Au bal masqué...

Premier concert de déconfinement : Pompon sauvage, un duo féministo-punk au C4, un salon de tatouage/librairie/mini-salle de concert dans le centre-ville marseillais. C’est la mi-juin, la nuit phocéenne se retrouve, bière à la main et regards aux aguets, des fois que la maréchaussée surgisse : « L’amende est de plusieurs milliers d’euros », murmure-t-on en régie. Pas d’effusion mais ça ressemble un peu à la « vie d’avant ». Non loin, le Baraki, lui, a repris depuis peu son rythme de croisière, invitant en fin de semaine les plus mélomanes de ses clients à monter sur scène pour un boeuf aussi rock que tranquille. Mais la plus belle reprise, c’est au Data. En marge de la Fête de la Musique, on a droit au duo le plus déjanté de la scène marseillaise, Grrzzz. Dans ce qui fut jadis une boutique de disques, un pogo vient clore la prestation du groupe qui, déception, ne fera pas de rappel : « La frustration, rigole Jean-Michelle Tarre, ça fait grandir ! »
Sauf que depuis la crise du Covid, les petites salles sont au pain sec et à l’eau. Et, pour la reprise, il y a autant de configurations que de lieux. À L’Intermédiaire, sur la Plaine, la soirée « folk », c’est en terrasse. À La Salle Gueule, non loin de la préfecture, la jauge est limitée à « une cinquantaine de personnes » avec même, pour le premier concert, des bancs ! Presque une hérésie quand on sait l’énergie des groupes. Une configuration qui ne sera pas maintenue : « Les règles sont floues. Alors on a décidé de limiter le nombre de personnes accueillies, on demande aux gens d’avoir un masque, il y a du gel à l’entrée et on reste discret. Quand on voit le nombre de personnes sur les toits de La Friche de la Belle de Mai ou ce que Christian Estrosi a fait à Nice, on se dit qu’on n’est pas les pires… »
Sortir de la parano
À La Maison hantée comme à L’Asile 404, pas de reprise avant la rentrée. Et certains, comme L’Embobineuse à la Belle de Mai, ne semblent guère sortis du confinement, proposant encore des concerts… en ligne ! Pas simple toutefois de parler de tout car, avoue-t-on, « on est dans la débrouille donc parfois à la limite de la légalité ». Certains, pour payer le loyer, ont vendu à quelques habitués de la bière à emporter, d’autres rouvert à la faveur de « braderies ».
Sourire de Bertrand, du Data : « On est tellement habitué à fonctionner sans argent et avec trois bouts de ficelle qu’on a réussi à tenir. Et, après un “vide-Data” qui a bien marché, on a vu que, pour la Fête de la Musique, il y avait un flou et pas d’interdit. On en a profité ! Sans attirer l’attention. On est dans une configuration “showcase” avec une petite jauge. Et un concert qui, pour ne pas déranger les voisins, commence et finit tôt. » Pour celui qui est aussi « intermittent », il est nécessaire de « garder le rythme ». Mais aussi de « sortir de la parano. Surtout qu’on est dans un petit milieu où tout le monde se connait et fait attention à l’autre. Ce serait une fête privée, on n’aurait aucune limitation ! »
« Le pire c’est l’incertitude »
Le trio qui officie au C4 est remonté : « Il faut arrêter l’hypocrisie ! On a ici un salon de tatouage où tout est fait dans les règles. Le masque, les gants, le gel… Or, dès que tu mets le nez dehors, fini ! Et ne parlons pas des transports en commun… On fait gaffe mais, par définition, la nuit est un espace de liberté. » Valérie renchérit : « On sent derrière la volonté d’aseptiser le quartier. Comme avec la rénovation de la Plaine. » Et de noter : « Je fais de la musique depuis vingt ans. Ce qui m’a le plus choquée, c’est cette distinction entre les activités “essentielles” et les autres. » Ses comparses ironisent : « Heureusement, avec Roselyne Bachelot, ça va changer. Enfin une vraie ministre de la Culture ! » Avant de se reprendre : « On n’a pas fini de faire des concerts de soutien… »
Fêtes privées pour initiés
Mais, dans une ville encore marquée par la fermeture de La Machine à coudre, même si, à l’antenne régionale du ministère de la Culture, la Drac Paca, on se dit attentif à « préserver des lieux comme L’Embobineuse ou Le Makeda », le virus a fait une victime, Les Fils qui se touchent au cours Julien. Hazem, du Molotov, ne cache pas que, sans l’appel aux dons lancé durant le confinement, « on aurait mis la clé sous la porte. Ce qui m’a le plus fait plaisir, c’est de voir des familles de la rue d’Aubagne nous apporter à leur tour leur soutien. En attendant, comme on est considéré comme une boîte de nuit, on n’a pas le droit d’ouvrir. Le pire, c’est l’incertitude. »
Même colère d’Anaëlle à L’Intermédiaire, très remontée de se voir demander de faire de « la pédagogie sur le masque » voire faciliter le dialogue avec la police : « Ce n’est pas mon boulot ! », peste-t-elle. Pour elle, il est « important de rester ouvert. Pas pour les touristes. Pour le quartier. Car, entre les lieux institutionnels où les conditions d’accueil sont drastiques et les fêtes privées qui ont pris le relais mais uniquement pour les initiés, tout est fait pour exclure ».
Pas simple toutefois, en témoignent ses atermoiements fin août face au durcissement des règles sanitaires et de la surveillance policière. Ouvrir ou pas ? Le dernier concert estival de Pompon sauvage sera annulé. Au point d’ailleurs que la soirée qui s’est tenue à la mi-août à La Salle Gueule avait presque, par son intitulé, des accents prophétiques : « Jusqu’ici, tout va bien ». Autre annulation qui a confirmé que, pour la culture, cet été a été meurtrier, celui d’un festival organisé d’ordinaire à la mi-août par pas mal de ces petits lieux et qui porte pourtant un nom taillé sur mesure pour cette crise sanitaire : Enfin seul !