« On partage des objectifs, des méthodes, des valeurs »
le Ravi : Pourquoi est-ce si important aujourd’hui à la Fondation Abbé Pierre de « faire alliance », selon votre expression ?
Malika Chafi : « Du côté du service promotion des habitants, c’est une préconisation d’un travail réalisé en 2015 par l’agence de sciences sociales appliquées FRV 100 (1). Il a mis en avant la force et l’intérêt des réseaux que les structures accompagnées par la fondation peuvent mettre au service des habitants. Nouveaux métiers, importance des usages et savoir-faire se sont imposés au cœur de notre réflexion : comment capitaliser les méthodes et savoir-faire, comment avoir le temps de prendre du recul sur les manières de travailler, comment garder des traces des actions réalisées, etc ? Face à l’urgence, qui est un obstacle, il est toujours intéressant de partager pour voir ce qui marche et ce qui marche moins.
Pour agir davantage aux côtés des personnes mal logées, la fondation a de son côté fait du travail en réseau un axe de son nouveau plan stratégique. L’objectif est de renforcer son rôle catalyseur, de faire réseau, ce que lui offre les relations durables dans lesquelles elle s’engage en soutenant les actions sur plusieurs années. Ainsi, si les financements apportés par les donateurs sont un levier pour la mise en œuvre d’actions, ils permettent aussi de capitaliser de l’expérience et de contribuer à faire évoluer les pratiques et construire des manières de faire collectives. »
Pourquoi avoir préféré le terme alliance à celui de réseau ?
« Il m’a semblé que l’alliance va plus loin que le réseau. Il y a l’idée d’union : avec les acteurs que nous soutenons, on partage des objectifs, des méthodes, des valeurs, celles de l’Abbé Pierre. Nous sommes les courroies de transmission du projet qu’il a construit, de sa philosophie, et avons le devoir d’en préserver la nature. »
Quels sont les objectifs de ce travail ?
« Compte tenu de l’ampleur du chantier en ce qui concerne la prise en compte des demandes des habitants des quartiers populaires et de la faiblesse des moyens de la puissance publique dans ce domaine, nous avons obligation de garder des traces de ce que nous produisons et de renforcer la pertinence de nos interventions. C’est le moyen pour pouvoir peser davantage.
Mais ni nous, ni les personnes que nous accompagnons, ne pouvons le faire seul. Faire alliance, c’est donc ne pas rester seul. Et c’est aussi un moyen de renouveler les manières de faire. Lorsque le service promotion des habitants a décidé de lancer le blog « Croisons le faire » (2), c’est pour répondre à une demande des acteurs qui souhaitaient une connaissance des ressources, des actions, un moyen d’être en réseau. Sur le blog, vous trouverez des micros actions, des micros mesures, mais qui ont un impact sur le faire. En matière de mobilité par exemple. Quand une personne sort une première fois de son quartier, il y a des aspirations nouvelles qui naissent, des prises de parole nouvelles qui émergent, etc.
Quand l’Association nouveau regard sur la jeunesse (ANRJ), du quartier du Pile, à Roubaix lance une table de quartier sur la question de la prise en compte des demandes des habitants dans le projet de rénovation urbaine qui débouche sur la réalisation d’un documentaire sur le rapport de force avec la mairie qui est présenté à des étudiants en journalisme de Sciences Po Aix, on se dit qu’on a gagné quelque chose. Même chose avec les mamans d’un quartier de Montpellier qui s’inquiétaient que leurs écoles ne soient fréquentées que par des Arabes : leur rencontre avec des femmes du quartiers des Izzards à Toulouse leur a permis d’échanger et d’agir. »
Vous poussez également à ce travail en réseau en organisant chaque année une journée de travail entre les acteurs que vous soutenez. Quel est l’objectif de cette rencontre annuelle ?
« Ces collectifs d’habitants, ces acteurs que nous soutenons ont besoin d’appuis, d’une réflexion collective pour accompagner l’autonomisation des habitants. L’objectif est de développer leur puissance d’agir et de lutter contre les passions tristes pour créer une instance de mobilisation des habitants et d’interpellation des politiques. Pour pouvoir dire que c’est possible.
Désormais, l’idée c’est d’aller encore plus loin avec les acteurs pour faciliter leur mise en réseau : créer des espaces, des conditions, dans la conception des projets. »
Est-ce que les habitants et les acteurs n’ont pas besoin, par ailleurs, d’une tête de réseau pour se faire entendre ? Un rôle que joue la fondation…
« Le problème des quartiers populaires, c’est l’image qu’ils véhiculent et le regard qu’on leur porte. Il faut travailler à changer l’un et l’autre mais aussi permettre à leurs habitants, en particulier les plus démunis, de trouver leur place. C’est acté dans les missions de la fondation. C’est même dans ses statuts, car l’Abbé Pierre avait souhaité que la Caravane des quartiers [un projet de la fondation de 1995, Ndlr] s’empare des problématiques des quartiers populaires. Mais la fondation est d’abord présente pour creuser un sillon, pour peser sur ces problématiques, notamment sur la précarité. Parce que c’est une insulte de laisser la précarité se développer ! »
Propos recueillis par Jean-François Poupelin