L'enfance, notre seule patrie ?
Dans ses mémoires Maintenant, je vais tout vous dire (sic), Jean-Claude Gaudin, l’ancien maire LR de Marseille, se souvient de l’interview, en 1956, de l’ex-ministre Germaine Poinso-Chapuis : « Si c’est ça la politique, je veux en faire », dit-il, louant cette « femme qui a fait voter des lois majeures pour la protection de l’enfance ».
Une cause qui n’a guère été au cœur de son règne sur une ville où l’état des écoles a été qualifié de « honte de la République ». À des parents mécontents des temps d’activité périscolaire, l’ancien prof lance : « Occupez-vous de vos enfants ! » Alors, interrogée sur la place allouée à ces derniers à l’occasion de la réouverture d’un square fermé depuis des années, l’adjointe (PS) aux espaces verts Nassera Benmarnia tonne : « Marseille est une ville qui a été pensée sans ses habitants. Pas étonnant qu’il n’y a pas de place pour les enfants, les familles… »
Pas facile de redresser la barre. Surtout avec cette pandémie. Face aux contraintes sanitaires à la cantine, voilà les minots privés d’entrée. A la place, une « collation » : boudoir et sablé « coco » ! Mais la cité phocéenne ne peut se targuer d’être « ville amie des enfants ». Titre accordé par l’Unicef au regard d’un cahier des charges précis d’actions en faveur des droits de l’enfant, on en compte plus de 300 en France et une trentaine en Paca, ce qui la place dans le trio de tête.
Un angle mort
Dans le 13, on trouve, par exemple, Aubagne. Voir la mention « amie des enfants » à côté de la Légion peut surprendre. Comme le fait, dixit l’opposant écolo et enseignant Denis Grandjean, que le titre ait survécu au changement de majorité. D’ailleurs, sur la vidéo qui illustre la page « Aubagne ville amie des enfants » du site web de la mairie, le maire, c’est encore Daniel Fontaine, le prédécesseur PCF de Gérard Gazay (LR) ! Et la ville ne semble pas participer cette année à Uniday, la journée des droits de l’enfant en mai. « Nous n’obligeons pas les villes à mettre en place l’ensemble de nos manifestations. Et puis, il y a le contexte sanitaire », tempère l’Unicef
« L’enfance est loin d’être au cœur des priorités de la municipalité, déplore Grandjean. Depuis 2014, on attend que sorte de terre la cité éducative des Passons. Le salon du livre de la jeunesse n’est plus qu’une librairie géante. Et côté médiathèque et bibliothèque, ce n’est guère florissant. Mais pas question dans une période qui n’est pas simple de taper aveuglément sur une ville qui ne peut activer les leviers habituels : la culture, le sport, les associations… Car si les enfants souffrent de la fermeture des écoles, ils souffrent de tout le reste. »
« La parole de l’enfant bouscule »
Comme le note Frédéric Grimaud, élu LFI en charge de l’éducation populaire à Martigues, celle-ci « n’est pas “amie des enfants”. Mais ça fait partie de nos préoccupations. Avec une politique volontariste et une attention redoublée du fait du Covid car on sait les enfants particulièrement impactés. Après, l’approche est plus sociale. Presque intersectionnelle ».
Pour lui qui est aussi enseignant, « l’enfance, comme objet politique, c’est un peu un angle mort. Les enfants n’ont pas vraiment de place et leur parole est peu entendue. Il y a des conseils de jeunes. Mais on les cantonne à ne s’exprimer que sur des questions d’enfants. Si on les écoutait plus, côté environnement, on n’en serait pas là. »
Même tonalité de Hajni Kiss-Agostini, directrice dans le « 13 » de la fédération d’éducation populaire des Francas : « L’an dernier, le rapport du Défenseur des droits avait pour thème la parole de l’enfant. Nous qui faisons tout pour la promouvoir, on voit bien qu’on a du mal à la prendre en compte. Peut-être parce qu’elle bouscule. Les enfants que l’on a accompagnés à la préfecture, ils ont demandé pourquoi il n’y a pas assez de piscines. Derrière, il y a la question des loisirs, de la place des enfants… Certes, il y a des conseils d’enfants, de jeunes. Mais est-ce une consultation, de l’affichage ou une réelle concertation ? Sans aller jusqu’au Plan local d’urbanisme (PLU), quand on aménage les abords d’une école, pourquoi ne pas interroger les principaux intéressés ? »
La liste des collectivités « amies des enfants » peut surprendre. Si la région abrite un des deux départements à avoir ce titre – les Hautes-Alpes – on trouve parmi les villes Toulon ou Six-Fours. LA ville à fuir d’après le palmarès 2020 du Ravi ! Anecdote : privé de terrain, le rugby club du pays six-fournais rappellera à la municipalité qu’elle est « amie des enfants ».
Autre ville distinguée ? Nice. Un titre loin d’être usurpé pour Claude Fondecave, responsable local de l’organisation : « Tout n’est pas rose et il y a toujours des situations difficiles. Mais on n’est là ni pour juger ni pour sanctionner. Mais, tout en s’assurant que ce n’est pas un simple affichage, pour être aux côtés d’une ville afin que les choses aillent dans le bon sens. » Et de mettre en avant les « équipements » (écoles, centres de loisirs…), les « manifestations », les « initiatives face à la pandémie » ou le « nombre d’élus » sur ces questions.
Disparités territoriales
Notamment Marie-Pierre Lazard, subdéléguée aux « droits et devoirs des familles ». Une petite fille lui demande par vidéo : « Mon papa veut que je fasse du judo, ma maman du piano, moi de la danse. Qui décide ? » Avocate de formation, elle lui conseille d’en discuter. Ou d’« aller voir le juge des affaires familiales » ! Une réponse qui interpelle.
Comme le fait que le « 06 » se fait régulièrement tancer sur l’accueil des mineurs isolés. Pour le très à droite Éric Ciotti (LR), le « département fait son maximum ». Et cet adepte de la « généralisation des tests osseux » d’expliquer dans la presse que cela se fait « au détriment de missions traditionnelles de l’aide sociale à l’enfance »… Moue dubitative de Fondecave : « Au-delà des polémiques, regardons le travail sur le terrain au quotidien. » Même tonalité du côté de la com’ d’Unicef : « On peut retirer le titre à une ville. Mais on cherche avant tout à maintenir une relation constructive. Distinguons les discours et les actes.»
Les enfants ne semblent pourtant pas tous égaux. Confirmation de Jérémie Chambon, éducateur et délégué Sud dans un institut accueillant des enfants autistes dans le Vaucluse. Souvenir du premier confinement : « Tout s’est fait dans la précipitation. Il a fallu décider en un week-end quel enfant garder, quel enfant renvoyer chez ses parents. Ça n’a pas toujours été simple. Et avec l’arrêt des activités, des sorties, chez nous, ça s’est traduit par un repli sur soi. »
Las, d’après lui, « les enfants dont on s’occupe, qu’ils soient placés ou handicapés, c’est la cinquième roue du carrosse. Et nous, travailleurs sociaux, les oubliés du Ségur de la santé ». Sans parler « des disparités territoriales. Face à une crise qui concerne tout le monde, la réponse relève des volontés des uns et des autres. Certes, il y a plus de moyens dans le Var ou le “06” que dans le Vaucluse. Mais il y a aussi les équilibres politiques. Avec ici une pression de l’extrême droite. » En tête, ce slogan : « Les nôtres avant les autres. »
Le plus inquiétant, c’est peut-être la capacité d’adaptation des enfants. Si sa collègue de la Belle de Mai n’a pas le temps de nous répondre – « désolé, on gère l’urgence ! » – la directrice d’une maternelle dans les quartiers nord nous dit en substance que… ça ne va pas si mal ! « En maternelle, les enfants n’ont pas à porter le masque. Mais on n’a pas de difficulté à faire respecter les consignes. Dans les quartiers, la peur de tomber malade est palpable. Et pour des enfants de moins de six ans, le masque, c’est la normalité. »