Les Zapatistes, donneurs d'espoir
L’heure n’est pas vraiment exacte, le jour diffère parfois, à moins que ce ne soit le lieu… Et quand la journaliste finit par les trouver, elle se confronte à un « désolé, mais les zapatistes ne parlent pas à la presse ». Il est aussi interdit de les filmer, de les photographier sans masque, et d’enregistrer leurs propos. Les 160 zapatistes du Chiapas – dont 75 % de femmes – arrivés en octobre et qui vont sillonner l’Europe pendant trois mois, première étape de leur périple sur les différents continents, n’ont que faire des médias. Ils sont venus pour se concentrer sur une chose bien précise : rencontrer les groupes en lutte contre les politiques ultralibérales, et échanger avec eux. Cette aventure européenne a été baptisée le « Voyage pour la vie ». En Paca, ils sont passés par Longo Maï, le Château en santé, le Centre démocratique kurde, quelques Amap, l’Après M, Scop-Ti, etc.
Des luttes communes
le Ravi les a rencontrés le 22 octobre dernier, lors de leur passage à la Base, dans le 4e arrondissement de Marseille. Ce lieu a été créé en 2019 pour dynamiser les luttes sociales et écologistes. « Le mouvement zapatiste correspond à nos valeurs humaines, de respect de la terre et de lutte contre la domination des plus faibles », souligne Léo, l’un des référents de la Base. Partout en France, des collectifs citoyens se sont organisés pour trouver des fonds, financer les voyages depuis le Mexique et assurer toute la logistique de la venue. À Marseille, c’est la petite équipe du collectif « Jaguar phocéen » qui s’occupe d’héberger, nourrir, conduire çà et là, une délégation de 28 personnes. « Ils auraient dû arriver cet été, mais le voyage a été retardé à cause de la crise sanitaire, certains ont dû se refaire vacciner et d’autres ont fait face à des problèmes de visa », explique Thérèse, bénévole au Jaguar phocéen. Le Covid est aussi en tête, les jauges sont limitées pour éviter que la délégation ne tombe malade pendant le voyage. « Mais c’était important qu’ils soient là, ils sont le symbole d’une utopie réalisée. Leur chemin a été long mais ça nous donne un horizon. On se dit que ça peut exister », sourit Thérèse. Ces descendants du peuple maya ont fait ce long voyage pour partager leur expérience de lutte, de leur soulèvement en 1994, à la transformation sociale et politique qu’ils ont opérés au Chiapas et de leur autonomie.
Dans la salle de la Base, les zapatistes ont pris place d’un côté, et le Conseil national indigène qui les accompagne dans leur voyage, de l’autre. Masques sur les visages et carnets et stylos en main, ils écoutent attentivement et notent. Des bénévoles hispanophones se relaient pour traduire. Aujourd’hui, sont présents les collectifs « Plein le dos », « Désarmons-les », et le Conseil national de la Nouvelle résistance ainsi que des « Gilets jaunes ». C’est Gisèle, la cinquantaine, le fameux gilet sur le dos qui ouvre le bal. Elle rappelle la date du 17 novembre 2018, le déclencheur, la hausse du carburant : « On voulait une reconnaissance du peuple, plus de justices sociale et fiscale et vivre convenablement. » Puis elle raconte « la violence politique au cœur des débats publics », suivie des violences policières et des accusations en tout genre, qui ont étiolé le mouvement. Et Gisèle de conclure, amère : « On n’est rien quoi… » Une des membres du Conseil national indigène revêt alors un gilet jaune par dessus sa tenue traditionnelle. La salle applaudit. Après avoir écouté attentivement chaque collectif, les six zapatistes présents expliquent à tour de rôle leur histoire, celle de leurs ancêtres, indigènes, réduits en esclavage dont les terres ont été volées et les femmes violées devant ceux qui tentaient de désobéir. Puis la résistance qui s’est organisée dans la clandestinité pendant des années, d’abord dans les forêts. Jusqu’à l’Armée zapatiste de libération nationale et le soulèvement de 1994. La route a été longue, l’organisation minutieuse, ils ont avancé lentement mais sûrement. Leur emblème est l’escargot.
« Souffler sur nos braises »
Leur autogouvernement populaire s’est construit par opposition au « mauvais gouvernement » étatique et capitaliste. Ils racontent la mise en place des conseils populaires paritairement constitués d’hommes et de femmes, qui prennent les décisions à différentes strates, du village à la région, en matière de santé, d’éducation, d’agroéconomie, de culture et de communication. La salle est tout ouïe. Les zapatistes représentent la possibilité de faire société, autrement. Ils ont transformé leurs prisons en centre de réadaptation sociale, car pour eux chaque humain est réadaptable. « Nos enfants ne savent pas ce qu’est une prison », explique l’un d’entre eux. Chaque « hermana » et « hermano » [Soeur et frère de lutte. NDLR] est tenu d’agir selon sept principes : « Servir et ne pas se servir. Représenter et ne pas supplanter. Construire et ne pas détruire. Obéir et ne pas commander. Proposer et ne pas imposer. Convaincre et ne pas vaincre. Descendre et ne pas monter. » Le mouvement zapatiste concentre pas mal de luttes dans lesquelles les collectifs marseillais se reconnaissent : les droits des femmes, la reconnaissance des personnes trans, une place importante donnée à la culture, la bataille pour sauver les terres fertiles et contre les semences transgéniques… « Ils sont venus rallumer la flamme de nos luttes, souffler sur les braises », note Thérèse.
« Nos combats sont communs, chacun sur nos territoires, nous luttons contre des géants », expliquent Marcela et Nisa, deux déléguées du Conseil national indigène. Le CNI, créé au lendemain du soulèvement zapatiste, représente 68 groupes indigènes du Mexique, et autant de langues. Chacun se bat contre la mise en place de gros projets immobiliers, ferroviaires, éoliens qui, en expropriant ces peuples indigènes de leurs terres, drainent la violence et le narcotrafic. Et Nisa de conclure : « Nous venons pour témoigner et apprendre de vous. À notre retour, nous nous ferons le relais de vos luttes. Nous sommes là pour faire réseau, tous ensemble. »