Le Clip, c’est chic !
C’est le cri de joie du café-librairie marseillais Manifesten : « Ça, c’est fait ! » On se croirait dans L’An 01 de Gébé. A deux pas de la Plaine, à l’angle des rues Thiers et du Loisir, un immeuble vendu à la découpe. Classique ? Pas tant que ça. Car, au rez-de-chaussée, le collectif ayant donné une seconde vie au local des éditions Al Dante a réussi à le racheter l’an dernier.
En un temps record (à peine quelques mois), grâce à une levée de fonds mêlant dons et prêts individuels, les 150 000 euros nécessaires ont été réunis. Et ce, en intégrant le Clip, un réseau de lieux en « propriété d’usage » dont le fonctionnement permet de les soustraire à la spéculation et de les sortir du marché immobilier. Le Clip compte pour l’heure six projets – à Marseille, dans le Perche, en Bretagne – et lors de la dernière AG, une dizaine de lieux ont toqué à la porte. Avec pas mal de candidats en Paca. Alors ça marche. Mais comment ?
Le référent « nouveaux projets », c’est Malte. Un ancien de La Déviation, ce tiers lieu oscillant entre hébergement et résidence d’artistes à l’Estaque qui fut la première structure marseillaise à intégrer le Clip : « A l’époque, il n’y avait qu’un autre lieu. Mais, petit à petit, ça s’est étoffé. Le Clip s’inspire du Mitte Syndikat en Allemagne, une structure née dans les années 80 quand pas mal de squats se faisaient expulser. L’idée était de trouver une forme juridique pour les sécuriser en instaurant une propriété d’usage. En clair, qu’ils appartiennent à ceux qui le font vivre. Il y a désormais 150 lieux en Allemagne. La force du réseau est telle que, en cas de difficulté, on peut trouver 50 000 euros le temps d’une AG ! »
Interdire toute revente
Le Clip est aussi né « du constat que les collectifs meurent. Or, ce n’est pas une raison pour que les lieux meurent avec ». D’où un mécanisme assez basique : « Le collectif qui fait vivre le lieu monte une association d’usagers. Celle-ci crée, à son tour, avec le Clip, une troisième structure qui sera l’association propriétaire. C’est elle qui permet le rachat. Elle n’a que deux membres : l’association d’usagers et le Clip. Avec pour engagement, faire vivre le lieu et s’interdire toute revente. »
Via le réseau, s’instaure entre chaque lieu une solidarité. « Il n’y a pas d’argent qui transite via le Clip, précise Malte. On n’est pas comme avec l’Antitode, un fonds de dotation où c’est une structure centrale qui devient propriétaire de tous les lieux. Là, s’il y a transfert d’argent, c’est d’un lieu à un autre. Et on pourrait même imaginer, en cas d’épuisement d’un collectif, un transfert solidaire de lieu. » Ne pas revendre, donc mais s’organiser pour retrouver des forces.
Si, en Allemagne, nombre de projets tournent autour des questions d’habitat, ici, « on a plutôt affaire à des projets liés à un engagement militant, des modes de vie alternatifs ». A l’image de La Déviation et de Manifesten. Le rêve de Malte ? « Un projet classique d’habitat avec le rachat d’un immeuble dans le centre-ville de Marseille. Ce qui le sortirait du marché et de la spéculation. »
A l’AG, début 2022, nombre de candidats venaient de Paca : « Ça tient au bouche-à-oreille. Quand les gens ont un projet de rachat, ils organisent des rencontres, des soirées de soutien… Ce qui met la puce à l’oreille à d’autres personnes. » Toutefois, aucun des lieux du coin ne devrait à court terme intégrer le Clip. Comme « Mémoire des sexualités », un fonds LGBT qui cherche à acquérir un nouvel espace pour pérenniser 40 ans d’archives. « On a renoncé à intégrer le Clip car on a eu la chance d’avoir une donatrice nous apportant l’intégralité de la somme nécessaire », explique Clem’s, une militante.
Zone en tension
Petit cousin de l’Embobineuse, la scène alternative marseillaise, Data a hésité entre le Clip et l’Antidote. Car, derrière, il y a un mécène prêt, s’il avait pu défiscaliser via un fonds de dotation, à apporter l’intégralité de la somme nécessaire au rachat ! Ce ne sera pas le cas. Et l’adhésion au Clip de s’éloigner puisque le collectif faisant vivre ce lieu spécialisé dans les musiques expérimentales vient de signer le compromis de vente, devant encore trouver la moitié de la somme d’ici la rentrée. « Mais on n’oublie pas le Clip car on reste attaché à l’idée de propriété d’usage », nous dit un des membres.
Le Fenouil à vapeur, une cantine solidaire qui existe depuis 15 ans à Avignon s’est aussi rapproché du Clip. Car l’an dernier Citadis (qui associe le Département et la ville), n’a pas souhaité renouveler le bail précaire du collectif. « Intégrer le Clip nous tenait à cœur mais on a été pris par le temps, soupire Mélanie. Notamment avec la menace d’une expulsion. On ne se voyait pas dans ces conditions lancer une collecte de fonds. On s’est donc rapproché d’un partenaire plus « classique » qui nous permet de renouer le dialogue avec la municipalité. »
Dernier candidat ? Un centre de santé communautaire à Oraison (04). Un projet plutôt atypique, reconnaît Fanette : « Parce qu’on est dans le domaine de la santé et parce que cela impliquerait des acteurs publics. On est dans une zone en tension concernant la couverture médicale et nous, professionnels de santé, on a envie de travailler ensemble depuis des années. Mais on n’a rien trouvé à la location et réhabiliter de l’ancien reviendrait trop cher. On a fini par trouver des locaux qui, bien aménagés, seraient parfaits. Sauf qu’on n’a pas envie d’être propriétaire. Notre vision de la santé, c’est de lutter contre toute forme de privatisation. » D’où la volonté pour ce projet de 1,5 millions d’euros d’intégrer le Clip.
Las, mi-mai : « On a eu une réunion avec les principaux financeurs – l’ARS, la Région, la Préfecture… – et ils refusent de nous financer ! Alors qu’on voit des maisons de santé se monter… sans médecin ! Ce qui nous est proposé ? Travailler sur plusieurs sites mais on sait que ça rendra tout échange plus compliqué. Chercher ailleurs mais, dans des zones moins en tension, les aides sont moindres. Ou attendre que sorte de terre l’éco-quartier du maire où il nous propose de nous installer. Mais ce sera trop tard ! »
Pas de quoi surprendre « Isa » à Manifesten : « Si, pour nous, le rachat a été rapide, il ne faut pas oublier que, derrière, il y a eu un travail colossal. On n’avait pas le choix. L’immeuble était à vendre, il y avait une autre offre et on savait que notre bail ne serait pas reconduit. La seule solution, c’était racheter. Mais on ne voulait ni d’un rachat « classique » ni passer par les banques. Nous voulions, dans un quartier marqué par la gentrification, rendre Manifesten invendable. Que ce ne soit plus un bien mais un lieu qui s’inscrit dans cette lutte mais aussi dans un réseau plus large. » Et ça c’est fait !
Plus d’info : clip.ouvaton.org/