Martine s'attaque la culture...
« En avril, mon technicien m’a appelée pour me demander une note sur ma situation et mon activité au regard de la crise, se souvient la directrice d’une compagnie de théâtre marseillaise. Il m’a expliqué que des choix seraient opérés, mais ses propos étaient plutôt rassurants, ça ressemblait à un discours de soutien. » Fin juillet, le couperet tombe : la subvention au fonctionnement de la structure du conseil départemental des Bouches-du-Rhône (CD 13), présidé par la LR Martine Vassal depuis 2015, est divisée par un peu plus de deux, passant de 22 000 euros en 2019 à 10 000 euros. « Il n’y a pas eu d’autre alerte, ni d’explication », insiste la metteuse en scène.
Le cas est loin d’être isolé, comme en témoigne le rapport « partenariats culturels » de la commission permanente du CD 13 du 24 juillet. Livres, arts visuels, musique, tous les secteurs culturels (mais pas que, voir ci-dessous) ont été touchés au cœur de l’été par des baisses de financement du Département. Un lieu d’exposition du 6e arrondissement a ainsi vu sa subvention fondre de 15 000 à 4 500 euros entre 2019 et 2020, soit une chute de plus des deux tiers. Pour le Groupe de musiques expérimentales de Marseille (GMEM), une institution locale, le plongeon a été de 73 % (55 000 euros à 15 000 euros). Deux exemples parmi de nombreux autres. On est donc loin de la seule « recherche d’effets d’aubaine » annoncée aux syndicats du secteur par Sabine Bernasconi, vice-présidente (LR) à la culture, selon Pierre Sauvageot, délégué régional du Syndéac, le Syndicat des entreprises artistiques et culturelles, et directeur artistique de Lieux Publics.
Les « effets d’aubaine » n’ont cependant pas été oublié. Contrairement à la région ou la ville de Marseille, le département a aussi baissé les financements de la plupart des festivals qui ont annulé leurs éditions 2020. En général de moitié, afin de leur permettre de faire face aux dépenses engagées et ne pas mettre en danger leur avenir. Parfois en lien avec les structures, comme pour Marsatac ou la Fiesta des Suds, mais aussi de façon unilatérale. C’est le cas de la manifestation littéraire Ô les beaux jours ! « On l’a découvert via l’avis de notification, explique Fabienne Pavia, la directrice Des livres comme des idées, l’association organisatrice. Alors que ça n’est finalement pas un problème cette année puisque nous avons eu des frais en moins avec l’annulation du festival. »
Fronde et rumeur
À la rentrée, une fronde a donc commencé à monter, sur fond de rumeur d’un retour de bâton post-défaite de Martine Vassal aux municipales. Si elle s’est finalement dégonflée, certains acteurs ont tenté de lancer une pétition et la nouvelle majorité à la ville de Marseille a été envoyée en médiatrice. Chacun a aussi défendu son dossier auprès du département. Finalement, lors de sa commission permanente du 25 septembre la collectivité a opéré un rattrapage pour de nombreuses structures. Mais rarement à la hauteur des financements initiaux. Dans l’art visuel, secteur particulièrement touché, les cinq-six structures marseillaises identifiées ont perdu en moyenne un quart de leur soutien par rapport à 2019. Au final, c’est moins 18 % pour le GMEM.
« Le CD 13 justifie ses choix par la crise économique, mais contrairement à d’autres collectivités ou à l’État qui ont compris les enjeux du secteur, y compris politiques, il a attendu septembre pour réagir ! », dénonce Stéphane Krasniewski, directeur du festival arlésien Les Suds et correspondant du syndicat des musiques actuelles en Paca. « Il y a eu un peu d’affolement, mais les choses sont en train de se tasser. Comme nous, Sabine Bernasconi travaille pour l’intérêt général », veut de son côté rassurer Jean-Marc Coppola, nouvel adjoint (PCF) à la culture de la ville de Marseille. Qui prévient quand même que la ville « ne pourra pas se substituer au CD ».
« [Ces subventions] sont toujours attribuées sur plusieurs votes, qui dépendent de la date d’instruction des dossiers. Et l’année n’est pas finie », assure de son côté Sabine Bernasconi. Si les délibérations sur plusieurs années tendent plutôt à prouver le contraire, elle insiste : « Il ne faut pas croire qu’un projet est obligatoirement reconduit. C’est un équilibre qui guide nos choix : une culture qui se tourne vers le plus large public possible et considérée comme un vecteur économique, de rayonnement et de cohésion sociale. » Et l’ancienne maire des 1er et 7e arrondissements de promettre : « Cette année, il y a globalement eu un maintien des financements, en concertation avec les structures, avec un lien renforcé entre la direction des affaires culturelles et les chargées de mission pour évaluer chaque cas. »
Cabinet noir
Une vision peu partagée par nos interlocuteurs, qui regrettent au contraire l’absence de dialogue avec la collectivité. Cette année comme les autres. Même chez ceux avec qui il y a eu des discussions, ça grince. « Leur décision est arrivée fin juillet alors qu’on a annulé en avril », souffle Béatrice Desgranges, fondatrice et directrice du festival Marsatac. « C’est nébuleux. Au mieux on n’oppose que des chiffres, comme en 2018 quand on nous a supprimé 20 000 euros avec comme seule explication le fait qu’on “avait une grosse subvention” », témoigne de son côté Émilie Robert, la directrice du Théâtre Massalia, qui a été « rattrapée » cette année par le CD mais a perdu le financement de la métropole, présidée par Vassal Martine, pour son festival jeune public Ribambelles, deux semaines avant l’ouverture . Et d’insister : « Je pense que l’absence d’explication de la part de mes interlocuteur.rice.s vient du fait que les décisions semblent se prendre au niveau du cabinet… »
Même sentiment du côté de Fabienne Pavia, de Ô les Beaux jours ! : « C’est très complexe d’avoir quelqu’un ou une décision franche, il y a une grande prudence des gens de terrain. » La directrice de l’association Des livres comme des idées a même vu la collectivité se retirer d’un projet qu’elle avait coconstruit ! Elle s’inquiète désormais de devoir rembourser des financements pour des actions non réalisées, contrairement aux décisions de l’État ou de la région. Mais aussi pour 2021. Comme tous les acteurs rencontrés qui se demandent si les coupes de 2020 vont être reconduites.