Dédoublements, mensonges et vérités
Réduire à 12 élèves les effectifs des CP et des CE1 dans les écoles situées sur les territoires qui concentrent les difficultés sociales était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. De fait, dès la rentrée 2017, les classes ont bel et bien été « dédoublées » par Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale, dans le réseau d’éducation prioritaire. Deux ans plus tard, l’opération est officiellement une entière réussite. Et, sur le terrain, des professeurs des écoles témoignent de leur satisfaction. « Pour la première fois, j’ai l’impression de pouvoir faire mon travail correctement ! », reconnaît Caroline (1), enseignante dans le 1er arrondissement marseillais. Alors tout va-t-il pour le mieux dans la meilleure des écoles possibles ? Sauf que…
Premier bémol, des classes de 12 élèves, il n’y en a pas tant que ça ! Selon les syndicats, à Marseille, la moyenne s’élève plutôt à 15 élèves. Il s’agirait même d’une norme officieuse, qui ne se retrouve donc dans aucun des documents rendus publics par l’Académie. Mais même Dominique Truand, inspectrice chargée du 1er degré dans les Bouches-du-Rhône, reconnaît qu’il existe un écart avec le dogme des 12 élèves : « En effet, nous sommes allés jusqu’à 15 quand il y avait dédoublement physique. » C’est-à-dire lorsque chaque classe dédoublée a son propre local. Ce qui est loin d’être toujours le cas !
Cloisons poreuses
C’est le deuxième bémol dans la capitale régionale. Par manque de place, 186 classes sur les 671 dédoublées à Marseille, se retrouvent en coenseignement. L’Éducation nationale désigne ainsi le partage d’une même salle par deux enseignants responsables de deux groupes classe. « En coenseignement, on s’arrête toujours à 25 », certifie l’inspectrice. Soit, tout de même, 12 élèves pour un enseignant et 13 pour un second dans le même local. Heureusement, quand le facteur humain le veut bien, le dispositif est souvent bien vécu. « C’est très utile étant donné les grandes disparités auxquelles on est confronté », souligne Thomas (1), jeune professeur des écoles dans le 15ème arrondissement.
D’autres écoles, elles-aussi en manque de locaux, ont divisé physiquement les classes avec des parois proposées par la mairie. L’expérience – parfois choisie, parfois imposée – s’avère moins concluante. « Nous avons demandé à avoir une cloison comme ça avait été fait ailleurs. Mais au travers, on entend tout ! », confie Anouk Chabert, encartée à SUD Éducation. La mairie n’a pas pu nous dire combien de cloisons avaient été ainsi livrées ni nous renseigner sur les matériaux utilisés.
« L’intérêt des dédoublements, c’est notamment le fait d’avoir centré l’attention sur les bases élémentaires de l’apprentissage : lire, écrire, compter, respecter autrui », préfère souligner Damien Michel, responsable de la communication du rectorat. De fait, l’Éducation nationale cherche à corriger les manquements fondamentaux des élèves au sortir du primaire. Mais gourmands sont les dédoublements ! « La dotation était largement insuffisante, d’où la hausse des effectifs d’élèves dans toutes les autres classes non dédoublées », dénonce Frédéric Berthet, directeur d’école et secrétaire général adjoint au SNUipp 13. Sans parler des effets indirects de cette réforme dans les collèges et les lycées.
Dans les Bouches-du-Rhône, 94 postes ont été créés cette année dans le premier degré (Ndlr, maternelles, élémentaires et primaires). Tandis que dans le 2ème degré (Ndlr, collèges et lycées), c’est la dégringolade. Pour les 2 344 collégiens et lycéens supplémentaires cette année dans l’Académie d’Aix-Marseille, seuls 39 postes ont été créés, dont 33 dans les collèges des Bouches-du-Rhône. Pierre-Marie Ganozzi, enseignant au collège André Malraux et syndiqué au SNES-FSU, est dépassé : « Dans mon bahut, on est quasiment à 30 élèves partout. On ne suit plus du tout l’accroissement démographique depuis que l’État mise tout sur le 1er degré ! »
Vases communicants
Michaël Nicolle, du SE-UNSA 13, élu au Comité technique spécial départemental, constate un changement soudain de vocabulaire : « Aujourd’hui l’administration utilise le mot « repère », et non plus « seuil« , pour désigner les plafonds du nombre d’élèves. Ce qui signifie qu’on a basculé dans une limite d’ordre indicative. » A l’inspection académique, Dominique Truand, tout en affirmant que le terme « repère » a toujours été employé, reconnaît que, avec le dédoublement des classes, « on a réussi à gérer la carte scolaire en rehaussant le nombre d’élèves jusqu’aux repères ».
Ce n’est pas tout. Les dédoublements se sont aussi faits au détriment de postes d’un dispositif préexistant à la réforme, le « Projet d’aide à la réussite des élèves ». Avec le Pare, les enseignants de CP, CE1 ou de CE2 étaient régulièrement aidés par un autre professeur issu de la même école, lui-même remplacé le temps de son intervention. L’aidant connaissait donc bien son métier et les élèves. Mais avec le dédoublement des classes, même s’il a l’avantage d’être permanent, les syndicats dénoncent un moindre remplacement des enseignants. « Je n’ai pas le chiffre en tête, mais le dispositif Pare a été en partie fondu dans la mesure du dédoublement », minimise Damien Michel, au rectorat. Virginie Akliouat, du SNUipp-FSU 13, est plus catégorique : « A deux exceptions près, tous les postes du Pare ont été supprimés dans le département dès la mise en place du dédoublement. »
Suite à une étude concernant 408 écoles sur le territoire français, l’Education nationale évalue positivement les dédoublements tant au niveau des progrès des élèves que du climat dans les classes. Questionné sur le nombre d’écoles marseillaises concernées par cette étude, le bureau de presse du ministère à Paris, hausse très vite le ton : « Écoutez, on ne communique pas au sujet de l’échantillon représentatif, c’est tout ! » De son côté, Dominique Truand, l’inspectrice académique, demeure de toute façon résolument enthousiaste : « On est dans un cercle vertueux, c’est passionnant ce qu’il se passe en ce moment ! »
1. Le prénom a été modifié.