Mixité buissonnière
« Il y a un risque très probable d’une nouvelle école de bobos », en plein milieu du 3ème arrondissement de Marseille, tristement célèbre pour concentrer la pauvreté. C’est la crainte de Frédéric Bertet, directeur d’école et secrétaire général adjoint au SNUipp-FSU 13. La Friche de la Belle de Mai a lancé la construction d’une nouvelle école élémentaire pour la rentrée 2022. Son directeur Alain Arnaudet, conscient de la pénurie de places qui touche de plein fouet cet arrondissement (certains enfants sont même repoussés vers les 14ème et 15ème), clame sa volonté « que l’école s’inscrive dans la carte scolaire ». Point que confirment la mairie centrale et le rectorat. Mais l’orientation artistique de l’enseignement et les futurs instituteurs triés sur le volet laissent Frédéric Bertet « très dubitatif ».
Enseignement linguistique spécifique, classes à horaires aménagés musique, écoles internationales… Quand les parents ne mettent pas tout simplement leurs enfants dans le privé, les prétextes pour contourner la carte scolaire sont légion. L’idéal étant d’avoir un contact au service éducation et jeunesse d’une mairie qui reçoit un nombre de demandes de dérogation impressionnant. La dernière solution exaspère Séverine Gil, présidente du Mouvement des Parents d’Élèves du 13 : « À Marseille, le sport national, c’est les fausses déclarations d’adresse ! » Cette dernière se console en espérant que cela colmate la fuite vers le privé. Mais Anne Pfister, membre du collectif Écoles publiques du 3ème, voit les choses en gris depuis son arrondissement : « Ça revient au même, ça ghettoïse nos écoles. »
« Le sport national, c’est les fausses déclarations d’adresse ! »
Ce manque de mixité sociale provient également d’une politique d’urbanisme défaillante. « L’école est à l’image de la société qui l’entoure », souligne le syndicaliste Frédéric Bertet. Au hasard, les écoles du Roy d’Espagne n’accueillent que les enfants de la très aisée résidence du même nom. Autre exemple, la cité Air Bel, îlot de pauvreté du 11ème arrondissement, héberge une école primaire en son sein. Le secteur qu’elle couvre n’englobe que la cité, pour la mixité on repassera. Dans son mémoire de sociologie sur les écoles du 3ème, Marion Lis évoque le cas des écoles maternelles et élémentaires Ruffi (1). Côté pile, la future école « Antoine de Ruffi » devrait ouvrir ses classes à la rentrée 2020.
Côté face, l’école Rep+ (nouvelles Zep) « Ruffi » tout court, et ses préfabriqués. Ce dispositif « temporaire » sert depuis maintenant 15 ans de classes et de dortoirs à 350 enfants issus de milieux très défavorisés. « Les nouveaux et bons élèves, partent à l’école privée Schuman à côté », apprend-on dans le mémoire. Le bâtiment en construction, lui, semble tout choisi pour accueillir les minots des nouveaux habitants du quartier d’affaires Euromed. Ceux d’entre eux qui n’auraient pas réussi à avoir une place à l’école catholique Schuman.
Forte de ces constats démographiques, la mairie a la responsabilité de réviser la carte scolaire en conséquence. Quand elle daigne s’en occuper, elle le fait dans son coin. Elle ne joint les services de l’Education nationale que pour essayer de pallier les pénuries de places grâce au dispositif d’urgence des « classes accueillantes ». N’allant pas « jusqu’à parler de réussite », Dominique Truant, l’adjointe du directeur académique des Bouches-du-Rhône, note quand même une nette amélioration de la gestion des inscriptions par les services de la ville. Après 6 ans de refus et d’incapacité à utiliser Ondes, logiciel national consacré, elle s’y est finalement mise. A quelques mois du passage de flambeau…
1. « L’Affaire des écoles marseillaises », ou l’implication de la ville de Marseille dans les écoles du 3ème arrondissement – Marion Lis, 09/2017