Moi, Nicolas Anelka, décramponné

Président Coach Bâtard (rayer la mention inutile),
Je voulais jouer au football. Mais tu as voulu jouer à ça.
Alors on va jouer à ça. Pas de problème.
Quand tu – je te vouvoyais avant, c’était du respect – m’as demandé de venir dans ton club, tu connaissais mon palmarès et mon caractère. « Le Che » disent mes copains du foot (1). « Sans doute plus celui des t-shirts que celui de la jungle bolivienne (2) » disent mes détracteurs. Mais tu vois, je m’en fous. Je suis le footballeur de toutes les ruptures et de tous les records. J’ai grandi à Trappes dans la banlieue de Paris. Je jouais au foot sur la plaine près de ma maison, tous les jours, même quand le terrain était gelé.
À 13 ans, je passe direct du FC Trappes à l’Institut national du football de Clairefontaine. Tu imagines ce que c’est, quitter ta famille quand tu es au collège, pour aller vivre au milieu de 23 gars qui sont autant des copains et des concurrents dans le monde du travail ? À 13 ans ?? « Quand t’es dans un centre de formation, je suis désolé, mais c’est la guerre (3) » À 16 ans, j’intègre le PSG, avec Rai, Weah, Lama (4), c’était déjà une équipe de monstres à l’époque. Je m’entraîne avec les pros. Mais comme on ne me fait pas jouer à ma juste valeur, je claque la porte pour Arsenal. Individualiste ? Égocentrique ?? « Il a un caractère extrêmement fort quand il s’agit d’imposer ses opinions. Ça peut aller à l’encontre de la pensée collective ou d’une certaine hiérarchie (5). » Peut-être bien. « Quand tu es jeune, on t’explique que le foot est un sport collectif. Mais c’est faux. Tu es toujours tout seul. Nico, il a compris ça dès le premier matin (6). »
Toutes les instances du foot français et européen veulent m’empêcher de partir. Le petit jeune qui refuse de signer dans le club qui l’a formé ?? Ben ouais mec. J’ai pas de contrat, et l’arrêt Bosman (7) ça s’applique pas qu’aux adultes… J’arrive à Londres, j’ai 17 ans. Je râle de pas jouer assez. Un jour je refuse même de monter dans le bus, mais Wenger (8) me convainc de m’accrocher. « Quand t’es attaquant t’as besoin de savoir que tu as un coach qui va te soutenir dans les moments difficiles (1). » Je gagne en confiance, j’explose tous les compteurs de buts avec un doublé coupe-championnat, le Graal ultime du foot anglais.
Là le Real me veut. Je pars pour Madrid, plus gros transfert de l’histoire du foot à l’époque. La presse est en furie. Mes coéquipiers, eux, c’est des loups, ils m’accueillent pas avec des fleurs. Mais je m’accroche. Sur le terrain et aussi avec la direction. Ils veulent pas m’expliquer pourquoi je joue si peu ? Je fais la grève de l’entraînement ! On finit par trouver un terrain d’entente, et je fais mes preuves, je qualifie le club pour la finale de la Ligue des champions, pardon !
« Je préférais être libre sur le terrain. »
Le PSG me veut absolument. Je repars à Paris. Deuxième plus gros transfert de l’histoire t’as vu ça ? Mais je finis par m’engueuler avec l’entraîneur. Je file pour une pige à Liverpool. J’aurais voulu y rester, j’étais bien. Mais on me laisse pas ma chance. Une autre pige en Turquie, retour en Angleterre, je finis par remplacer Drogba à Chelsea (9). « Chelsea ce n’était pas familial comme Arsenal, c’était un état d’esprit beaucoup plus lucratif, et son caractère un peu froid s’y est très bien accordé (1) » qu’ils taclent les journalistes anglais.
Mais tu sais quoi ? Ils ont un peu raison. Sept buts en neuf matches de Ligue des champions ! Après, qu’est-ce que j’avais à prouver… Rien. Alors j’ai multiplié les contrats surpayés aux quatre coins du monde : Chine, Inde, Italie – avec la Juventus de Turin quand même, Angleterre, encore…
Alors OK, il reste l’équipe de France. Tu peux pas comprendre Anelka si tu le comprends pas en équipe de France.
Quand je suis pré-sélectionné en 1998 et finalement pas retenu, je quitte Clairefontaine tranquille, furieux de pas avoir eu d’explication mais pas triste. J’y reviens pour de bon à l’Euro 2000. Et puis la diète. Jusqu’à ce que Domenech devienne coach. Le gars, je lui avais dit cash avant le mondial : « Je préférerais être libre sur le terrain. »Le problème, c’est que tout le monde veut jouer libre dans cette équipe (10) » » qu’il m’a répondu. Mais qu’est-ce que j’y peux si un coach a pas d’autorité sur ses gars, s’il est tellement cramé qu’il laisse la sélection en roue libre ! Fatalement quand, à la mi-temps de France-Mexique, il me reproche de pas tenir ma zone à la pointe de l’attaque, je l’envoie bouler ! Mais j’ai jamais dit ce qu’a imprimé L’Équipe (11), il l’a reconnu lui-même !!! Sauf qu’il a pas démenti, sur le moment… « Il cherchait un mec pour prendre les coups à sa place (10) ».
La suite, tu la connais. Mis compañeros futbolistas, solidaires, qui font la grève de l’entraînement. Les indignations de la ministre des Sports, du président de la République, les éditos sur les « caïds immatures et les gamins apeurés ». Tu sais quoi ? Ça me fait presque marrer. Ils voudraient que le foot soit meilleur que la société, meilleur que la politique. Meilleur que vous tous ?? Beaucoup de gars, un truc comme ça, ça les aurait brisés. Moi je me suis accroché. Je suis devenu entraîneur-joueur. Puis coach d’attaquants. J’ai passé mes diplômes d’entraîneur. Et là tu me vois, directeur sportif.
Je l’avais dit, « je veux m’inscrire à Hyères dans la durée (12) », « il faut être sérieux, travailler, ne pas lâcher l’affaire et être fort mentalement. Le mental, c’est 90 % du métier de footballeur (12) ». Mais aujourd’hui tu me demandes de jouer / entraîner / tourner un clip / sourire à la caméra (rayer la mention inutile) ??? « [Je me] réclame des exigences du haut niveau, mais [je] m’oppose régulièrement à la discipline d’un sport collectif (2) » ?? Je peux pas tolérer ça.
Je te signifie donc par la présente ma démission avec effet immédiat.
On se reverra au paradis des footeux, tu me regarderas par en dessous.
Lieu
Date
Signé : Anelka