« Je reviendrais vers vous »
16:37
« Et bien bonjour à vous toutes et à vous tous. » Installé en maître d’école, Patrick de Carolis, le nouveau maire (divers droite) trône avec quatre adjoints derrière un bureau face aux conseillers municipaux. La précédente mandature (Hervé Schiavetti, PCF) proposait une disposition en rectangle.
16:38
« La séance va commencer », annonce le maire. « C’est donc ça, je croyais que c’était un film X », gausse Xavier Gousse, relégué au fond de la classe avec son collègue Maxime Favier qui rit gras par politesse. Le premier est conseiller municipal d’opposition, l’autre vingt-septième élu de la majorité, mais surtout ancien trois-quarts du Rugby club arlésien dont Gousse est le kiné. Ambiance troisième mi-temps.
16:45
Pas d’échauffement, juste après l’appel, en taulier de l’opposition, Mohammed Rafaï (PS), barbe grise et deux mandats au compteur dans l’ancienne majorité, tire le premier dès la validation du procès-verbal du conseil municipal d’installation. « Le 5 juillet, vous avez fait passer une délibération qui annulait l’ancien règlement intérieur, on a vécu ça comme une atteinte à l’opposition, il est temps que le nouveau arrive. » L’enjeu ? Les moyens donnés à l’opposition – secrétaire, bureau en mairie – et la reconnaissance des trois sensibilités qui composent l’opposition en accordant à chacun un groupe, ce que permettait l’ancien règlement intérieur.
16:46
Cyril Girard, tee-shirt et boucle d’oreille, élu d’opposition tendance écolo-citoyenne (Changeons d’avenir ayant fusionné avec l’union de la gauche au second tour) appuie la frappe techniquement. « L’article 21-28 du Code des collectivités locales dit explicitement qu’en l’absence d’un nouveau règlement intérieur, l’ancien règlement intérieur s’applique. » Alors que le premier magazine municipal est déjà sorti, la non reconnaissance des groupes par le maire les a privés de tribune. « J’ai fait une demande au préfet pour un contrôle de validité », prévient-il. De Carolis rétorque : « Nous travaillerons un nouveau règlement intérieur comme la loi m’y autorise dans les moins de 6 mois. » Girard coupe le maire : « La loi je vous la redonne, l’article 21-28. » Patrick est serein : « Et bien on verra ce qu’en dira notre préfet, d’autres remarques ? »
16:53
Coup de mou, les millions s’égrainent dans un tunnel de dix minutes mené par Sylvie Petetin, l’élue au budget, style comptable à la retraite.
17:00
C’est son grand jour, Mandy Graillon, deuxième adjointe, ancienne reine d’Arles présente sa première délib’. Et ça tombe bien, elle concerne des subventions au monde de la tradition. Alors, elle se fait plaisir : « Comme le disait Frédéric Mistral, les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent le plus haut. » Ambitieuse, à 30 ans, elle a hérité des délégations de la sécurité, de la voirie et de la tradition, grands thèmes de campagne de de Carolis. Au regard de son sourire carnassier, l’ancienne directrice adjointe du cabinet d’Estrosi, puis de Muselier à la région Paca, peut très bien viser être maire après avoir été reine.
17:06
C’est déjà le grand rendez-vous de cette séance, la délibération n°8 concernant l’ajout de caméras sur l’espace public, financé à 40 % par la commune soit 153 741 euros. Une délibération retirée lors du dernier conseil municipal de l’ancienne majorité pour permettre au poulain de l’ancien maire, Nicolas Koukas, d’attirer les écolos-citoyens de Changeons d’avenir sur sa liste. Une délib’ promise d’être remise à l’ordre du jour par Patrick de Carolis pendant sa campagne sécuritaire durant laquelle il s’est engagé à doubler le nombre de caméra, quadrupler le nombre de policiers municipaux, pour les porter à 60, et d’installer une brigade canine.
17:08
À 29 ans, c’est maintenant son heure. Costard cravate et sourire brillant, aussi beau qu’un vendeur de téléphonie plein d’ambitions, Jean-Frédéric Déjean, premier secrétaire de la section arlésienne du Parti communiste, collaborateur de cabinet du maire de Martigues (PCF), se lance dans son offensive préparée grâce à des lectures sociologiques (1). Il égraine les statistiques prouvant l’inutilité des dispositifs de vidéosurveillance. Saint-Étienne « 2 % des faits repérés ou élucidés », Lyon « 0,7 % », Nice « qui fait référence par l’abondance de ses caméras : 1,2 % ».
17:13
Avant de passer la parole à Virginie Maris, philosophe de l’environnement au CNRS, du collectif écolo-citoyen Changeons d’avenir, Patrick de Carolis prévient : « Si je m’en tiens au règlement intérieur, vous devriez être le seul à vous exprimer puisqu’il n’y a qu’un groupe. » Oui, le fameux règlement qui n’existe pas, qui permet à Mr le maire de retomber sur « strictement la loi » soit une lecture a minima des droits de l’opposition. « Mais comme je suis extrêmement attentif à la parole, je vais demander aux autres personnes qui ont levé la main de s’exprimer. Madame Maris vous avez la parole. »
17:14
« Nos peurs ne sont pas les vôtres », lance la scientifique qui redéfinit la sécurité en terme de protection contre « les changements climatiques », les pollutions « mais aussi la ségrégation sociale et les violences policières, la mainmise des entreprises privées sur les biens communs ». En prenant la calculette, elle estime à 1 million d’euros de masse salariale le fonctionnement efficace du système de vidéo existant. De l’argent qui selon elle pourrait être utile pour de la « police de proximité, des éducateurs et travailleurs sociaux, des centres d’aide et d’accueil pour les victimes de violence… »
17:19
Mandy Graillon est envoyée au front et contre-argumente avec d’autres chiffres, « les 25 réquisitions d’image par mois de la police nationale à Arles », les « 60 % des effractions élucidées à la RTM qui le sont grâce aux caméras », « alors oui, il me semble que parfois, la vidéoprotection soit efficace ». Elle s’en remet à l’intelligence d’en haut, des « outils mis à disposition par l’État » et promet surtout « de ne pas rester les bras croisés ».
17:25
Cyril Girard questionne une « dépense superflue » pour la création d’un emploi « fléché » de catégorie A destiné à « la rédaction des discours du maire, relations avec la presse et l’évolution du journal de la ville ». L’opposant souhaite savoir si ces dépenses seront sur le budget du cabinet ou des services de la ville. De Carolis, les yeux rivés sur ses fiches passe au vote sans prendre la peine de répondre.
17:28
Délibération n°11, « indemnités du maire et des adjoints ». Graillon à la lecture souligne la baisse de 5 % des émoluments du maire par rapport à l’ancien. Mais elle oublie de préciser qu’à ses 3939 euros euros brut, Patoche ajoute 3367 de la présidence de la communauté ACCM, alors qu’Hervé Schiavetti, l’ancien maire n’en était que le vice-président, un poste rémunéré 534 euros. Fièrement, elle annonce la fin des indemnités des élus d’opposition.
17:30
Jean-Frédéric Déjean n’a pas « l’indécence de réclamer les indemnités », mais rappelle qu’Erick Souque, ancien cadre local du FN dans les années 90 aujourd’hui dans la majorité, « s’était félicité en 2015 des moyens accordés à l’opposition. Aujourd’hui j’ai l’étrange sensation que vous cherchez à priver l’opposition des moyens pour travailler au service de nos concitoyens. C’est du mépris pour les 42 % qui ont voté pour nous. »
17:32
Quand on touche au porte-monnaie, de Carolis riposte : « Le mépris, vous savez le mépris, c’est de ne pas accorder aux Arlésiens le droit à la sécurité. Je rappelle que vous avez voté contre les délibérations précédentes. » Hors micro, Déjean s’enflamme : « Elle sert à rien hein, elle sert à rien votre délibération. »
17:34
Mi-temps. Patrick laisse 1 minute et 27 secondes de lecture de chiffres soporifiques à Sylvie « tunnel » Petetin, l’élue au budget, avant de siffler hors-jeu : « C‘est la délibération 13, la 12 a été traitée. » Vraiment personne n’écoutait, c’est dur. La partie peut reprendre.
17:38
Déjean remonte sur le ring et tend son livre de chevet. « Concernant la sécurité, si vous voulez je peux vous offrir cet excellent livre qui montre à quel point la vidéosurveillance est inefficace. » Patrick tente un contre : « N’ayez pas un train de retard monsieur Déjean. » Et le Corse de couvrir la voix du maître d’école : « J’ai pas d’indemnité, mais je peux vous l’offrir, ne vous inquiétez pas. » Ça sent la testostérone.
17:40
C’est parti pour 36 minutes de nominations d’élus du conseil municipal aux différents organismes et commissions.
17:47
Alors que tout le monde roupille, Jean-Frédéric Déjean sursaute. Entre la préparation du conseil et la délibération, le nombre d’élu au conseil d’administration au CCAS passe de 8 à 7, privant l’opposition d’un deuxième représentant. « En effet, le nombre d’administrateur est fixé par le maire », justifie Graillon, l’élève modèle. « J’ai parlé de mépris, j’ai bien fait », s’énerve sec Déjean.
18:14
Monsieur le maire accorde une journée d’absence aux agents pour le vendredi de la feria de septembre, tradition oblige.
18:16
Patrick de Carolis informe le conseil municipal qu’il prolonge de trois mois le délai de validité des offres pour la délégation de service public du complexe casinotier. En campagne, il avait promis de geler le projet pour demander l’avis aux Arlésiens. Sur le trône, il annonce « étudier en profondeur et avec beaucoup de minutie ce dossier. Je reviendrai vers vous à la fin de cette expertise ». Soit, Patrick le Grand a parlé. La séance est levée.
1. Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de la vidéosurveillance, de Laurent Mucchielli, éditions Armand Colin, 2018.
Croqués par Trax : Patrick (vu à la TV) de Carolis, le maire divers droite d’Arles suivi de Mandy Graillon, 2eme adjointe, et de Jean-Frédéric Déjean, conseiller PCF d’opposition.