Une bière, des alters...

Avec les vœux et la présidentielle qui se profilent, malgré les gestes barrière, pas une cérémonie qui ne se termine sans le traditionnel « verre de l’amitié» ! Qui ne se souvient de l’émoi quand Sarkozy avait dit n’avoir « jamais bu une goutte d’alcool » ? Vin et politiques sont indissociables. N’y-a-t-il pas une association des élus de la vigne et du vin ? Et, à l’Assemblée nationale, un groupe « vigne, vin et œnologie » qui compte 115 députés ? Dont le député salonais Jean-Marc Zulesi (LREM) : « Je n’y suis pas pour les cocktails ou dégustations mais pour relayer les problématiques de la filière comme ceux des territoires. Ce qui ne nous empêche pas de parler de santé ou d’environnement. » Quant à la buvette du palais Bourdon, assure-t-il, « elle a du mal à écouler ses stocks. La nouvelle génération ne boit pas comme les anciens ! »
La place de l’alcool se pose aussi à la base, au sein des collectifs et autres lieux associatifs. Et pas que d’un point de vue théorique (on trouve nombre de brochures militantes sur l’alcool) ou historique, en atteste la sortie, en mars prochain, du livre L’ivresse des communards d’un ancien de CQFD, Mathieu Léonard, par ailleurs vigneron…
La vente de vin ou de bière est souvent centrale dans l’économie de ces structures, par essence fragiles. Confirmation – sous couvert d’anonymat – de plusieurs petits lieux marseillais : « C’est ce qui nous a permis de traverser le confinement », confesse un des piliers d’une salle de concert souterraine qui se veut aussi, parfois, lieux de débat. Même tonalité du côté d’un café-librairie en lisière de la Plaine : « Nos rentrées d’argent, c’est 50 % le bar, 50 % les livres. » Ce qui, vu les tarifs, signifie, pour « tourner », une fréquentation – et une consommation – conséquente. De quoi poser sinon problème du moins question.
« On ne boit pas comme les anciens ! » Jean-Marc Zulesi
D’où l’idée d’une des bénévoles, Camille (1), de solliciter Santé !, une association marseillaise de réduction des risques dans le domaine de l’alcool : « Dans nos milieux, c’est un produit qui a une place particulière. Je ne fais pas exception, ayant même participé à l’expérimentation du baclofène (médicament utilisé face à la dépendance à l’alcool, Ndlr)… Santé !, je les ai connus à titre personnel. Et ce qui me semble intéressant, c’est la réduction des risques. Contrairement à l’approche classique, ils ne prônent pas l’abstinence mais plutôt à apprendre à vivre avec et mieux maîtriser les consommations. »
L’idée, précise-t-elle, « ce serait d’avoir des outils à disposition. Pas de faire de notre café-librairie un lieu ressource ou d’accompagnement. S’il y a, à mon avis, nécessité d’une prise de conscience collective de l’impact de la consommation d’alcool, on ne peut faire l’économie de démarches individuelles. Car il y a une pluralité d’usages. Et une dimension éminemment intime. Des choses qu’on n’a pas forcément envie de partager. Surtout dans un endroit où on se sent suffisamment bien pour, parfois, se “lâcher”… »
Du côté de Santé ! « c’est la première fois, nous dit l’une des intervenantes, Emmanuelle Latourte, qu’on a une telle sollicitation ». Mais, si l’association se dit à « disposition, pour l’heure, c’est encore à l’état de projet ». Et de reconnaître qu’« il n’existe pas à notre connaissance de groupe d’auto-support. Il est déjà difficile de reconnaître qu’on consomme de l’alcool et, quand on le fait, la parole se trouve trop souvent délégitimée ».
Il existe d’autres structures d’accompagnement, comme l’association Plus belle la nuit, née dans le sillage de MP 2013 et qui, par exemple, intervient régulièrement dans un autre espace militant du centre-ville de Marseille qui se veut autant un lieu politique que festif. Comme l’explique Michel (1), « on a récemment questionné la place de l’alcool et souhaité réduire la part que représente le bar dans nos rentrées d’argent. On est donc passé de trois soirées par semaine à une seule. Et on a lancé une souscription pour le loyer. Après, la configuration de notre bar, tout en longueur, fait qu’on ne peut guère y rester longtemps ». Difficile dans ces conditions de refaire le monde ! A moins que ce ne soit celle, sine qua none, pour commencer à le changer…
1. A la demande des structures et des personnes interrogées, l’anonymat a été privilégié.