Ça (re-) commence aujourd’hui…
Avant même le déconfinement, la rentrée, c’était LE sujet ! Potentiellement explosif : plaider pour le retour en classe peut transformer une mailing-list de parents d’élèves en ring de boxe. De fait, tout le monde y a mis du sien. Mention spéciale au « protocole sanitaire » de l’Éducation nationale : pas plus de 15 élèves par classe, « maintien de la distanciation physique », interdiction des « jeux de contact, de ballon »…
Difficile à « articuler avec ce qu’est un enfant, une salle de classe », pour Caroline Chevé de la FSU 13, décrivant des profs « déchirés » entre « retrouver les élèves » et les « questions sanitaires ». Et, rappelle Virginie Akliouat du SNUipp, « si l’école rouvre, elle ne reprend pas ». Au programme ? « Rebrassage de notions, lecture, jeux éducatifs… » En outre, à Marseille, note son collègue Yannis Darieux, « sur 3 000 agents, il n’y en a que 1 000 de disponible. Comment assurer la cantine, la désinfection ? » D’autant qu’il faut « trois passages au lieu d’un ! Le détergent, de la javel et de l’eau. Quand on a demandé quelle dose de javel, on nous a répondu : comme pour le pastis !»
D’où la fermeture, la veille de la reprise, d’un des deux sites de l’école Olivier-Gilibert. La ville finira par renvoyer à septembre la rentrée des maternelles, d’où un recours en justice de parents d’élèves ! Le tribunal administratif a ainsi ordonné la réouverture des petites sections… Reste qu’en apprenant la réouverture des écoles, Benoît Payan, du PS, a démissionné de la « cellule Covid-19 ». À droite, Bruno Gilles s’est fendu d’un « oui à la réouverture, non à la précipitation ». Seul le macroniste Yvon Berland a approuvé la marche forcée.
Pourtant, d’après MPE13, seul un quart des parents étaient prêts à remettre leurs enfants à l’école. Même proportion des maires dans le « 13 » à ne pas rouvrir leurs écoles ! Et, à la veille de la reprise, le rectorat a fermé, pour raison sanitaire, plusieurs écoles des quartiers nord marseillais, celle de la Busserine ayant pris « une semaine pour ouvrir, précise Sébastien Fournier de la FSU. Car il y a, à la base, des problèmes de conformité ».
Trompe-l’œil
C’est donc loin d’être la foule devant les écoles. Et une directrice d’exploser en voyant des égoutiers ne pas faire grand cas des marques au sol où doivent se positionner les enfants : « C’est pas possible, vos travaux, c’est la rentrée ! » Dans la cour, les instits dessinent des ronds où chaque enfant doit attendre. Drôle d’ambiance sous les masques. Et une « tata », agent municipal, de résumer : « Y a plus d’adultes que d’enfants ! » Qu’importe pour la mairie de Marseille qui a repoussé à début juin la rentrée des autres niveaux, estimant avoir eu les effectifs trop tard. De quoi faire s’étrangler parents et instits. L’un d’eux s’est résolu à accueillir, à l’extérieur et en petit groupe, ses élèves !
Soupir à la FSU : « Il n’y a que 15 % d’élèves. Alors que les enfants en difficulté étaient ciblés, dans les quartiers populaires, il y en a très peu. On ne peut donc tirer le moindre enseignement. » Colère de Fleur Sanchez, de SUD éducation, remplaçante à la Rose : « Faute de personnel, on ne peut accueillir que les enfants de soignants. Sans formation pour accueillir des enfants qui ont vécu des choses très dures. L’un d’eux a perdu son père. On fait comment ? En maternelle, on est à la limite de la maltraitance ! »
« Le maintien de la distance est impossible »
Même bazar dans les bahuts. D’ailleurs, Martine Vassal, présidente LR du CD 13, contrairement à son homologue à la Région en charge des lycées, avait plaidé pour une rentrée plus tardive. En vain. À la veille du retour des 6e et 5e, Laurent Tramoni, du SNES, parle d’une « rentrée en trompe-l’œil avec 10 % d’élèves, ce qui témoigne de la méfiance envers l’État et l’Éducation nationale ». Pour sa collègue de SUD éducation, Sophie Noël, « ce qu’il y a à retenir, c’est l’autonomie des établissements. Car si le protocole est strict, son application est souple. Il y a donc autant de situations que de collèges. Des protocoles très complets, d’autres de deux pages. Des classes avec plusieurs niveaux. Des profs qui n’ont plus leurs élèves et ne font que de l’accompagnement… Les élèves sont aussi déboussolés que nous. Quels devoirs faire ? Ceux sur place ou à distance ? »
Grimace d’une prof de français : «J’ai décuplé mon temps de travail. Et perdu la moitié de mes élèves. J’espère un retour à la normale. Car là, c’est tout sauf l’école. Qui est un lieu de contact. Pour donner des feuilles, corriger, il faut s’approcher ! » Une problématique accrue pour le sport et les enseignements technologiques.
Martigues s’est donné 15 jours pour rouvrir les écoles : « Ça a permis de travailler plus sereinement, note l’élu Frédéric Grimaud. 20 % des enfants ont repris, sans souci ni de personnel ni de cantine. » Mais celui qui est aussi instituteur auprès d’enfants autistes ajoute : « Je ne vais avoir que deux élèves. Même si les enfants en situation de handicap sont prioritaires, rien n’est prévu. Et le maintien de la distance, impossible. » Dans le Vaucluse, « seules 5 communes ont repoussé la reprise, pointe Sylvain Bartet, de la FSU. Mais avec 30 % d’élèves en primaire et 20-25 % dans les collèges, ça se passe plutôt bien. Notre crainte, c’est le retour de tous les niveaux. Et septembre avec des élèves à qui il manque un trimestre ».
Une reprise loin donc d’être sans tension. Le SNUipp a « recadré » le maire (DVD) de Sanary (83), qui, pour justifier la non réouverture des écoles, a mis en avant « l’absentéisme d’un certain nombre d’enseignants ». Et même si, de source syndicale, ce serait pour des « raisons strictement personnelles », le suicide dans la cour d’un directeur d’école à Saint-Laurent du Var (06) a marqué.
Inégalités renforcées
Comment s’étonner, à en croire le collectif des « profs en colère d’Aix-Marseille », que le rectorat demande à des profs de « ne pas parler à la presse » ? D’aucuns voudraient croire que la période sanctionne « l’échec de l’enseignement à distance. Ce n’est qu’une technique d’appoint qui renforce les inégalités et épuise élèves et enseignants ». Soupir d’un prof : « Comme c’est ce que le ministère veut encourager, ils vont valoriser ceux qui se sont démenés pour trouver des solutions et oublier le reste. »
Même analyse de la FSU au lendemain de l’intervention du Premier ministre et de celui de l’Éducation, annonçant la réouverture des écoles, collèges et lycées ainsi que l’annulation des oraux du bac français : « La crise est l’occasion d’imposer des projets dont personne ne veut dans un contexte où, au lieu de créer des postes, on en supprime. » Au-delà du e-learning, Jean-Michel Blanquer valorise « le dispositif 2S2C » : la prise en charge pendant le temps scolaire d’activités sportives et culturelles par les collectivités locales ! Même le privé s’inquiète ! Certes, « on a des taux de retours bien supérieurs au public car, comme les familles ont payé, elles sont dans un rapport plus de service. Mais les établissements privés sont dans un souci de compétitivité. Or, comment rentrer dans ses frais avec 15 élèves par classe ? », pointe Nicolas Noël, du Spelc, syndicat de l’enseignement catholique.
Alors, dans des lycées qui rouvrent avec les conseils de classe, les circonvolutions sont de mise, comme celles de ce proviseur : « Sans exclure complètement les secondes et les premières, je n’envisage qu’une reprise ciblée des terminales dans le but de préparer les oraux de rattrapage. Et pas avant le 15 juin car il faut terminer le protocole sanitaire. » Pendant ce temps, Lila et Adèle n’ont classe qu’un jour par semaine. Leur chanson préférée ? Le tube d’Aldebert : « Pour louper l’école, je ferais n’importe quoi ! » Vivement les vacances ! Apprenantes, évidemment…