Education aux médias et à l'information : peut mieux faire !
En France, dans chaque collège ou lycée œuvre au moins un·e professeur·e documentaliste. En charge du Centre de documentation et d’information (CDI) de l’établissement, il·elle est titulaire d’un CAPES documentation, et assure trois missions détaillées dans une circulaire datant de 2017 (1) :
– « acteur de l’ouverture de l’établissement sur son environnement éducatif, culturel et professionnel »
– « maître d’œuvre de l’organisation des ressources documentaires de l’établissement et de leur mise à disposition »
– « enseignant et maître d’œuvre de l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias »
Sa mission d’enseignant·e, unique dans le système éducatif français, est actuellement sous-estimée alors même que les besoins de formation des élèves sont immenses dans le contexte actuel.
Selon une étude du Conseil national d’évaluation scolaire (CNESCO) de 2019, « seuls 52 % des élèves de 3e déclarent que le sujet des médias a été abordé en cours d’enseignement moral et civique (EMC) durant leurs années au collège (alors que l’éducation aux médias fait partie du programme d’EMC)« .
1. L’EMI, textes officiels et réalité du terrain
Selon les textes officiels, tous les enseignant·es·s sont censé·e·s intégrer l’EMI dans leurs cours tandis que les professeurs documentalistes, en plus de participer à cet enseignement, sont désignés comme maître d’œuvre de cette éducation dans l’établissement. Malheureusement, la réalité est tout autre. Au collège puis au lycée, les élèves bénéficient de très peu d’heures de formation dans ce domaine.
Saupoudrage, discontinuité et progression impossible dans la continuité du parcours de l’élève. Cette éducation aux médias varie en fonction de l’investissement des équipes des établissements : tous les élèves de France ne reçoivent pas le même enseignement, créant ainsi des inégalités de formation.
2. Le prof doc, missions et compétences
Le Capes de documentation valide depuis 1989 les compétences du professeur documentaliste dans le domaine de l’information et des médias. En mars 2017, une circulaire actualise enfin ses missions : il est désormais le maître d’œuvre de l’EMI dans l’établissement, et sa première mission est de former les élèves de la sixième à la terminale afin de développer chez eux une véritable culture de l’information. Connaissance des rouages de l’information, compréhension du monde numérique, développement de l’esprit critique, résistance aux fake news, mise en place de médias scolaires (web radio, journal, web TV), comportement raisonné et éthique face à l’information : tous ces domaines sont au cœur de son enseignement.
3. Une mise en œuvre empêchée par un cadre mal défini
Le professeur documentaliste consacre 36 heures hebdomadaires à ses diverses et multiples missions, dont celle dédiée à l’enseignement et donc à la formation des élèves. Pourtant, l’organisation de l’enseignement reste trop souvent un pis-aller dans la scolarité des collégiens et des lycéens. En effet, la surcharge de travail, le manque de personnel, l’absence d’heures dédiées à l’EMI et le peu de concertation autour d’une progression des compétences concernées écartent toute possibilité de permettre aux élèves de compter dans leur parcours les notions et compétences nécessaires dans ce domaine. Aussi, c’est au bon vouloir du chef d’établissement que le prof doc peut mener à bien sa mission pédagogique. II·elle est soumis à un « bon fonctionnement » qui sous entend trop souvent une ouverture des lieux pouvant soulager la vie scolaire et accueillir en nombre les élèves qui n’ont pas cours.
4. Sous-évaluation, traitement inégalitaire des profs doc
Malgré une certification identique aux autres enseignants (Capes), les professeurs documentalistes ne bénéficient pas du même traitement et de la même reconnaissance : discrimination salariale (impossibilité de toucher des heures supplémentaires, taux horaire en dessous de celui des autres disciplines pour le dispositif devoirs faits), perspective d’évolution de carrière quasi nulle par l’absence d’agrégation, absence d’un corps d’inspection spécifique à la discipline.
Dernièrement encore, les professeurs documentalistes se sont sentis méprisés par le ministre de l’Éducation nationale qui les exclut de la prime informatique (150 € par an) allouée à tous les enseignants du premier et second degrés : cette décision a été l’étincelle qui a ravivé la colère au sein de la profession. L’Association des professeurs documentalistes de l’éducation nationale (APDEN), par son travail et sa participation entre autres à des instances ministérielles, œuvre pour faire reconnaître les droits et la reconnaissance du métier et de ses spécificités afin que disparaissent les inégalités de traitement dont pâtissent les professeurs documentalistes.
5. Enseignement de l’EMI : une urgence éducative
Aujourd’hui, les profs docs pourraient enseigner et coordonner, mais trop peu de choses sont mises en œuvre car les conditions ne sont pas réunies : manque de moyens, manque de reconnaissance et de cadre défini.
Pourtant, depuis l’attentat de Charlie Hebdo en 2015 et plus récemment, l’acte terroriste dont a été victime Samuel Paty le 16 octobre 2020 qui ont sidéré la société française, la communauté éducative a encore plus pris conscience de la nécessité d’enseigner la liberté d’expression, l’analyse de l’image, la compréhension et le décryptage de l’information, l’approche critique des médias et des réseaux sociaux…
Le mal-être de la profession tient au caractère facultatif et arbitraire de l’exercice de sa mission d’enseignement et au manque de reconnaissance claire et explicite de ses compétences. Les professeurs documentalistes veulent faire entendre leur volonté de mener à bien leurs missions dans des conditions optimales en formalisant clairement et durablement des heures dédiées à cette éducation aux médias et à l’information pour tous les niveaux scolaires. Il est grand temps de former les citoyens éclairés d’aujourd’hui et de demain.
Les membres du bureau de l’Association des professeurs documentalistes de l’éducation nationale de l’académie d’Aix-Marseille (APDEN Aix-Marseille)
1. Les missions des professeurs documentalistes – Circulaire n° 2017-051 du 28-3-2017