Moi, Philippe Lucas, la tête sous l’eau
« Seul sur le sable, les pieds dans l’eau, le rêve était trop beau… » Lunettes de Michel Polnareff, cheveux longs coiffés en arrière pour cacher une calvitie naissante, t-shirt sans manche à tête de léopard et jambes dans le vide, Philippe Lucas passe son spleen post olympique au bord du bassin nordique du pôle nautique de Martigues. Il vient de s’installer dans la ville communiste pour préparer les JO de 2024 avec son équipe bigarrée de nageuses et nageurs d’eau libre après des jeux une nouvelle fois sans saveur. La piscine aux dimensions olympiques est heureusement en cours d’achèvement. Avec la breloque qu’il porte sur lui – colliers, bracelets et bagouses –, l’ancien entraîneur de Laure Manaudou a assez de poids pour rester au fond de l’eau !
Raaaa, j’y arrive plus ! A part Sharon (1) qui fait deuxième du 10 km à Tokyo, après l’or de Rio, nada. Des titres européens et des podiums aux championnats du monde à la pelle, mais aux JO c’est walou depuis Laure et ses trois médailles à Athènes en 2004. Mon plus beau moment et « le début d’une histoire » (2). Il suffisait que je la regarde avec mes yeux bleu-acier et que je lui dise « nage ! » Championne d’Europe, du monde, olympique… Et pis grâce à elle, la gloire et le blé : tête de gondole pour Direct Energie et l’Afpa, commentateur et chronique sportif à la télé, deux-trois piges pour Hanouna. J’ai même eu ma marionnette aux Guignols ! Mais depuis le départ de ma petite sirène, j’ai perdu mon mojo olympique. « Une compétition qui peut changer ta vie. C’est tout ! » (2)
Feignasses
Laure m’a quitté en 2007 pour une amourette, juste avant les jeux de Pékin. « Un entraîneur peut tout gérer sauf les histoires de mecs » (3)… « Si elle ne part pas, ça fait des titres en plus c’est sûr » (2). « Au final, Laure a fait 50 % de sa carrière » (3). Elle a aussi accumulé les mecs et les bêtises. « C’est con, mais comme elle dit, c’est la vie » (3). Pareil pour sa grande rivale Pelligrini, qui me jette un an avant les jeux de 2012, et qui se rate complètement elle aussi. Sans parler des disqualifications et quatrièmes places pourraves. « Au final, je n’ai pas une grande histoire avec les JO » (2)…
En même temps, je ne suis pas vraiment aidé. En particulier avec ces feignasses de Français ! Marc-Antoine Olivier, je ne comprends pas… L’année dernière il fait vice-champion du monde du 10 km et là il explose en plein vol. Bon, pendant que l’Allemand s’entraînait en altitude pour se faire la caisse, lui s’habituait à la chaleur de la baie de Tokyo dans un jacuzzi installé sur son balcon. Et pourquoi pas dans sa baignoire ! Quant aux deux autres, David Aubry et Lara Grangeon, qui ont abandonné… « C’est des feignasses et pis c’est tout » (4) !
On dit que je suis dur, que mes entraînements sont intenses, que les bassins fument quand mes nageurs sont dans l’eau, que ça gueule sur le bord des piscines. Certains affirment même que je dégoute mes nageurs, qu’ils ne prennent plus de plaisir… Que c’est pour ça que certaines partent ou raccrochent. C’est toujours autre part, mais au final… « Au final, il vaut mieux nager quatre ou cinq ans et faire un palmarès que nager pendant 12 ans et ne rien faire ! » (2)
« On n’est pas champion olympique en enfilant des perles ! »
« Le problème, c’est que quand vous êtes en haut et que vous gagnez et que vous n’arrêtez pas de gagner, à un moment vous vous sentez au dessus. [Mais] le rêve, ça fait pas gagner des médailles ! » (5) « Il faut s’entraîner dur, le reste c’est des conneries ! » (6) « Si on veut être champion d’Europe, du monde ou champion olympique, si on veut battre les Australiens, les Américains, les Chinois ou Japonais, ce n’est en enfilant des perles ! » (2) « Moi je ne me remets pas en question. Je fais mon travail, [les nageurs] gagnent des titres. Après, chacun sa vie. » (6)
Bon, la mienne, maintenant, c’est Martigues. Voilà, une ville communiste. Peut-être la dernière, je sais pas. En tout cas, les cocos c’est bien parce qu’ils mettent du fric dans le sport. Et pis « il y a aussi une question de rencontre humaine. Un lien d’amitié s’est créé avec le maire. Je veux être dans un endroit dans lequel je me sens bien et en confiance. » (7) « Vous savez, quand un truc ne m’a pas plu… » (8) Tiens, comme à Montpellier, d’où je viens. Au moment d’attaquer la saison, en septembre dernier, paf, ils me vidangent la piscine ! « Cette histoire ne passera jamais. C’est honteux. Sans compter que j’ai commandé des appareils de musculation que j’attends encore. Et que je devais avoir un bassin de 50 m, que j’attends aussi encore. Ils ont dû oublier d’appeler la pelleteuse. » (8)
Pourtant, comme dit Gaby (9), « je suis agréable, franc et direct. C’est simple de discuter avec moi » (9). Surtout quand on me donne ce que je veux. A Martigues, ils ont dit oui à tout, y compris le salaire qui va avec mon palmarès (10). Le maire dit qu’il s’agit d’une opération à moindre coût, mais ça reste à prouver. A Montpellier, ils ont arrêté les frais parce qu’ils étaient dedans de près de 500 000 euros en cinq ans.
Travailler le souffle
Les cocos m’offrent surtout les infrastructures dont j’ai besoin : un bassin olympique en extérieur, une salle de muscu, six couloirs de nage six heures par jour, des studios pour les nageurs… Il y a aussi l’aéroport juste à côté pour les déplacements et on m’a parlé de petits atouts moins visibles mais intéressants pour durcir le travail. Comme le mistral qui va souffler sur le bassin et les pollutions atmosphériques – bagnoles, industries – qui permettent de travailler le souffle. Sans oublier les rejets d’eau douce d’EDF qui foutent en l’air l’écosystème de l’Etang-de-Berre, où se dispersent les poissons morts comme autant d’obstacles pour les nageurs. Moi ça me va. « Plus les conditions sont difficiles, mieux c’est pour nous » (11).
Au final, y a largement de quoi pousser mes nageurs au maximum et vers les JO de 2024. Peut-être mon ultime défit. Sûr, avec les cocos j’vais retrouver mon mojo ! Ça va pas être Camping Paradis (12) au centre nautique !