L'éduc pop, entre gros mot et sésame
La mine un peu contrariée, le fonctionnaire chargé des associations vous redonne votre dossier de présentation de projet : « Il est très bien, hein, rien à dire… Mais il faudrait trouver une façon de ne pas parler d’éducation populaire… Sinon, ça ne passera pas au cabinet. Il ne sera jamais financé. » La scène est souvent vécue par des associations en Paca. D’une collectivité locale à l’autre, l’éducation populaire est plus ou moins bien reçue, et donc soutenue. « Ça ne dépend pas de la couleur politique, mais plutôt de la personnalité des élus et de leur connaissance du secteur », souligne Stéphane Pailhous, responsable régional du Crajep (Comité régional des associations de jeunesse et d’éducation populaire), qui regroupe les 21 fédérations de Paca. « On a souvent des surprises, abonde le représentant d’une association nationale. A Nice, ça se passe très bien avec Christian Estrosi (ex-LR). Alors qu’à Marseille, on a plus de mal à enclencher des projets avec la nouvelle majorité. A Toulon, en revanche, comme on s’y attendait, tout est bloqué. »
Avec ses champs d’action quasi illimités, autour de la citoyenneté, de l’environnement, de la santé, de la culture, comment l’éducation populaire peut-elle faire peur aux élus ? Justement par sa dimension potentiellement politique. Fin 2020, les membres du Crajep ont ainsi tiré la sonnette d’alarme sur les enjeux de laïcité dans l’éducation populaire. « Suite aux attentats et au débat sur la loi “séparatisme”, nous avons voulu réaffirmer le principe d’une laïcité de tolérance et non d’exclusion », appuie Stéphane Pailhous. Sur le terrain, animateurs et responsables associatifs se voient de plus en plus souvent demander de signer des chartes de laïcité très offensives. Quand ils ne sont pas directement ciblés par des élus. En février, à La Seyne-sur-Mer, le premier adjoint Jean-Pierre Colin envoyait en 25 000 exemplaires à la population un tract de quatre pages dénonçant les associations « d’islamo- gauchistes » pratiquant « un art de la dissimulation, en lien avec l’extrémisme ». Et affirmant, martial, que « c’est maintenant l’heure de vérité pour les élus courageux » (Cf le Ravi n°192). « Ça y va de plus en plus dans ce registre-là, déplore Stéphane Pailhous. Il y a quelques années seulement, ce genre de comportements étaient totalement inimaginables. »
« Il faut une politique globale d’inclusion sociale »
Une défiance potentiellement dévastatrice, car chacune à son niveau, mairie, département et région ont des compétences décisives en matière d’éducation hors temps scolaire. Si région et départements semblent être dans une posture de relative neutralité, la situation est beaucoup plus contrastée dans les communes et les intercommunalités. Depuis les dernières municipales, des mairies ont choisi d’afficher clairement leur soutien à l’éducation populaire, avec la création de postes d’adjoint dédiés. Une tâche délicate, qui nécessite de coordonner l’action de structures souvent très différentes et de besoins tous aussi variés selon les quartiers.
« Je ne veux pas être l’élu qui a raison face aux habitants, explique Frédéric Grimaud, adjoint à l’éducation populaire à la ville de Martigues. Il y a une stratégie différente à co-construire et à mener d’un centre social à l’autre, d’un quartier à l’autre. » A Marseille, après vingt-cinq années de gestion par une équipe Gaudin peu sensible au sujet, le chantier est immense. « On veut notamment mettre en place un projet éducatif de territoire pour mieux articuler les différents temps autour de l’enfance, détaille Marie Batoux, adjointe (Printemps marseillais) à l’éducation populaire. Le matin avant l’école serait axé sur l’accompagnement à la parentalité, la pause de midi sur des projets collectifs en éducation populaire, et le soir sur la continuité éducative. »
Au cœur des débats : l’articulation avec l’école. Mais pour autant, les rapports associations-éducation nationale ne sont pas toujours faciles. « L’institution a un peu tendance à se considérer au centre de toute l’action éducative, et à ne voir les autres que comme des supplétifs », regrette une responsable associative. « L’éducation populaire ne peut pas tout à elle seule, tempère Marie Batoux. Elle a besoin d’une politique globale d’inclusion sociale. » L’État, s’il est offensif dans la mise en place de chartes de laïcité, semble encore dépassé par l’ampleur de la crise qui frappe les jeunes, amplifiée par la pandémie. Dans la perspective des élections régionales et départementales, le Crajep veut interpeller le gouvernement mais surtout les candidats pour qu’ils lancent un grand chantier sur les conditions de vie des enfants, ados et jeunes adultes. Un thème qui, pour le moment, ne figure en tête de liste sur aucune des plateformes électorales.