Les feuilles du Mal
On a tous vécu ce moment d’éternité où, urinant sous les étoiles, la lune reflétant la pâle lueur de son croissant sur la forêt silencieuse, tendant tous nos sens pour imprimer dans nos mémoires l’effet incroyable que produisait sur chaque centimètre carré de notre peau ce petit vent noir de juillet, on a senti une bête chitineuse se frayer un chemin le long de nos jambes et où on a poussé un cri de stupeur et, en tentant de faire tomber ledit insecte, on a réalisé que notre pantalon descendu sur nos chevilles entravait nos mouvements, et alors même que cette phrase devenant trop longue j’ai peur que vous perdiez le fil, à cet instant même, une cigale toute neuve a pris son envol maladroit d’un arbre tout proche pour venir s’emmêler stupidement dans nos cheveux d’enfant, nous faisant céder à la panique et tomber, pantalon au chevilles et chemise retroussée, dans un gros parterre d’orties et transpercer horizontalement la nuit d’une pathétique bordée de jurons.
En cuisinant les orties, je me souviens de cette phrase du Livre Des Morts tibétain : « Si une chose est belle ne t’en approche pas, si une chose est laide, ne t’en éloigne pas. » Car les orties, ces saletés envahissantes, qui profitent de dérèglements écologiques pour se vautrer dans les zones saturées en azote et faire pleurer les enfants, se révèlent extrêmement bénéfiques et même complètement magnifiques sur le plan gustatif.
Pour récolter les orties il faut savoir les prendre par en-dessous, car c’est le dessus qui pique. On pince les tiges 10 cm en dessous du sommet et on les place une à une dans un panier ou un sac en papier.