Une tartine de confiture
Ce matin en dégustant une fantastique tartine de confiture, je me suis pris à mesurer le degré de civilisation contenu dans ce petit objet.
On mange tous ces petits machins au petit déjeuner sans bien se rendre compte de toute la technologie, de toute l’industrie déployée dans ces trois éléments : le pain, le beurre et la confiture.
Egaré dans le temps infini dégagé par ces matinées d’été, je me suis vu, moi, Crusoë, perdu aux confins du monde avec pour seule compagnie une île-monde où il suffit de tendre la main pour se nourrir. J’ai traversé avec ce double la nostalgie, la solitude et l’ennui. Et je me suis senti le besoin de réaliser une tartine de confiture de mûres avec pour assistante la carcasse moribonde de notre navire perchée sur quelque récif et des tuto Youtube qui regorgent étonnamment de ce genre de robinsonnades.
Le pain
L’épave contenait quelques poignées de grains de blé, peu adaptés aux tropiques. Après de longs jours de défrichage et plusieurs déconvenues, je suis parvenu à faire pousser cette manne blonde et à la faire sécher sur pieds.
Plusieurs semaines de travail ont donné naissance à une meule de pierre et mon bouc qui s’égayait dans les buissons s’est plié, suite à de rudes négociations, au manège infernal que j’avais conçu à son endroit. La précieuse farine ainsi obtenue est venue se percher dans mes greniers flambant neufs.
De longs jours m’ont été nécessaires pour élever, maintenir en vie et gaver ce capricieux petit animal de compagnie qu’est le levain naturel. Pourtant les ingrédients sont simples, farine, eau de source, miel. A maturité, de grosses bulles se forment m’annonçant que mon levain est prêt à être utilisé.
Pour fabriquer un four capable de monter à 350°C, j’ai érigé un dôme de sable que j’ai recouvert d’un mélange d’argile et de sable, puis d’une épaisse couche de sable, argile et paille. Un bouclier qui décorait la cabine de feu le capitaine a rempli le rôle peu flamboyant de porte de four. Ma première fournée a vu le jour après deux ans de travail.
Le beurre
Point de vache dans mon île. Il a donc fallu domestiquer la race de petites chèvres qui peuplait les rochers. Je vous passe les péripéties qu’il faut se résoudre à faire pour obtenir une quantité de lait suffisante à la fabrication du beurre : séparer les chèvres de leur petit est un crève cœur que connaissent bien les éleveurs, sans parler de la traite à heure fixe qui fut un pensum pour les bêtes comme pour moi.
Une sorte de petit moulin en bambou m’a permis de centrifuger le lait pour en extraire la crème. Un jeune chevreau fut dépecé entièrement pour former un sac étanche de près de dix litres. Je l’ai rempli de crème puis suspendu à un arbre et battu longuement à l’aide d’un bâton.
A l’issue de cette pinata tropicale, ma peau de chevreau s’est trouvée pleine de beurre sur lequel surnageait le petit lait.
La confiture
Pour confire un fruit il faut autant de sucre que de fruits. Parallèlement à mes cultures de blé, j’ai donc domestiqué la canne à sucre, pressé les tiges à l’aide d’un ingénieux système de rouleaux de bois et raffiné ce sucre pour en extraire l’eau.
Dans un chaudron j’ai fait confire longuement les fruits dans le sucre. Aligné de petits pots de verre que j’ai recouverts ensuite de petits carrés de tissu provençal.
A l’issue de cette rêverie je me sentais un peu fatigué et j’ai dû aller me recoucher pour m’en remettre. Une tartine de confiture c’est super, mais un fruit ça marche aussi très bien.