Lacoste, Cardin et nous
Je m’appelle Cyril Montana, j’ai 48 ans, et je suis auteur.
L’histoire : dans les années 2000, le couturier milliardaire Pierre Cardin a racheté les ruines du château du Marquis de Sade qui surplombe Lacoste, village médiéval du Luberon, pour le restaurer. Jusqu’ici tout va bien.
Puis, il a acheté 40 maisons, 50 hectares de terre, la boulangerie, l’épicerie, un café-hôtel-restaurant, le magasin de journaux, pour au final virer tout le monde. Aujourd’hui toutes les maisons et commerces sont vides.
Or, ce village est celui de mon enfance.
Je suis né à Paris en 69, de parents hippies. A 5 ans, mon père est descendu s’occuper d’une ferme avec des chèvres en m’emmenant avec lui. Ma mère avait pris la route, à la recherche de ses idéaux sans doute…
Je suis allé à l’école primaire de Lacoste. A 9 ans, je suis remonté à Paris avec mon père qui nous a quittés quelques années plus tard. Et là, je suis donc redescendu à 15 ans avec ma grand-mère Arlette, à qui ma garde avait été confiée.
Sachant que son fils Serge adorait Lacoste, elle venait juste de finir d’y faire construire une petite maison.
Heureusement, car après avoir perdu mon père, je commençais à mal tourner à Paris. Lacoste m’a sauvé, parce que ce village a toujours été singulier. Vaudois, quand les autres étaient catholiques, communiste quand les autres étaient à droite. Il était aussi, dans les années 50, le lieu de pèlerinage des surréalistes. Breton, Man Ray, ou encore René Char venaient honorer la mémoire de Sade.
A 15 ans, j’ai donc retrouvé les terres de mon enfance, dans un village où se côtoyaient des paysans, des artistes internationaux, des carriers de pierre, des hippies etc. Il n’était ainsi pas rare de croiser au détour d’une ruelle un des plus grands poètes américains comme Gustav Sobin.
Et c’est grâce à cet écosystème bien particulier que j’ai pu me reconstruire.
Après un bac à Apt, je suis remonté à Paris pour aller à la fac. J’ai ensuite fait ma vie, suis devenu auteur, deux enfants, Kirana et Grégoire. Et même si je redescendais souvent à Lacoste voir Mamie Arlette qui faisait office de mère, et que j’en entendais parler des histoires avec Cardin, j’étais loin des préoccupations du village.
Or en 2013, mon monde s’est écroulé. Contrôle fiscal, divorce, dépôt de bilan de ma boite. J’étais au fond du gouffre. Pour me ressourcer, je suis allé à Lacoste. Mamie venait de nous quitter. J’ai alors réalisé que ce que je croyais immuable était en danger.
Le village avait été déchiré depuis plus d’une décennie entre les pro et les anti Cardin.
J’ai alors rencontré le réalisateur Thomas Bornot. Il a tout de suite accroché sur le sujet, et réalisé que Lacoste était une métaphore du monde moderne, avec les 1 % les plus riches qui s’accaparent de plus en plus de richesses.
Nous avons décidé de produire un documentaire. J’ai embarqué mon fiston Grégoire de 22 ans. On est allé voir les gens du village, des politiques, des intellectuels, des philosophes pour nous dire ce qu’ils pensaient de cette situation, et même effectué une marche de protestation pacifique de Paris à Lacoste, sur les conseils du disciple de Gandhi, Rajagopal P.V.
Et bien que les médias nous aient beaucoup relayés, rien n’a changé dans le village.
Aujourd’hui que le documentaire est fini de monter, on se demandait quoi faire pour la sortie en salle.
On a pensé à une pétition pour que soit examinée au parlement la possibilité d’encadrer le nombre maximum d’acquisitions de biens immobiliers dans un secteur donné, avec obligation de mettre en place une consultation populaire ayant valeur de validation au-delà d’un certain seuil.
Si vous avez d’autres idées, écrivez-nous, on est à la recherche d’idées et aussi d’un distributeur cinéma !
N.B. Tribune publiée en septembre 2018 dans le Ravi, avant la fin du tournage de Cyril contre Goliath, du film de Cyril Montana et Thomas Bornot, finalement sorti en salle le 9 septembre 2020.