Moi, Patriiiick Bruel, une mécanique bien huilée
« On s’était dit rendez-vous dans dix ans, même jour, même heure, même pommes » (1) et 25 ans après je suis toujours là. Dans les années 90 je vendais de la soupe à des pucelles énamourées (2), aujourd’hui je vends de l’huile à des mères de famille presque ménopausées (3). Je m’adapte ! Mon huile d’olive « H » vient de remporter la médaille d’or au 15ème concours de la région Paca organisé par l’Afidol (Association française interprofessionnelle de l’olive) dans la catégorie « Huile d’olive de France fruité vert ». (4)
À 58 ans, « j’ai besoin d’en faire toujours plus » (5). Ne criez plus Patriiiick, mais Miiiidas ! Trois accords, une voix éraillée et vlan des disques d’or, voire de platine, voire de diamant. Quelques jetons, une dame bien touchée et bam, en 1998 je deviens le deuxième Français à remporter le championnat du monde de poker (6). Quelques hectares de terre à l’Isle-sur-la-Sorgue (84), des oliviers et zou je remporte la médaille d’or de la meilleure huile d’olive de la région.
On me demande souvent comment m’est venue l’idée de l’oléiculture. Ben déjà, je suis un méditerranéen, né en 1959 à Tlemcen, en Algérie alors française. J’ai été biberonné à l’huile d’olive. Ma mère m’en enduisait les cordes vocales. Je vous laisse seuls juges du résultat ! C’est ce qui m’a inspiré mon tube « Casser la voix », d’ailleurs. À l’adolescence, j’hydratais ma peau acnéique de quelques gouttes, dès que mes premiers poils ont poussé je m’en suis servi d’huile de rasage pour éviter les rougeurs, et plus tard j’ai testé son pouvoir lubrifiant (7) ce qui m’a valu quelques désagréments… Mais bon je ne veux pas que vous ayez cette dernière image en tête lorsque vous assaisonnerez vos salades de mon « H ».
Ouais, je sais, je ne suis pas allé chercher bien loin pour le nom. J’aurais pu faire une huile éponyme, comme mon voisin des Baux-de-Provence, Charles Aznavour (8) mais je suis quand même étiqueté un peu plus « varietoche », un peu moins « grand monsieur » de la chanson française, je sentais poindre les blagues vaseuses… Et je pense que ça aurait été contreproductif. Alors que là, avec mon « H », l’air de rien, j’en impose, je suis dans les cuisines des plus grands chefs qui ne tarissent pas d’éloges, certains la trouve « envoûtante », avec « des parfums très végétaux », de « pissenlit », « léger goût de thym frais, poivrée voire pimentée en fin de bouche » (9). Si seulement les gens savaient d’où vient cette petite touche personnelle qui met les papilles en émoi…
« Être de gauche, c’est très compliqué »
Allez je vous livre mon secret. « 09.00 Je me lève avec mes enfants. Le premier debout va réveiller les autres […] Le jardin regorge d’arbres fruitiers. En ce moment, on récolte des kilos de figues ! Oscar et Léon, mes enfants qui ont 10 et 8 ans, ont droit à leur œuf à la coque. Sinon, céréales pour tout le monde. » (10) Et après ce petit déj de champion, je m’en vais seul, méditer au milieu de mes oliviers, réservant ma première urine du matin au tronc de l’un d’entre eux, chaque jour un différent. Bon parfois, j’oublie que contrairement à Paris, en Provence, le mistral souffle et pas toujours dans le dos…
J’aurais pu faire du pinard, mais dans la région, c’était déjà pris par Brad Pitt (11), je pouvais physiquement pas lutter ! Il a essayé de me troquer ses bouteilles aux pesticides (12) contre mon élixir bio (9). 15 euros son rosé contre 28 euros les 500 ml de mon huile, il m’a pris pour un Enfoirés-que je suis (13) ou quoi ? J’avoue ce n’est pas à la portée de toutes les bourses et à ce prix-là, si c’est pour s’en servir de lubrifiant, il y a moins onéreux. Mais le Domaine Léos, contraction des prénoms de mes fils Léo et Oscar, que j’ai acheté en 2006, c’est « 20 hectares d’oliviers non traités, plantés sur des terres vierges de toute culture depuis 55 ans » et « plusieurs variétés d’olives récoltées à la main » (9). La qualité ça a un coût ! « H » est en vente sur mon site internet (14), au milieu des mugs, des briquets et des calendriers. Et chaque matin quand je pisse sur mon arbre, c’est aussi à mes fans que je pense, elles me sont fidèles depuis trente ans, je peux quand même leur mettre un peu de moi dans mon huile !
Par contre ça m’ennuierait de savoir que mon « H » assaisonne les plats d’une ville FN, moi qui refuse de me produire dans les mairies d’extrême droite depuis 2014. « Pour l’instant, je ne vois pas ce qui pourrait me faire changer d’avis. Même si je peux comprendre que des électeurs désespérés répondent à un discours populiste, je ne veux pas me produire devant une institution dont je méprise l’idéologie. Le nationalisme n’a toujours mené qu’au chaos et au malheur. » (15) Bon certains laissent entendre que je serais moins regardant avec l’extrême droite israélienne, m’accusant de financer l’armée de Tsahal. « Cela ne me traversera jamais l’esprit. (…) J’ai toujours prôné la création d’un État Palestinien qui reconnaisse l’État d’Israël et respecte sa sécurité et vice-versa » (16). « Menteur » et « lâche » (17), c’est en ces termes que la Ligue de défense juive, classée comme groupuscule terroriste par le gouvernement depuis 2001, m’a traité dans les médias m’accusant de ne pas assumer mon soutien à ce qu’ils appellent « l’armée la plus morale du monde et celle grâce à qui [j’ai] pu venir [me] remplir les poches en faisant ses concerts en Israël ! » (17).
Je le répète : « je suis un homme de paix » (16). Et… de pépètes ! En trente ans de carrière, j’ai eu le temps de mettre de côté. Depuis que je suis devenu actionnaire de Winamax, le leader du poker en ligne, c’est même Byzance ! Bon ok, y’aurait peut-être des petits histoires de paradis fiscaux là-dessous mais bon « je ne suis qu’un actionnaire, ce sont les responsables opérationnels qui connaissent les détails » (18). « Ce n’est pas honteux de faire fortune […] à partir du moment où on redistribue, et on redistribue beaucoup. Ne serait-ce que 50 % de ce que vous gagnez, c’est déjà énorme. » Autant vous dire que lorsque Hollande en 2012 a proposé de nous taxer à 75 % j’ai flippé grave ! « Être de gauche, c’est très compliqué » (19). C’est mon grand-père maternel « un socialiste, un vrai fils de Jaurès » (5) qui se retournerait dans sa tombe s’il me voyait aujourd’hui placer mes espoirs dans un Macron ou pire, à la Une de Voici en 2015, en vacances en Corse avec Sarko ! Mais « C’est la vie / C’est la vie / C’est la vie qui nous change / Et qui dérange / Toutes nos grandes idées sur tout / C’est la vie… » (20).
Portrait « poids lourds » publié dans le Ravi n°152, daté mai 2017.