BugBurger
C’est un défaut de ma pensée. Un bug, pourrait-on dire, si l’on accepte ce vocable technologique appliqué au cerveau humain : j’ai besoin que tout ce que je fais ait un sens. Quand je travaille, je suis constamment secoué de ce spasme existentiel : est-ce que ça a du sens ? A quoi ça sert ? Mon énergie pourrait-elle être mieux utilisée ?
Et plus cette époque trouble me traverse, plus ces questions deviennent difficiles, inextricables. Les informations contradictoires pleuvent autour de moi. Je ne peux penser l’effondrement sans que tout dans ma vie se mette à s’effondrer. Je ne peux penser l’écologie sans voir le désastre. Je ne peux penser les fractures sociales sans voir que rien ne suffirait à les guérir. Les ondes négatives sont tellement nombreuses, incessantes, que je dois fermer les robinets de l’information. Mais ça fuit, ça m’envahit. Alors je descends dans la rue, je cours en tous sens pour tenter d’apporter des pansements de fortune à la misère. Ainsi, je m’exaspère : mais que faire ?
Voilà que dernièrement j’ai fait la rencontre de la très belle équipe du McDo Saint Barthélémy à Marseille. Un lieu qui a hacké l’enseigne emblématique du capitalisme pour en user comme d’un centre social pendant plus de dix ans. Une équipe qui a lutté bec et ongles pour les droits des salariés, qui a offert tant de deuxièmes chances à des gosses de quartier, tendu tellement de mains. Un point névralgique des quartiers nord, au cœur de nos fractures sociales, qui a tellement poussé dans leurs retranchements les dirigeants de McDo France qu’ils ont pris la décision de fermer le restaurant.
Le lieu réouvert par le directeur adjoint. Des chambres froides vides qui ont servi tout naturellement de garde-manger pour nourrir les plus démunis pendant le confinement. Une bande de robins des villes distribuant des tonnes de bouffe, détournant l’usage du drive désaffecté, concentrant une cinquantaine d’assos des quartiers. Une forteresse de solidarité qui trône au-dessus du rond point de Sainte Marthe, au centre névralgique des quartiers nord. Un Mac Donald’s qui se fait squatter, détourner, hacker, repeindre, j’en perds le sommeil, c’est trop excitant ! Les anciens salariés, encore soudés malgré les coups durs, veulent en faire un restaurant solidaire et se monter en société coopérative. Pour l’instant ça s’appelle l’Après M.
Seulement voilà, McDo France veut foutre tout le monde dehors, l’étau se resserre, il faut convaincre la nouvelle mairie de Marseille d’user de son droit de préemption pour racheter le lieu. Il n’y a plus à se poser de questions, avec quelques amis nous tentons, à l’heure où j’écris ces lignes, de remettre en route le drive. Nous élaborons un burger solidaire et tentons la sauce algérienne maison. Une recette que je vous livre ici, bande de chanceux !