Moi, Mourad Boudjellal, "héroïc" repreneur
Excellences, altesses, prenez place. Et vous aussi, tovaritchi (1), je sais que ça ne se dit peut-être plus trop, mais c’est le seul mot que je connais en russe… [Rires, brouhaha] Messieurs, je sais combien votre temps est précieux, je ne vais donc pas en abuser, je vous suis déjà éternellement reconnaissant d’avoir trouvé un moment commun dans vos agendas pour me retrouver ici. Vous le savez, depuis plusieurs semaines, j’ai pris mes distances avec les tentatives de rachat de l’OM par Mohamed Ajroudi (2). Mais je ne suis pas une fiction comme Jack Kachkar (3). Je garde le club solidement arrimé dans ma ligne de mire. Je serai bref : en quelques minutes de votre temps précieux, je vais vous expliquer pourquoi le moment est venu pour vous d’investir dans l’Olympique de Marseille ; et je vais vous expliquer pourquoi je suis la personne que vous devriez nommer à la tête de votre futur club.
L’OM d’abord : dans le football européen, il n’y a pas d’autre club à la notoriété mondiale qui soit à ce point achetable. Vous connaissez les chiffres, je ne fais donc que vous les résumer : entre 3 à 6 millions de fans répartis dans le monde entier (4), 90 millions d’euros de déficit sur un budget de 240 millions la saison dernière (5). Le seul club français à avoir remporté la Ligue des champions, mais depuis, au niveau continental : une coupe Intertoto [Rires] – oui je sais moi aussi ça me le fait à chaque fois ! – trois finales de C2 (6) et c’est tout. Le déséquilibre est net : l’OM est un grand club avec une image extrêmement puissante, plus forte encore que celle du PSG, mais il manque de moyens. Il porte le drapeau d’une ville et d’un peuple rebelle, qui n’a pas le clinquant de la Tour Eiffel et des Champs-Elysées mais qui est authentique, ce qui est à la fois une force en termes d’image et une faiblesse pour sa puissance de feu. Nous le savons tous : même avec la mise en place du fairplay financier (7), il s’agit toujours et avant tout d’argent. Transformer le club emblématique d’une ville populaire en machine à gagner, nous savons tous que cela est possible. « L’OM, c’est 130 millions de produits, Lyon, deux fois et demie ça. Pourtant, Lyon ce n’est pas deux fois et demie Marseille (8) ! » Voyez comment sont gérés les transferts à l’OM ! N’importe comment ! « Le vrai prix d’un joueur, c’est la différence entre ce qu’il coûte et ce qu’il rapporte. Vous savez ce que rapportent les produits Messi ? Si vous voyez un maillot OM avec Messi floqué dessus, vous l’achetez ? Ça fera déjà 85€ de moins sur son prix … Quel serait le taux de remplissage du Vélodrome avec Messi ? Et l’image du club en termes de produits publicitaires (8) ? » Réussir la greffe entre la démesure parisienne, l’efficacité économique lyonnaise et la ferveur marseillaise est possible. Mais pour cela il faut un dirigeant à la hauteur de ce défi. Et je suis cette personne.
« J’ai connu ma première sodomie arbitrale… »
Je suis né d’une famille où se sont rencontrées Algérie et Arménie, pour s’installer à Toulon, le port militaire français de la Méditerranée. J’ai été très tôt passionné de bande dessinée, attention pas seulement ce que vous connaissez des comics américains, mais aussi et surtout la veine franco-belge. J’ai ouvert une librairie spécialisée, puis lancé ma maison d’édition. Mon premier coup de génie ? Rééditer les aventures de Rahan, un homme préhistorique qui paraissait dans un hebdo communiste, et dont tout le monde avait oublié l’existence. Le couteau d’os arraché à la faucille et au marteau [Rires]. Mais ça a cartonné : 8 000 exemplaires en trois jours ! À partir de là j’ai commencé à publier tous azimuts. Les mauvaises langues dans le milieu disaient que je publiais n’importe quoi, n’importe comment, 99 merdes par an en me disant que statistiquement y aurait un diamant pour compenser… Ils n’avaient pas tort ! [Rires] Je ne compte plus les séries lancées et jamais finies, mais celles qui ont vu le bout, pardon ! La saga heroïc-fantasy de Lanfeust : 14 millions d’exemplaires ! En même pas vingt ans, ma boîte a atteint les 40 millions d’euros de chiffre ! Oui je sais pour vous, ça paie à peine le savonnage du pont sur le yacht [Rires]… Mais pour un petit gars comme moi qui pouvait se payer sa première Porsche, pardon !
Et d’un coup en 2006, la bascule : je deviens président du club de rugby de ma ville. D’entrée de jeu, gros coup : j’arrive à faire venir le capitaine des All Blacks (9) pour une pige de quelques matches. Bien que le club soit en D2, j’enchaîne les transferts de prestige, et je le fais remonter fissa en D1. Au bout de trois saisons, j’arrive à faire venir Jonny Wilkinson (10), et là, la machine est partie : trois coupes d’Europe – consécutives, un record ! – un championnat de France… [Applaudissements] Merci, merci. Et tout ça dans un sport dont je ne connaissais absolument rien et auquel je n’ai jamais joué, je suis une pure escroquerie !! [Rires]. Ma technique, en plus des coups d’éclats, vous la connaissez. C’est un peu celle du Mourinho (11) de la grande époque : jouer sur ma grande gueule pour attirer l’attention et servir de paratonnerre à mon équipe, qui peut bosser tranquillement.
Parce que pour la tchatche, j’en ai en réserve ! Les arbitres qui plantent le RCT par exemple. J’ai parlé de « sodomie arbitrale (12) », précisant même que « la deuxième fois fait mal aussi » [Rires]. Ça m’a valu quatre mois de suspension de terrain et 3 000 € de dommages et intérêts à l’union des arbitres. Faut croire que j’aime ça puisque je dois même payer pour les recevoir ! [Rires]. Tout ça pour vous montrer que dans cette Marseille toujours orpheline après le départ de Nanard Tapie, dans un club dont l’un des chants les plus célèbres est « Ho, hisse, enculé ! », je serai là où je dois être. Pas comme ces demi-sels d’ex-journalistes, mauvais communicants ou intermittents du patronat qui ont trop longtemps squatté le fauteuil de président de l’OM. Le seul homme dont je m’inspirerai sera Pape Diouf. Il a été le premier à montrer qu’un Africain peut diriger un des plus grands clubs de foot d’Europe. Je serai le premier à prouver qu’un français fils d’immigrés peut tenir la barre de l’OM, et le ramener là où il n’aurait jamais dû cesser d’être : au sommet. Maintenant messieurs, je vais vous laisser réfléchir et discuter entre vous, je sais que vous avez des avions à prendre sans tarder. J’ai confiance dans votre jugement. Allez l’OM !