Keny Arkana : « Ne te télé-réalise pas, réalise-toi ! »

juillet 2016 | PAR Michel Gairaud
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Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Keny Arkana, invitée de la Grande Tchatche
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le Ravi : Keny Arkana, « l’enragée », est-elle devenue pacifiste ?

Keny Arkana : « Pacifisme »… Je ne suis pas sûre d’aimer beaucoup ce terme, qui peut avoir un côté laxiste. J’aime bien l’action quand même ! « Etat d’urgence », mon nouveau disque, n’est pas sur un registre hyper politique mais plus sur quelque chose d’humain, d’existentiel… J’ai voulu proposer une autre orientation face à une pensée unique de plus en plus réac’, fasciste, court-termiste.

L’état d’urgence, justement, a été une fois de plus prolongé cet été…

Le titre y fait référence mais l’album parle du temps plus long dans lequel nous rentrons. Les lois liberticides et ultra-sécuritaires entrainent des réactions violentes. Ils disent « état d’urgence », bientôt ce sera « régime militaire ». En fait, j’évoque surtout la politique extérieure de la France, pays en guerre depuis des années : cela provoque des violences en retour, celles des kamikazes notamment. Mais si on compte en destruction et en nombre de morts, la violence d’État est sur le podium.

Cette violence d’État s’est aussi manifestée lors des mobilisations contre la loi travail. Comment parler de paix dans ce contexte ?

Mon disque est sorti en effet pendant la mobilisation contre la loi travail. J’y parle de paix alors que les gens attendaient plutôt un son qui soulève les foules. Mais j’ai une grille de lecture plus haute. Je vois bien que toutes ces confrontations sont recherchées. Ils tirent profit des violences, des bagarres entre les forces de l’ordre et les militants. La solution n’est pas dans le rapport de force. Plus on sera dans la réaction, plus on se fera bouffer.

La véritable radicalité passe-t-elle d’abord à tes yeux par un travail sur soi ?

Bien sûr ! Le vrai combat est intérieur. Tu peux te révolter, aller renverser un Etat, l’histoire nous a montré que ce n’est pas comme ça qu’on règle les choses. Si on est à l’image du système, on ne change rien. Déformate-toi avant de transformer les choses autour de toi ! Les zapatistes parlent de révolution totale, pas uniquement politique et sociale. Si mon bonheur est plus important que celui de mon frère, donne-moi le pouvoir demain, je reproduirai les mêmes schémas que les pouvoirs précédents…

Donc sublime ta sève au lieu de croire que tu vas tout niquer par ton écorce. Ce n’est pas parce que tu vas aller casser du flic que tu vas changer le monde. Se révolter n’est pas inutile, mais la solution n’est pas au bout de la révolte. Il ne faut pas confondre révolte et révolution.

Tu ne caresses pas les militants qui t’écoutent dans le sens du poil !

Ah oui, c’est subversif de chez subversif ! Si demain un flic vient nous rejoindre dans une manif, il y aura toujours un trou du cul qui va aller le goumer [le taper, ndlr] pour son heure de gloire. Mais dans cette histoire-là, mon camarade sera celui qui a eu les couilles de changer de camp. On est au-delà des drapeaux ou des cases… Ma révolution est humaine.

Comment mettre en œuvre concrètement cette « révolution humaine » ?

La solution est dans l’auto-organisation et l’autonomie à l’échelle locale. Je suis pour des histoires de famille qui construisent le mini-monde qui leur ressemble. Plutôt créer plein de petits villages en réseau qu’un monde aseptisé, où tout est identique. Nos différences, c’est la force de notre humanité. On peut tous se réaliser et construire un joli monde. Plus ça se fera, plus le système s’affaiblira. Ça sera exponentiel.

« Humain », « humanité », ce sont des mots qui reviennent souvent dans ta bouche…

Il est important de parler de l’humain. On s’identifie trop à des petits trucs : milieu social, origine, etc. Je veux mettre en avant ce qui nous unit, notre humanité. Ces mots je les utilise aussi parce que c’est aux hommes que je m’adresse, pas aux arbres. Les arbres n’ont pas de problème de conscience. Ils ne se sont pas oubliés. Les animaux aussi savent qui ils sont. Aujourd’hui, l’humanité n’est même plus humaine !

Pour l’heure la société française est très cloisonnée. Les récentes tentatives de « convergence des luttes » entre militants des centres villes et des quartiers populaires n’ont pas été un grand succès…

Oui. Il y a plusieurs France qui ne se connaissent pas forcément et se jugent. Le jour où les militants de base seront touchés par les injustices qu’il y a depuis toujours dans les quartiers, il y aura peut-être des ouvertures. Contrôles au faciès, abus policiers, discriminations : c’est inimaginable pour un français moyen. Il croit que c’est une caricature…

A Marseille, les clivages sociaux et géographiques s’accentuent-ils ?

Oui, Marseille, capitale de la fracture ! Tu ne peux pas investir des milliards d’un côté de la ville alors qu’à l’autre bout la majorité des habitants est en train de crever. Tu as des quartiers qui ont les réseaux pour seule ressource et ils font un Marseille touristique pour les gens qui ne sont pas de Marseille. Déjà occupe-toi de ceux qu’il y a chez toi ! Tu fais des bureaux partout et tu y fais venir des salariés de l’extérieur. Forme d’abord les Marseillais !

Pourtant la révolte ne semble toujours pas à l’ordre du jour…

Les Marseillais sont un peuple de l’eau. Les Méditerranéens, c’est comme les Caribéens : le soleil, la mer, la fumette… Faut pas trop brusquer ! Par contre, le jour où ça brusque, c’est difficile à calmer…

Es-tu engagée dans des collectifs militants marseillais ?

Pas comme avant. J’ai des amis qui sont vraiment des forces vives d’ici. Je les suis de loin. En fait, ils m’ont un peu fatiguée les militants. Ça devient compliqué quand tu es artiste. Pour certains je suis une vendue. Leur vision de la lutte me gave. Il y a trop de guerres intestines, trop d’égo. Pas assez de « au service »

Dans « Ne t’inquiète pas », tu as des mots acerbes contre la société de consommation…

C’est une critique ironique du divertissement comme diversion. C’est grave tout ce qu’on vit sur le plan social, humain, politique, écologique… Et nous on est là avec nos gadgets, c’est pathétique. Les yeux rivés sur nos écrans, on ne se rend pas compte de ce qui se passe. Si nos gouvernements emmènent la planète et l’humanité à la casse, on se doit pourtant de réagir. Qui est le plus fou ? Le capitaine qui conduit son bateau au naufrage ou les passagers qui le regardent sans rien faire ?

Pourquoi fais-tu l’éloge de la légèreté ?

Respire ! Contre tous ces trucs pesants qui nous tirent vers le bas, toute cette haine… Fais de la place dans ton cœur pour qu’il y ait de belles choses qui rentrent. Et qui en sortent aussi. Notre époque est lourde. Les gens sont abattus par la peur, la pression… Enlève tes fardeaux et redeviens l’enfant que tu étais. Vois le monde émerveillé. Ne te laisse pas bouffer par le système. Redeviens léger. Mais pas au sens de « va faire de la télé-réalité ». Ne te télé-réalise pas, réalise-toi !

Il y a motif, malgré tout, à rester optimiste ?

On n’a pas le choix. Sinon donne-moi un flingue, je me tire une balle maintenant. J’essaye d’être optimiste et de le mettre en avant. Même si des fois je peux me lever un matin avec l’envie de niquer tout le monde, parce que les hommes me foutent trop la haine. Mais ce n’est pas ça que j’ai envie de nourrir. Ni en moi, ni pour les autres, ni dans ma musique. Je fais un effort d’optimisme.

Propos recueillis par Michel Gairaud et mis en forme par Clément Champiat

Pour écouter Etat d’urgence, c’est par ici