Moi, José Anigo, « le crampon de l’OM »
Ils me doivent tout à moi ! Encore heureux qu’il m’ait pas viré Labrune, sérieux. Ah ah, même que le président m’a remercié devant toute la presse lors de la présentation du nouvel entraîneur, que j’ai bien sûr choisi, Elie Baup. « José Anigo a fait du bon boulot à l’OM quoi qu’en disent ses détracteurs. Aujourd’hui, je pense que c’est la bonne personne pour faire redémarrer la machine » (1), qu’il a dit. Le con, de toute manière il n’avait pas d’autre choix que de me garder. Oh, les gars moi je suis en CDI, soumis au droit du travail ! S’il avait voulu me virer moi, plutôt que Deschamps, il aurait dû soit passer par la case prud’hommes, soit ne pas me remplacer. Et pas de directeur sportif dans un club comme l’OM c’est comme un apéro sans flaï.
Non, pour de bon, comment virer un professionnel comme moi ? Je vous rappelle que je suis un « minot » de l’OM. A l’époque j’avais 23 ans, un peu plus de cheveux, mais fallait déjà pas m’emmerder. J’étais défenseur, et casser des jambes avec mes pointes bien acérées, ça me dérangeait pas. Et donc avec mon pote Di Meco et les autres, on a quand même remonté le club en première division. Bon ok, après j’ai fini à Cassis Carnoux et à l’US Endoume. Pas une carrière fantastique mais suffisamment pour qu’on se souvienne de moi à l’OM. Et que le club m’appelle pour devenir entraîneur en juillet 2001… pour trois mois. Bernard Tapie était alors en pleine opération « retour du sauveur », après le fiasco du match truqué Marseille-Valenciennes. Mais Nanard et moi, c’était pas ça…
Puis on m’a rappelé en janvier 2004 alors que l’équipe était au plus mal. Et là, mes petits potes, on pourra pas dire que j’ai pas fait le job : finale de la coupe UEFA. On s’est fait les rosbeefs de Liverpool et Newcastle et même les ritals de l’Inter Milan avant de se faire étaler par Valence. Mais l’état de grâce n’a pas duré. Six mois après et deux défaites contre Paris plus tard, on me lourdait. Et dans une logique implacable, on me nommait directeur sportif la saison suivante. Depuis, c’est moi qui définis le projet sportif du club, qui recrute les futures stars. Mandanda, Loïc Rémy… c’est moi ! Valbuena ? Le nabot, je suis allé le chercher à Libourne-Saint Seurin, un club de DH, l’équivalent de la 6èmedivision… Et sept ans et cinq entraîneurs plus tard, je suis toujours là, même si ça en escagasse plus d’un.
À commencer par les supporters. À la fin de la saison, les « Anigo casse-toi », « Âne igo » et j’en passe étaient légion. A croire que j’étais le seul responsable ou presque de cette saison pourrie. Et ça fait un moment que ça dure. Y en a même qui ont créé un blog sur l’Internet pour m’en mettre plein la tronche : « Stoppons Anigo : stop aux nigos (sic) » (2). Encore des illettrés ! En attendant, c’est moi qui possède les réseaux et quand y a le feu avec les supporters, c’est Bibi qui joue au pompier. C’est pour ça que je suis incontournable.
« J’ai plutôt tendance à dire les choses entre quatre yeux que de faire dans le cul des gens… »
Paraît-il qu’on m’en veut aussi pour mes sombres relations avec le milieu et avec des agents véreux qui prennent des commissions sur des transferts alors qu’ils connaissent à peine le joueur… Ce qui minerait l’organisation du club… Et puis quoi encore ? Ce serait moi la taupe qui fayote toutes les adresses des joueurs aux mafieux pour qu’ils aillent cambrioler nos enfants gâtés préférés ? Bon, de toute manière qu’on me parle pas de mafia, de parrain, de Corse tout ça. VSD a bien essayé avec leur article de l’année dernière : « Le parrain se rebiffe. » Ce torchon évoquait l’implication de mon minot dans des vols avec violence et des liens supposés avec un type fiché au grand banditisme. Résultat : 6 000 euros d’amende pour injures à ces cons de Parisiens. J’te le dis, faut pas me faire chier à moi.
Non, celui qui doit vraiment marronner, c’est Deschamps. Me voir pendant l’été revenir sur le devant de la scène, choisir son remplaçant tout ça… Tout en perdant plus de la moitié de son salaire pour aller s’occuper des sales gosses de l’équipe de France (3). Un vrai panier de crabes. Il l’a bien mérité le couillon après m’avoir cherché des noises pendant trois ans. Le mec se permet de pleurnicher en conférence de presse, comme quoi il ressentait un manque de soutien au sein du club (4). Même pas les couilles de me nommer directement le Basque.
J’ai pas attendu bien longtemps pour répondre devant les journalistes : « Déclarer des choses comme ça c’est de l’irresponsabilité, c’est de la connerie. […] J’ai plutôt tendance à dire les choses entre quatre yeux que de faire dans le cul des gens, c’est pas mon truc ça. […] J’en ai plein les couilles. » (5) Mea culpa, « dans ce métier toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Malgré tous mes défauts, je suis un homme direct et je dis souvent ce qui me tient à cœur, en n’y mettant pas les formes requises. » (6) En fait, les gens n’ont pas trop compris les raisons du clash. Deschamps et moi, on peut pas s’encadrer, c’est comme ça. Lui m’en voulait car il pensait que je lui savonnais la planche, que j’attisais les tensions entre lui et certains joueurs ou encore que j’incitais les supporters à en lui mettre plein la gueule (7). Vous me direz : « crâne d’œuf QI de poule ! » En attendant « certains ont pensé qu’ils utilisaient le naïf de service. Mais à l’arrivée, qui a utilisé l’autre ? » (8).
Tout ça c’est du passé. On n’est pas tranquille là, à la montagne, avec les canards au bord de l’eau ? Je suis « heureux de pouvoir retravailler normalement, l’ambiance est moins pesante. On a retrouvé un climat sain » (9). Je suis tellement bien, que je me suis permis de prendre quelques libertés, du genre l’interdiction des crêtes de cheveux pour les joueurs. De toute manière, on peut pas faire pire que l’an dernier. Enfin je crois. Et Baup, il risque pas de me faire chier, « c’est un homme de dialogue, de partage, qui fait l’unanimité » (10).
Non, ce club, il est « ancré dans mes entrailles, même si je sais que cette histoire se terminera un jour » (6). Et peut-être que j’irai « reprendre un club ou une sélection. […] Mais je n’entraînerai plus jamais l’OM, non pas qu’il y ait trop de contraintes sportives, mais plutôt extra-sportives » (11). Mais souvenez-vous, j’avais déjà dit que je quitterai le club si l’ancien président Pape Diouf se faisait la malle. Il est parti et je suis toujours là. J’ai regardé les chiffres sur ma fiche de paie et je me suis dit que c’était peut-être pas la meilleure idée. Et tant que Margarita elle alignera, vous continuerez à vous cogner Anigo. Y a une citation – comme quoi je sais lire aussi – à côté de mon bureau qui dit : « Le succès n’est jamais total, l’échec jamais complet ; il n’y a que le courage qui compte. » (6) Je vous en souhaite bien, du courage.