Adieu sushis
Dans le livre Media Crisis, le réalisateur de La Commune de Paris, Peter Watkins, parvient à extraire de toute la production audiovisuelle, du journal télévisé aux films de cinéma, un schéma de montage de plus en plus récurrent et qui suit exactement le même pattern : un enchaînement rythmé et répétitif de courtes séquences destiné à « secouer le spectateur » en visant à faire vivre grosso modo la même sensation à tout le monde. Malheureusement cette « monoforme », cédant à la tentation de l’efficacité, tend à uniformiser le rapport au spectateur car ces enchaînements rapides, ces effets techniques et un schéma narratif très directif produisent sur nous tous les mêmes sentiments – peur, tristesse, sentiment de justice ou d’injustice – là où l’interprétation du spectateur aurait pu être plus ambiguë ou nuancée.
C’est marrant parce que je suis tombé là-dessus alors que j’étais justement en train de me dire qu’en ce moment les cartes des restaurants contenaient toutes des hamburgers… C’est devenu le truc absolument passe-partout, encore plus que le steak-frites. Je ne vais pas vous faire le couplet sur la culture américaine et son invasion larvée de toutes nos habitudes, d’ailleurs on pourrait souligner à peu près la même tendance avec les sushis. Maintenant le moindre resto vietnamien a sa carte de sushis ! C’est comme si tous les restaurants français du monde se mettaient à servir du bortsch sous prétexte que ça marche. Tout cela est absurde…
Je crois qu’il faut lutter contre la simplification du monde. La responsabilité nous revient d’avoir recours à notre imagination pour ne pas céder à ces petites choses apparemment insignifiantes qui envahissent nos cerveaux. La cuisine est un langage et elle peut nous permettre de raconter des histoires. Il faudrait pour cela cesser de parler de gastronomie qui si l’on extrait ses racines pourrait signifier « art de soigner les estomacs » et inventer une nouvelle discipline, je propose la palatolittérature, définition :
Palatolittérature :
1. Ensemble des œuvres cuisinées auxquelles on reconnaît une finalité de récit.
2. Ces œuvres, considérées du point de vue du terroir, de l’époque, du milieu où elles s’inscrivent, du genre auquel elles appartiennent : « La palatolittérature provençale au temps du coronavirus ».
3. Ensemble des connaissances et des études qui se rapportent à ces œuvres et à leurs cuisiniers : cours de palatolittérature à la faculté des sciences humaines.
4. Familier. Cuisine récurrente, abondante, tape-à-l’œil et délayée : « On en a ras la glotte de ta foutue palatolittérature ! »
J’ai trouvé dans mes archives un bel exemple de cette nouvelle discipline, voici l’histoire : Au moyen âge, les franciscains portugais débarquent au Japon. On les accueille à bras ouverts et on leur dit de poser leur temple où ils veulent. Las ! Un léger malentendu s’est glissé entre les moines intégristes et les sages bouddhistes. Pour tirer tout cela au clair, les Japonais leur coupent la tête et ferment les frontières à la culture occidentale pour au moins trois siècles. Or une amie palatonome a ramené du Japon cette recette de marinade portugaise, épurée au pays du soleil levant pendant toutes ces années.
Nanban Zuke : recette de l'étranger saoul
Pour trois personnes :
– 200 g de sardines entières
– 4 cuillères à soupe de maïzena
– 1 cuillère à soupe de farine
– 1 cuillère à café de sucre
– Huile de tournesol
Marinade :
– 10 cl de dashi ou fumet de poisson
– 10 cl de vinaigre de Xérès
– 3 cuillères à soupe de sauce de soja
– 3 cuillères à soupe de mirin
– 1 oignon
– 1 demi piment oiseau
– 2 gousses d’ail
– Thym
– Huile d’olive
– 1 carotte
– 1 tronçon d’un long navet blanc (appelé aussi daïkon)
Découper le daïkon et la carotte en bâtonnets. Trancher finement l’oignon, dorer à la poêle, déglacer au mirin, flamber. Ajouter le vinaigre de Xérès et la moitié de la sauce soja. Ajouter le sucre et la purée d’ail. Y jeter le navet et la carotte. Porter à gentille ébullition, laisser redescendre à température ambiante pendant que vous préparez la suite.
Saler et poivrer les sardines, mélanger avec la farine et la maïzena. Faire chauffer l’huile à 170°. Faire frire les sardines au croustillant. Mettre les sardines directement dans le vinaigre assaisonné. Servir froid, tiède ou chaud avec du riz blanc. Le Nanban Zuke se conserve sans problème une semaine au réfrigérateur.