Soyons réalistes
Le futur m’énerve, je n’en peux plus de ce truc. J’y pense tout le temps. Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? La tête de Macron est colonisée par la Chine : le projet technosécuritaire est manifestement un truc super désirable et ça l’excite vraiment au fond de sa petite personne ! Et le virus qu’on a dans les pattes, comment on va s’en sortir ? Et le numérique qui nous envahit, les gens sont fous, on dirait que la vraie vie est condamnée, tout ça ne peut faire qu’empirer…
C’est en piaffant dans cette impasse que je tournais dans mon lit l’autre soir. Et puis le miracle quotidien a opéré, merveille de la psyché humaine, je me suis endormi. Et j’ai commencé à rêver. Je vous raconte.
Le paysage est très binaire, en haut le ciel, gris, en bas le sol plat, minéral, gris. Seuls les êtres vivants sont colorés et il émane d’eux comme une lumière chaleureuse. C’est une sorte de récréation, je crois que je suis en prison mais c’est aussi un truc normal et quotidien. En fait je suis parfaitement heureux et disponible. Je rencontre quelqu’un qui me parle d’un truc très important pour lui et je lui emboîte le pas. Pour y aller, il faut naturellement traverser la mer sur un vieux rafiot en ferraille. Il fait un temps effroyable, il faut se tenir au bastingage. Il y a une odeur de bouffe qui m’appelle. Je rentre dans la cuisine qui est aussi la salle des machines et je n’arrive pas à distinguer où se trouve le four au milieu des tuyaux et des chaudières et des pompes à graisse, et je cherche, et je cherche. Il y a un vrai problème ici et je dois choisir entre celui de mon ami et celui de la bouffe qui m’intéresse davantage. Et ça sent vraiment très bon et mon ami m’appelle et s’impatiente alors que je me faufile entre les durites brûlantes et le bloc moteur… Et puis pan ! Je me réveille.
Peu après, ce rêve reste là au fond de mon crâne et me taraude, c’est à propos du futur et c’est comme si mon rêve m’avait ouvert les yeux : en fait, je considère toujours le futur à partir de l’instant présent. C’est totalement hors de propos. Le futur n’est pas l’instant présent, ça se saurait. C’est bien un discours de petit politicien paternaliste de toujours nous ramener à ce qui est réaliste, possible. L’essence même du futur n’est pas possible, elle n’est pas appelée à partir du présent, elle n’est qu’incertitude.
Si je ferme les yeux, je peux précisément retrouver l’odeur qui planait alors dans cette salle des machines, c’est un truc un peu hivernal. Pain grillé, cheddar, bière, aubergines, champignons. D’une certaine manière cette odeur m’a appelé depuis sa dimension singulière, le futur ? Et moi qui ai justement une recette à écrire, comment résister à la tentation de rendre cette odeur réelle.
Le Ragoût du futur est un gratin
Il vous faut (pour quatre solides mangeurs)
– 200 gr de cheddar vieux
– 2 bières 25 cl (une pour le ou la cuisinier.e, une pour le ragoût)
– 30 gr de beurre
– 3 cuil. à soupe de farine
– 2 jaunes d’œufs
– 2 échalotes
– 1 gousse d’ail
– 1 aubergine
– 8 gros champignons de Paris
– 4 tranches de pain blanc bien épaisses
– 1 cébette
Commencer par couper l’aubergine en grosses frites, couper les champignons en deux. Badigeonner ces légumes au pinceau à l’huile d’olive et enfourner à th. 8 pour une bonne vingtaine de minutes.
Râper le cheddar. Puis émincer l’échalote et l’ail, les faire revenir dans le beurre dans une casserole moyenne. Ajouter la farine avec une petite passoire en remuant sans arrêt. Le feu doit être mince mais il faut tout de même entendre ça chanter un petit frichti joyeux. Puis délayer avec la bière, disons en trois fois, sans cesser de remuer. Ajouter le cheddar jusqu’à obtenir une belle sauce onctueuse. Couper le feu. Ajouter les jaunes d’œufs, bien mélanger puis réserver.
Faire griller ou plutôt juste blondir le pain. Utiliser un grand plat à gratin ou des cassolettes individuelles. Disposer les tranches de pain et les légumes au fond. Puis recouvrir avec la sauce. Parsemer de cébette émincée. Enfourner quelques minutes sous le grill pour faire gratiner. Servir, et manger mon rêve.