la peur ». Et a pris le parti de Raoult : « Je n’ai pas plus de sympathie pour les anti que pour les pro. Avec lui, la problématique, ce n’est pas la science face à la politique mais face à l’industrie. Et même la finance. Avec, derrière, des conflits d’intérêt évidents ! Mais le débat est impossible. Il a suffi de brandir ses liens avec la droite, Trump, pour le disqualifier. J’en ai fait l’expérience. »
Lui qui fustige vidéosurveillance et discours sécuritaire a pourtant l’habitude de la polémique. Comme face au « criminologue » Alain Bauer qui a « cherché dans le champ académique la reconnaissance pour avoir appuis politiques et financiers ». Mais Mucchielli qui a réalisé pour plusieurs municipalités des « diagnostics de sécurité » n’est pas tendre avec les élus : « Je n’ai travaillé qu’avec ceux qui nous ont sollicité. En général, ils lisent peu et ne connaissent pas notre travail. Ils passent d’une réunion à une inauguration. Quand ils font faire une étude, les résultats – surtout quand ils ne conviennent pas – leur importent peu. »
Interrogé sur les liens entre science et politique, Benoît Payan, le 1er adjoint (PS) de Marseille, botte en touche : « Je constate que ça se querelle même chez les scientifiques. Ça me rappelle des jeux d’appareils politiques dont je veux me tenir éloigné le plus possible ! » C’est au contraire le terrain du sociologue Émilien Schulz. Qui travaille entre autres sur le conseil scientifique créé pour gérer la crise sanitaire : « Entre politique et science, il y a toujours eu des liens. Le conseil scientifique est en soi très politique. C’est le gouvernement qui l’a mis en place et qui communique. » Et d’ajouter : « La figure du “scientifique”, c’est déjà un travail politique. Raoult, comme d’autres, a de multiples casquettes. La “pureté” est donc toute relative. Mais la science est synonyme d’autorité. Ce qui permet de peser dans des domaines éloignés des siens. »
« La “pureté” est donc toute relative »
Pour lui, derrière la « personnalisation », se pose la question du « financement de la recherche ». Mais aussi des enjeux politiques ou médiatiques : « La controverse scientifique est régie par des règles. On n’attaque pas les personnes, les échanges sont apaisés… Mais, dans les médias ou en politique, les logiques sont tout autres. On insiste sur les moments de clash. Certains arguments en deviennent inaudibles. » A quoi s’ajoute « la faible culture scientifique des politiques. Angela Merkel est docteure en chimie. En France, il n’y a que 20-30 parlementaires avec un cursus scientifique ».
Médecin généticien dans les quartiers nord, Annie Lévy-Mozziconacci connaît les deux univers puisque, sympathisante LREM, elle a été élue PS : « La politique permet de saisir la dimension collective. Quand on est médecin, l’approche est individuelle. On est centré sur le patient. Élue, je me suis rendue compte de l’importance des facteurs environnementaux. J’ai quitté ma tour d’ivoire. Ce qui demande de sortir de son pré-carré. Hélas, scientifiques et politiques se rencontrent rarement et ne parlent pas la même langue. »
Classico Paris-Marseille
Et d’insister sur la dimension « collective et territoriale. Comme quand j’ai accepté, face au Covid, de mettre mon labo à disposition. À condition que les quartiers nord en profitent ». Mais, nous dit celle qui veut mettre en place des « logements alternatifs pour les malades », « on passe vite pour l’empêcheur de tourner en rond ». Ou celle qui veut retrouver une aura : « On a des clusters et on ramène tout aux municipales ! Autant laisser tomber. De toute manière, je ne suis plus élue. » Tout en glissant qu’elle a proposé à Rubirola la « mise en place d’un comité de vigilance Covid. En vain. »
Pourtant d’après le spécialiste du Covid Bruno Canard, « on a besoin de scientifiques qui chuchotent à l’oreille des politiques. Mais on a droit qu’à la portion congrue ». Et le classico « Paris-Marseille » prend toute la place : « C’est l’explication pour ne pas aller plus loin », tacle Schulz. Viard rigole : « Heureusement que l’OM a battu le PSG sinon ça pourrait être plus violent ! Mais avant d’intégrer le CNRS à Paris, je n’avais aucune attention des médias ! » En ce moment, tout le monde se lâche. Politiques, médecins, scientifiques. Sourire de Mattina : « Quand toute ta vie tu as été impeccable, tu peux te permettre. » Après tout, Julien Ravier, le maire marseillais du 11/12 émarge, en tant que chargé de com’ à Kedge, à The Conversation, un média qui conjugue « expertise universitaire » et « exigence journalistique ». Raoult, lui, est en dédicace au parc Chanot pour son livre « La science est un sport de combat ». Tout un programme !
1. Sur LCI le 28/05/2020. Notre demande d’entretien est restée sans réponse.