Hors de Marseille, le rap cherche le soleil
L’accent. Voilà la première des marques du rap made in Paca. « Ça sonne un peu plus, on le reconnaît. Le rap du Sud c’est un style différent de celui de Paris ou de Lyon. Chaque région a été bercée dans des styles différents », explique Batata, membre du groupe avignonnais 100-16 L’équipe. Son accent du Sud, prononcé, ne laisse pas de doute sur la culture qui l’a bercé. Il explique que si ces différences étaient fortes lorsqu’il a commencé à rapper, au début des années 2000, elles tendent à s’estomper. Le nom de leur groupe 100-16 (=84), fait une référence directe à leur département, marque de leur fierté. « À l’époque, c’était la mode de porter nos numéros de département, on avait tous des tee-shirts avec écrit 84, comme il y avait le 13 à Marseille », développe Batata. Rap du Sud, mais aussi rap vauclusien, qui reconnaît l’héritage du rap marseillais tout en développant sa propre identité.
Scènes locales trop petites
À 300 kilomètres de là, Res Turner, Niçois d’adoption, voit surtout l’influence de Marseille sur le rap du Sud, avec la conscientisation comme marqueur. « Le rap marseillais était porté par des leaders plus engagés, comme IAM. On parlait d’écoles dans le rap. » Venu de Poitiers, il est arrivé à Nice il y a quelques années. Le rappeur a publié plusieurs albums et est aussi double champion du monde d’improvisation de la compétition « End of the Weak ». Il explique que les différences entre les régions ne sont plus d’actualité. « Aujourd’hui, le rap s’est tellement diversifié que ça n’existe plus. Quand je suis arrivé à Nice, il n’y avait pas une touche du Sud ou du 06 », affirme-t-il.
« L’important c’est le contact »
Les petites salles de concert, les radios et médias locaux, les studios plus modestes permettent de se créer un peu de notoriété dans de plus petites villes de Paca. Mais la scène locale peut aussi faire tourner les artistes en rond. « À Avignon il n’y a qu’un mois de culture, et c’est du théâtre. On s’est expatrié parce qu’une fois qu’on a fait le tour des salles de concert d’Avignon c’était limité, explique Batata. L’important dans la musique c’est le contact, d’échanger avec d’autres personnes, d’autres cultures. » Le groupe a multiplié les concerts dans d’autres villes de France, et même à l’étranger, au Maroc et en Angleterre. Pour leurs sessions studio, ils se sont tournés vers d’autres villes du Sud, Marseille et Montpellier en premier plan.
« Nice, ce n’est pas du tout une ville hip-hop. Tout se passe sur Paris ou Marseille. On m’a proposé des plans mais j’ai dû refuser parce qu’il fallait plusieurs heures de train et payer mes billets jusqu’à Paris », explique Res Turner. Il a pourtant beaucoup voyagé pour ses compétitions et ses concerts, en France mais aussi au Canada, en Suisse, en Inde, au Togo… « Je suis le plus titré de France en improvisation et battle, mais je n’ai jamais joué une seule fois dans ma ville. Et ce n’est pas rien de jouer chez soi, on est soutenu par ses potes et puis on a toujours un peu de chauvinisme », s’amuse-t-il. Il se dit surpris par la qualité de la scène niçoise, une fois qu’il a fouillé pour la découvrir. Il a invité quatre rappeurs sur son dernier album, Resist, sorti en mars 2021.
Talents de 10-15 ans
« Il y a quelques années, c’était plus compliqué de se faire connaître si on venait de la campagne plutôt que d’une grande ville. Maintenant, avec internet et les réseaux sociaux, des personnes qui ne viennent pas de grandes villes réussissent à percer. » Il cite l’exemple d’Orelsan, rappeur venu de Caen, qui s’est fait connaître grâce à Saint-Valentin, un titre diffusé sur internet en 2007. Quinze ans après, le numérique offre une tribune et un espace d’expression sans précédent aux néo-rappeurs, parfois âgés seulement d’une dizaine d’années. Un téléphone, des écouteurs et une instrumentale récupérée sur internet sont les seuls matériaux dont un jeune a besoin pour se lancer. « Ces dernières années, les rappeurs qui ont émergé grâce aux réseaux sociaux, ce sont des 10-15 ans, explique Res Turner. Ils correspondent à ce que les jeunes écoutent, avec tous les mêmes propos et les mêmes prods. Il n’y a pas du tout de place pour d’autres styles. » La concurrence est rude, nombreux sont ceux qui souhaitent faire du rap. Ils se battent pour entrer dans la lumière, quitte à être des « copier-coller ».