La culture sous perfusion
Malgré les deux nouveaux milliards d’euros mis sur la table par le gouvernement en faveur de la culture, fin août, avec son nouveau plan de relance, les artistes et acteurs du secteur ne sabrent pas encore le champagne. « Les instances de concertations entre l’État, les collectivités locales et les professionnels sont généralisées dans chaque région. Il y a eu des annonces financières, mais la création reste un point mort et le périmètre du plan de relance est flou, d’autant qu’il s’étale sur deux ans et non un », résume Emmanuelle Gourvitch, présidente du Syndicat national des arts vivants (Synavi) et administratrice de la compagnie marseillaise L’Art de vivre. Elle était de la présentation du plan le 27 août à Paris.
Beaucoup s’inquiètent aussi de l’impact du maintien des gestes barrière – port du masque et distanciation sociale, en zone rouge (départements 06, 13, 83, 84 en Paca). Directeur de La Distillerie, à Aubagne (13), lieu de fabrique et de résidences pour les compagnies du spectacle vivant de la région, Christophe Chave s’alarme : « J’ai vraiment peur que ce soit l’hécatombe dans les petites salles. Si on garde le masque et la distanciation, ce qui n’est par contre pas imposé dans les TGV, dans notre salle de 100 personnes, je ne pourrais en accueillir que 10. » Même au conseil régional, on semble ne pas se faire trop d’illusion. « La rentrée culturelle n’aura pas lieu », y prophétise-t-on.
Solidarité institutionnelle
Après une édition 2020 des Suds « réinventée mais dans l’esprit », un des rares événements culturels de la région à avoir été maintenu cet été, Stéphane Krasniewski se prépare déjà de son côté à une programmation 2021 « impactée ». « Il y aura des scènes et des choses nouvelles, mais le budget va être réduit parce que les gens risquent d’avoir un pouvoir d’achat en baisse et les collectivités locales moins de moyens », estime le directeur du festival de musiques du monde d’Arles (13).
À l’image de l’État, qui considère que « la culture est [d’abord] une activité économique », les collectivités locales ont pourtant été jusqu’ici très réactives pour soutenir un secteur particulièrement douché par la crise de la Covid-19. Selon une étude du gouvernement publiée fin mai, il devrait connaître une baisse d’activité globale de plus de 25 % de son chiffre d’affaire, avec même des moins 72 % pour le spectacle vivant et moins 31 % pour les arts visuels (1). Ce qui pourrait être pire en Paca : avec ses grands festivals, la culture y pèse quelques 50 000 emplois et presque 5 % du PIB régional, deux fois plus qu’au niveau national (2,3 %).
La solidarité institutionnelle a d’abord concerné les subventions. La région et plusieurs conseils départementaux ont accéléré leurs versements, permettant aux structures d’assurer les frais de fonctionnement et d’honorer les contrats et rémunérations, d’intermittents par exemple. Certains ont été un peu plus loin, lançant par exemple des appels à projets sur le modèle de « l’école apprenante » du gouvernement (2). Mais c’est la région qui a été la plus volontariste. Dès le 10 avril, Renaud Muselier, son président LR, a annoncé un fonds de soutien de cinq millions d’euros au secteur, soit une augmentation de 25 % de son budget annuel, selon l’institution. Un plan qui concerne tous les domaines : livre, arts plastiques et visuels, cinéma et audiovisuel, arts de la scène. « On a d’abord accompagné les structures très tributaires de la billetterie ou de coproductions, mais aussi suspendu la « clause du service fait » pour faciliter le règlement de subventions et, surtout, fait corréler nos fonds d’urgence et de soutien avec les dispositifs de l’État », explique-ton au sein de l’institution.
« Le ruissellement ne marche pas »
« La Région a abondé au fonds d’urgence du centre national de la musique, ce que n’ont pas fait tous les conseils régionaux », apprécie par exemple Stéphane Krasniewski, le directeur des Suds, également président de Zone Franche, le réseau des musiques du monde. « Il y a un vrai dialogue et un vrai soutien, mais on reste inquiet pour l’avenir. C’est toujours compliqué pour les tournages et on ne sait pas combien de temps ces financements vont durer », note de son côté le réalisateur Jean-Christophe Victor, membre de l’Association des auteurs et réalisateurs du Sud Est. Réponse de la région, qui laisse peu d’espoir pour cette année : « Ce sera difficile d’aller plus loin, on a déjà un déficit de recettes de 60 millions d’euros. »
Toutes les collectivités n’ont pas été aussi attentionnées. Engluées dans les municipales, certaines communes n’ont toujours pas réagi. D’autres n’ont pas brillé par leur solidarité. Christophe Chave, le directeur de La Distillerie, a ainsi dû batailler avec son principal financeur, la ville d’Aubagne, qui voulait profiter de la période de confinement pour lui réduire un de ses financements. Autres cas de figure : les non paiements d’interventions en collège ou lycée, ou de spectacles non réalisés. Selon le syndicat des entrepreneurs de spectacles, très peu de mairies ont indemnisé les représentations annulées (lemonde.fr, 06/08). « Même s’il y a annulation, il y a un contrat à honorer », rappelle Emmanuelle Gourvitch, du Synavi. Et de râler : « On a eu ce problème avec des communes des Bouches-du-Rhône qui bénéficient du dispositif Provence en scène du département. Il y a toujours cette vieille idée qu’on peut vivre d’eau fraîche et de culture, alors qu’on est des entreprises comme les autres ! »
Culture et eau fraîche
Mais pour Emmanuelle Gourvitch, la principale problématique est la situation des lieux et compagnies non ou peu subventionnées. C’est le cas de Fabienne Boutet-Llombart – la Fabia – et sa compagnie Acento Flamenco. Elles ont à peu près tout connu depuis le début du confinement : dates reportées ou annulées, parfois non payées, créations et représentations au point mort, cours suspendus, un lieu sur les bras… « Entre les démarches administratives, les cours via une chaîne Youtube et les stages gratuits en début d’été, on a travaillé deux fois plus. Mais on n’a pas eu accès au plan d’urgence. La seule solidarité que l’on a eu vient des élèves », expliquait la danseuse de flamenco fin juillet.
Si elle bénéficie du statut d’intermittent et de l’année blanche, en cette rentrée elle s’inquiète : « On a 3 600 euros de charges mensuelles pour le local, une chargée de diffusion. Il faut que l’activité reprenne et bien, mais on n’a plus que deux dates programmées jusqu’en décembre et si les cours reprennent, on ne sait pas quelle va être la réaction des gens avec le risque de seconde vague. »
La région assure avoir identifié cette problématique et soutient exceptionnellement cette année 200 structures. Pour le Synavi, cette situation et la crise de la Covid doit aussi obliger le gouvernement à repenser le modèle culturel français. « Il faut sortir de la démocratisation de l’accès à la culture et des grandes salles conventionnées pour aller vers plus de démocratie, en privilégiant des lieux plus petits mais plus près du public, et en finir avec la logique de projet, souligne Emmanuelle Gourvitch. Le ruissellement ne marche pas non plus pour la culture ! » Mais reste très à la mode au sommet de l’État…
1. « Analyse de l’impact de la crise du Covid-19 sur les secteurs de la culture. Synthèse », Ministère de la culture, 55 p, 28/05/2020.
2. Contactés, ni le département des Bouches-du-Rhône ni la direction régionale des affaires culturelles n’ont donné suite à nos demandes.