Le cadeau d'adieu de Gaudin au privé
« Ils nous sollicitent, mais on n’a pas répondu. » Au service de la ville de Marseille, on voudrait faire croire que le maire rechigne à augmenter une nouvelle fois le forfait d’externat versé aux établissements privés sous contrat et le faire passer pour un mauvais paroissien ! C’est bien mal connaître le très catholique Gaudin, lui-même ancien et éphémère prof d’histoire-géo de Saint-Joseph-les-Maristes (6ème arrondissement) : il serait plutôt du genre à leur préparer un cadeau d’adieu. Depuis 1995, il a multiplié par 2,3 le forfait élève, le surnom du forfait externat, le faisant passer de 381 à 881 euros par enfant et par an.
Avant de partir pour une retraite bien méritée, Jean-Claude Gaudin devrait donc signer une nouvelle convention triennale avec le conseil diocésain, qui fera passer le forfait élève au-dessus des 900 euros par an. Directeur diocésain de l’enseignement catholique de Marseille depuis décembre 2017, Xavier Leturcq n’a pas trop d’inquiétudes à ce sujet. « On ne s’est pas encore rencontré, mais il y a des contacts. On part sur la future convention. Je suis légaliste, [alors si] on ne peut pas dire qu’on va booster le forfait, il faut être responsable : toute dépense de fonctionnement doit être assumée par la collectivité », assume cet ancien prof de lettres.
La mesure du directeur diocésain devrait plaire à Gaudin. Depuis quelques années, les gros chèques aux 56 établissements privés sous contrat ont été abandonnés pour des hausses indexées sur l’indice des prix à la consommation des douze derniers mois. Un coup de pouce qui a quand même fait bondir le forfait d’externat de 11,14 % entre 2014 et 2018. Sur la même période, le budget fonctionnement des écoles publiques hors contribution au privé a dû se contenter d’une augmentation de 2,29 %. Soit moins que l’inflation, qui a dépassé les 3 %.
Cette différence n’est pas nouvelle : comme le Ravi l’a déjà raconté, Gaudin préfère largement le curé à l’instit (le Ravi n°121 et 139). En plus de prendre en charge les dépenses de fonctionnement des écoles élémentaires comme le lui impose la loi depuis 1959, depuis Gaston Defferre Marseille paie aussi pour les écoles maternelles du privé, dont les élèves représentent un tiers de ses effectifs (1). Une douceur parmi d’autres de quelques 4 millions d’euros chaque année. Quasiment un quart du budget fonctionnement des écoles publiques de la ville, hors subvention aux écoles privées. Les parents des quelques 80 000 élèves des écoles municipales apprécieront…
« Il y a des contacts »
Une générosité que réfute Danièle Casanova, la fidèle adjointe à l’éducation de Jean-Claude Gaudin, mais dont se vantait pourtant en son temps Françoise Gaussen, l’ancienne directrice diocésaine. Lors de son pot de départ à la retraite, la prédécesseure de Xavier Leturcq aurait déclaré avoir développé l’enseignement catholique à Marseille et obtenu le forfait le plus cher de France. « On aime tous mettre en avant nos petits records », plaide ce dernier. Et se pousser du col !
Car Marseille est seulement deuxième des principales métropoles françaises. Avec un forfait d’externat moyen annuel qui frôle les 1070 euros par élève du privé (2), Nice a la palme. Par contre, la deuxième ville de France devance largement Nantes (607 euros), Lyon (635 euros), Toulouse (779 euros) et Paris (791 euros). Et même Lille, la ville étalon de Gaudin depuis 2011 et la condamnation de la socialiste Martine Aubry par le tribunal administratif pour sa pingrerie avec le privé. « Dès que ça bloquait dans les discussions, Gaudin demandait à ses services le montant du forfait versé par Martine Aubry à ses écoles privées, il ne voulait pas le dépasser », rigole sous couvert d’anonymat un bon connaisseur des négociations ville-direction diocésaine. Il faut croire que le maire de Marseille est très mauvais en calcul : en 2018, le forfait moyen lillois était « seulement » de 629 euros.
Pour Xavier Méry, adjoint de Jean-Claude Gaudin à la lutte contre l’exclusion, la passion pour le privé du maire de Marseille est une affaire de gros sous. Si le directeur diocésain jure n’avoir « rien vu de la part de la mairie qui permettait au privé de se développer », le directeur de l’institution Sainte-Trinité, dans le 9ème arrondissement, lui l’assure : « Gaudin aime bien le privé, mais surtout il en profite. Ça lui coûte zéro euro d’investissement et seulement 860 euros de fonctionnement par élève, contre 1 400 euros dans le public ! » (3)
Beaucoup estiment que la bonté de Gaudin pour le privé est avant tout une charité très bien ordonnée. Le Républicain a toujours défendu l’école dite « libre » et prêche essentiellement pour sa paroisse : si les difficultés dans les écoles publiques marseillaises rabattent des parents de toutes obédiences vers le privé, c’est l’électorat de droite qui y est traditionnellement le plus nombreux. Pour preuve, sa protégée Martine Vassal a revalorisé le forfait versé par le CD 13 aux élèves des collèges privés dès son arrivée à la tête de la collectivité, en 2015 (4). Là encore, un cadeau parmi d’autres (leravi.org, 13/10/2017).
1. 13 621 élèves à la rentrée 2019. Un chiffre en stagnation depuis plusieurs années.
2. Contrairement à Marseille, certaines communes donnent des forfaits différents entre la maternelle et le privé et/ou subventionnent d’autres postes (cantine, informatique, etc). C’est le cas de Nice.
3. Chiffre totem de la direction diocésaine, dont personne ne connaît la formule (Cf le Ravi n°121).
4. Rapport 147 de la commission permanente du CD 13 du 30 juin 2017.