Moi Patrick Fiori, le sosie corse
Samedi 24 juin, Patrick Fiori se promène dans les rues de Fréjus (83) où le soir même il se produira sur scène avec le Chœur du Sud dans les Arènes de la ville frontiste (1), pour un concert exceptionnel. Des passantes l’interpellent en hurlant « Patriiiick !!! » (2).
Basta ! Ça m’agace ! Je ne me retourne même plus lorsque l’on m’appelle comme ça. Mon nom c’est Fiori pas Bruel. Ok, nous sommes deux bruns ténébreux, on se ressemble physiquement, mais dès que j’ouvre la bouche on se rend bien compte que j’ai l’accent marseillais. « Bien souvent j’oublie la distance / Qui m’a fait quitter les rues de l’enfance / Je suis parti loin pour saisir ma chance / Mais pas assez pour ne plus que j’y pense / Oh ! Marseille. » (3).
« J’ai passé toute mon enfance dans la cité Air-Bel [Marseille 11 ème. Ndlr], un lieu unique où vivent en harmonie plus de 70 nationalités. Le melting-pot est partout. Dans les rues d’abord, avec les odeurs et les saveurs de couscous, de boudin créole, de kechkeg… mais aussi à la maison. » (4). Né de père arménien et de mère corse, « à l’école, personne ne savait prononcer mon nom : Chouchayan. Alors à 14 ans, j’ai demandé à mon père si ça le dérangeait que je prenne le nom de jeune fille de ma mère. [Fiori. Ndlr] qui veut dire “fleurs” en italien » (5).
Adulte, j’ai demandé à mon père de me raconter notre histoire arménienne : « Tout le village avait été massacré. Et dans la dernière maison, tout le monde était en train de prier autour du chaudron parce qu’on allait venir nous massacrer aussi… » Et puis, non, « ils nous ont oubliés. Ils ont oublié une maison, celle des Chouchayan […] C’est l’histoire de ma famille et c’est mon histoire aussi » (7). Je suis un « rescapé » du génocide (7).
« Gentil mais pas con »
Attablé à une terrasse de café dans le centre ancien, un vieux Fréjussien l’interpelle de nouveau : « Je vous ai beaucoup aimé dans Le coup de Sirocco » [Film dans lequel a joué Patrick Bruel.Ndlr]. Poli, Fiori sourit mais s’agace une fois de plus. « Gentil mais pas con. On a tendance à dire des gens qui sourient qu’ils sont gentils, peuchère, les « pôvres »… Je ne suis ni « pôvre », ni peuchère. » (8) À l’adolescence, on est partis vivre en Corse, à Cargèse, d’où ma mère Marie-Antoinette est originaire, de même qu’un berger fort célèbre… Yvan Colonna ! « D’où que l’on soit, la Corse est un bloc de granit tendu vers le ciel comme un défi ou une prière. » (9) Désormais, j’ai une maison à Alata, près d’Ajaccio. Je l’aime, ma Corse, et elle me le rend bien.
Ici, quand Bruel vient en vacances, on l’appelle Fiori toute la journée et on le gave de canistrelli jusqu’à ce qu’il chante du I Muvrini la main sur l’oreille ! En 1993, j’ai été classé 4ème au concours de l’Eurovision et le premier à représenter la France en interprétant une chanson en français et en corse (6). Mama Corsica, louange à mon île, paroles et musique de François Valéry, ça pète. Enfin à l’époque, parce que maintenant on ne sait plus qui c’est. Mon île telle une mère prenant pitié de tous ceux qui viennent à elle : « Mama Corsica / Stasera cantenu in corsu per te / Mama Corsica / Au nom de l’amour et au nom de l’amitié / Mama Corsica / U mondu n’a occhi sta sera che per te / Mama Corsica / Comme si le monde chantait en corse pour te saluer. » (10)
Mon île de beauté, je l’aime tellement qu’en 2015 j’ai réalisé un album entier à son honneur : Corsu Mezu Mezu (11), des chansons du répertoire corse interprétées par des artistes insulaires et du continent. « J’ai voulu recréer un pont artistique qui existait mais qui était fragilisé, je trouve, entre la Corse et le continent. » (12) Et je vous laisse deviner avec qui je chante le titre phare Corsica ? Avec Patriiiick bien sûr ! Et dans le clip, je lui ai même fait jouer le rôle de mon frère (11). Une main sur l’oreille, il entonne haut et fort : « Face sempre tant’inviglia / Ssu scogliu ciottu in mare / Tesoru chì spampilla / Sacru cume un altare / Calma, dolce cum’agnella / Generosa è accugliente / Si rivolta è si ribella / S’omu disprezza a so ghjente / Corsica. » Et de traduire : « Il fait toujours tellement envie / Ce rocher dans la mer / Trésor étincelant / Sacré comme un autel / Calme, douce comme un agneau / Généreuse et accueillante / Elle se révolte et se rebelle / Si l’on méprise les siens / Corsica. »
« Et les racines pour moi c’est important, je les cultive, je les arrose vraiment, ce n’est pas quelque chose que je refuse de voir » (13). « Le racisme ou on l’occulte, ou on s’en sert pour faire valoir son héritage. Moi, je suis fier de toutes ces richesses différentes. » (14)
Une Fréjussienne s’arrête, surprise : « Mais c’est vous qui chantez cette chanson corse en duo avec Patrick Fiori ! »
Peuchère ! J’abandonne ! Patrick (Bruel) lui-même m’avait conseillé d’éviter les villes frontistes (2), mais « je crois qu’il ne faut pas tout mélanger, les gens ont besoin d’écouter de la musique quel que soit leur bord politique. La musique adoucit les mœurs » (15). Bon en juillet 2015, mon tourneur a annulé le concert varois de Cogolin (16). Mais ce soir à Fréjus, avec les 500 choristes du Chœur du Sud on va mettre le feu ! Et puis j’ai déjà joué à Orange (84) chez Bompard ou encore à Bézier (34) chez Ménard… D’ailleurs c’est dans ses arènes que j’ai tourné le clip de mon titre Choisir. Bon j’ai merdé, en 2006 j’ai signé sur un plateau télé de Drucker à Marseille une pétition pour abolir la corrida et j’ai même déclaré : « C’est tellement évident que je signe ! C’est trop horrible ! » (17) Et puis neuf ans après je mets en scène un torero dans mon clip pour illustrer le courage. Forcément les anti-corrida me sont tombés dessus. Ils m’accusent d’avoir « esthétisé » la scène sans montrer « les atrocités de la corrida » (18). Pas faux. « Le vrai courage est parfois celui de choisir. » (19) Vé, il faut croire que parfois je choisis mal…
Portrait publié dans le Ravi n°153, daté juillet-août 2017. Pas de presse pas pareille sans votre soutien, abonnez-vous !