Moi, Joe le Taxi, le VTC de Luc Besson
« Vroum ! Vroum ! Hiiiiiiiiiii ! Tût Tût ! » (1) Quoi ? Vous comprenez rien ?! C’est sûr, je suis pas Flash Mc Queen, le bolide de chez Pixar mais quand même ! Je vais pas vous la jouer : « Je suis une machine de précision, un bolide aérodynamique » (2). On est à Marseille ou quoi ?! LA ville du tout bagnole. La ville des connards qui laissent tourner leur moteur pendant des heures même à l’arrêt. La ville des abrutis qui se croient tout permis à partir du moment où ils ont leur warning. Remarquez, c’est le seul moment où ils utilisent leur clignotant… La ville où j’ai connu la gloire. Un taxi blanc qui fonce à toute vitesse en slalomant partout, ça vous dit rien ?
Qu’est-ce qu’il y a ? Une voiture qui cause, ça n’existe pas… Et K2000, c’est le mime Marceau, peut-être ? Et puis vous n’allez pas me faire croire que vous n’avez jamais parlé à votre bagnole ? Même les Suisses leur donnent des surnoms (3). Z’êtes même capables de passer plus de temps avec nous qu’avec votre famille. Et je parle même pas de la thune…
Faut pas m’en vouloir, j’suis un peu énervée. Normal, une berline toute droite sortie des années 90 avec un V6 sous le capot et plus de chevaux que dans Ben Hur, c’est nerveux. Mais qu’une bagnole comme moi arrive en retard, ça la fout mal, non ? Ben oui Taxi 5 devait sortir en janvier et puis, boum, ce sera en avril. « Vieux motard que jamais », comme on dit. Et puis ça fera pile 20 ans après la sortie du 1er. Mais 20 ans, pour une Peugeot, ça sent plus la casse que la voiture de collection.
C’était le bon temps, pourtant. Samy Naceri, Marion Cotillard, une bande-son signée Akhenaton… Et derrière, Luc Besson qui aurait mis 30 jours pour écrire un scénario qui tient pourtant sur un ticket de métro : un jeune flic incapable de décrocher son permis qui, épaulé par un chauffeur de taxi surdoué, réussit à coincer un gang de braqueurs de banque teutons. Un film tourné en à peine un mois et qui a réuni plus de 6 millions de spectateurs. Y a une réplique qui me reste dans la tête de delco. Quand Samy Nacéri – Daniel, le « chauffard de taxi » – dit à Frédéric Diefenthal, Emilien, le flic qui vient de le serrer : « Je promets de plus recommencer »…
Si seulement ! Je parle pas des frasques de mon chauffeur, qui fait plus causer de lui à la rubrique « faits divers » que dans les pages « cinéma » et qui s’est plaint de ne pas être au casting du prochain : « Je mérite un peu plus de respect » (4) Son collègue a eu moins de scrupules. Que pense-t-il de ne pas rempiler ? « Je m’en fous ! C’est même une vraie satisfaction que ça se fasse sans moi : ça m’a collé à la peau et j’ai besoin de m’en libérer » (5).
« Je mérite un peu plus de respect »
Dès le début, il aurait fallu faire marche arrière ! Non mais franchement, un taxi qui se prend pour une formule 1 dans la ville la plus embouteillée de France (6), à part de la science-fiction, comment ça peut déboucher sur autre chose qu’un nanar ? Même Walt Disney, avec Cars 3, s’interroge sur le sens qu’il y a à faire des suites. Comme le dit le pote de Flash Mc Queen au moment de prendre sa retraite : « J’ai demandé à mon oncle comment on savait qu’il était temps de raccrocher les pneus. Tu sais ce qu’il a dit ? Les jeunes te le feront savoir. » (7)
Et moi, je continue ma descente aux enfers : « On avance, on avance, on avance. C’est une évidence, on n’a pas assez d’essence pour faire la route dans l’autre sens. Alors on avance… » (8) Il y a 20 ans, on était les rois du pétrole. Aujourd’hui, je ne suis même plus un taxi. Je suis un VTC. Taxi est devenu Uber ! Avec cette injonction de Luc Besson au réalisateur : « Éclate-toi mon poto ! Fais péter les compteurs ! » (9) En clair, marche ou crève.
Il y croit même plus, Besson ! La preuve ? Si, dans le 1er, je faisais la nique aux « chleus » (10), avec qui croyez-vous que le patron d’EuropaCorp a pactisé ? Avec les Allemands, pardi, avec Audi ! (11) De toute manière, à Marseille, Besson, il est maudit… Il vient de renoncer à son projet de multiplexe, un boulet qu’il traînait depuis 2005, pour finalement refiler le bébé à Pathé : « Avoir deux cinémas n’était pas suffisant pour que ce soit une véritable activité de multiplexes (…) Or, nous préférons nous concentrer sur notre cœur de métier : la production de films d’envergure, notamment en langue anglaise » (12) Des films d’envergure… Des merdes qui finissent dans les tréfonds du box-office, plutôt !
Y a plus d’respect ! Vous avez vu les articles de La Provence consacrés au dernier opus ? « La circulation perturbée par le tournage de Taxi 5 », « Attention aux interdictions de circulation », « Quelles rues seront fermées » (13)… Du radio-guidage ! Et, en pleine vague d’attentats à la voiture-bélier, c’est un coup de bol que le type qui a fauché deux personnes à la Valentine cet été conduisait une fourgonnette… Sinon, on aurait pu me faire porter le chapeau et j’me serais retrouvé embarqué par la fourrière pour être passé à la question comme une 4L au contrôle technique.
En fait, je me suis planté de ville. C’est pas à Marseille qu’il aurait fallu traîner mes pneus. Certes, vous avez des chauffeurs de bus qui ne se sont toujours pas remis de Speed et des « kékés » qui se croient dans Fast & Furious. Mais là où je pourrais monter dans les tours, c’est à Nice, chez le « motodidacte », Christian Estrosi.
L’ex-patron de la Région est si accro au pétrole et à l’asphalte qu’il a fait des pieds et des mains pour le retour du Grand Prix de formule 1 au Castellet, avec 14 millions d’euros de subvention pour un événement qui en coûte une trentaine et qui en rapportera peut-être 60 (14) Afin de dénoncer les 6 millions d’euros accordés par la métropole niçoise à un événement qui se situe à « 2h30 de Nice, bouchons compris », un élu écolo, en accusant Estrosi de « rouler à contresens des priorités », lui a offert un jeu vidéo, « Formula One » (15). Vu ce qui s’est passé sur la Promenade des Anglais, peut-être aurait-il dû choisir « Grand Theft Auto » (16). Quoi ? C’est pas de très bon goût… Putain, relisez Desproges (17). Vous avez jamais pris de taxi de votre vie ou quoi ? Vous préférez que je ferme ma gueule et que je mette de la musique, c’est ça. Vous voulez quoi ? « Joe le Taxi » de Paradis ? Ou bien les VRP ? « Je suis le roi de la route / Je peux faire Paris-Beyrouth / En moins d’une demi-heure ! »
Raoul Caroule
Portrait satirique publié dans le Ravi n°158, daté janvier 2018