Grande Tchatche avec Guy Benarroche : "On a du mal avec l'incarnation !"
Le Sénat est-il une assemblée d’endormis ?
Je l’ai cru longtemps et même après avoir été élu, je me suis dit, « on va réveiller ça ». Si on m’avait dit, quand j’étais jeune, que je serai sénateur, cela ne m’aurait pas effrayé mais cela m’aurait fait beaucoup rire ! Mais depuis mon arrivée, je suis surpris par l’intensité de l’action au quotidien du Sénat. Je n’ai peut-être jamais autant travaillé intensivement dans ma vie ! Nous sommes un groupe de 12 personnes qui veulent faire front sur tous les sujets, – débats, lois – on est en permanence actif, sur le terrain. C’est intense. C’est à l’inverse du cliché.
Comment peser quand on est 12 sur 348 élus ?
Exemple : hier, c’était la niche parlementaire de notre groupe où l’on peut présenter une loi qui n’émane pas du gouvernement. On en a présenté deux. L’une portait sur l’interdiction faite à des gens qui viennent de faire faillite de se proposer candidat à la reprise de cette même société. Normalement c’est interdit, mais c’est toléré en ce moment par une ordonnance du gouvernement qui n’a jamais été ratifiée. Des gens de chez Camaïeu, Alinéa, qui ont déposé le bilan, ont pu être candidats. La famille Mulliez à Alinéa a obtenu ce droit de reprise. C’est un vrai scandale. Notre loi n’est pas passée, je vous rassure, si je puis dire ! Mais on a aussi proposé un projet de loi pour le développement et l’instruction des langues régionales : celui-ci a été voté par le Sénat et sera voté à l’Assemblée nationale. On peut donc arriver certaines fois à des résultats en étant minoritaire.
Le président du Gest (Groupe écologiste, solidarité et territoires), Guillaume Gontard, n’est pas membre d’EELV…
Il fait partie des cinq anciens sénateurs de notre groupe. Il a été élu dans l’Isère lors du précédent renouvellement sur une liste plurielle soutenue par plusieurs partis de gauche. Il ne fait pas partie d’EELV même s’il est très proche de nous et qu’il reverse, comme nous, une partie de ses indemnités à EELV.
Esther Benbassa, elle aussi candidate, a regretté publiquement ce choix plutôt que celui d’une femme écologiste…
Esther est une amie qui est venue me soutenir pendant la campagne à Marseille. Elle aurait aussi été une très bonne présidente de groupe. On aurait pu être sectaire, imposer quelqu’un d’EELV car on est majoritaire dans le groupe (7 sur 12) mais ce n’est pas la culture libertaire de notre parti. On a privilégié la capacité d’avoir des discussions y compris avec les autres groupes de droite d’une manière plus sereine. Esther a été un peu déçue 48 heures mais elle est maintenant à fond la caisse. Vice-présidente du groupe, elle occupe ses fonctions avec la même énergie qu’elle fait toujours. Cela se passe parfaitement bien avec une ambiance positive : entraide, bienveillance, capacité de travail en commun.
« La gestion de la crise du Covid nous pose problème »
Une commission d’enquête parlementaire, présidée par Alain Milon, sénateur LR du Vaucluse, vient de publier un rapport extrêmement critique sur la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement en dénonçant notamment le fiasco sur les masques. Partagez-vous ses conclusions ?
Seul le Sénat contrôle aujourd’hui l’activité parlementaire du gouvernement. A l’Assemblée nationale, le parti du gouvernement a une majorité absolue qui lui répond au doigt et à l’œil ou alors les députés quittent le groupe LREM. Toute la gestion de la crise du Covid, passée et actuelle, nous pose problème. Il peut y avoir des décisions sur lesquelles nous sommes d’accord, d’autres sur lesquelles nous ne pourrions pas forcément faire mieux. Par contre, le gouvernement ne met pas ses décisions à la discussion commune avec les sénateurs ou les députés. En Allemagne la décision de sortir ou d’entrer dans le confinement est mise sur la table de manière transparente par Angela Merkel avec la totalité des Länder allemands. En France, on apprend les informations sur ce que va faire le gouvernement à la TV et à la radio. On n’a pas de réponses. Olivier Veran, le ministre de la Santé ne vient plus au Sénat depuis un mois et demi pour répondre aux questions lorsque les débats engagent son ministère. Le débat est très libre au Sénat même si toutes les commissions sont présidées par des Républicains majoritaires. On n’est pas toujours d’accord avec eux. Des fois ils détricotent des choses qui nous paraissent bien faites par le gouvernement et des fois, par contre, ils améliorent avec nous des aspects. Mais ces commissions d’enquête sont réelles, on y croise beaucoup de monde. Elles permettent de sortir des rapports très exacts comme celui sur la gestion du coronavirus.
La non réouverture des lieux de culture, en novembre, est-elle une erreur ?
Avec les règles appliquées par exemple dans les trains et les espaces publics, on aurait pu rouvrir les cinémas et les théâtres sans faire prendre de risque à la population.
Allez-vous vous opposer à la loi sur la « sécurité globale » ?
Elle devrait arriver au Sénat mi-janvier. On s’y est opposé formellement dès le départ. J’étais à Paris dans la première manifestation pour protester devant l’Assemblée nationale le jour où elle étudiait le texte en première lecture. Je suis intervenu avec des associations diverses en tant que sénateur écolo pour expliquer à quel point je trouve cette loi dangereuse pour les libertés, les valeurs fondamentales de notre République et de notre démocratie. On va s’y opposer et pas seulement à l’article 24.
Vous combattez aussi la loi sur le séparatisme. Les écolos, comme l’a affirmé Anne Hidalgo, la maire PS de Paris, ont-ils un problème avec la République ?
Anne Hidalgo prépare une campagne électorale quelconque. C’est une des critiques faites aux écolos de manière rémanente depuis quelques mois depuis que la sphère politique s’est rendue compte que nous avions la confiance de nombreux électeurs et que nous devenions une force politique à prendre en considération. On cherche à nous trouver une sorte de problème que nous aurions avec la République ou la démocratie. La loi sur le séparatisme est dangereuse, peut-être encore plus que celle sur la sécurité globale. Il ne s’agit pas de dire que tout est parfait et qu’il ne faut rien améliorer. On attend d’avoir les textes qui vont arriver vraisemblablement vers la mi-mars. Nous combattons ce que l’on pourrait appeler l’islamo-fascisme mais il ne faut pas tout confondre. On peut lutter contre l’intégrisme qui devient du terrorisme religieux, y compris islamiste, et refuser des lois qui vont restreindre la possibilité pour tout le monde de manifester des positions allant à l’encontre de décisions gouvernementales. Elles n’enrichissent pas la démocratie.
Vous ne pensez donc pas, comme Christian Estrosi, le maire LR de Nice, que le droit à sécurité prime sur tous les autres ?
Des lois existent permettant de lutter efficacement contre des actions qui sont clairement terroristes, visant à tuer des gens selon des critères liés essentiellement à un intégrisme religieux ou politique, ou politico-religieux. Il faut déjà les appliquer de la meilleure façon qui soit. Mais surtout, il faut s’en donner les moyens. Doit-on mettre les moyens sur des systèmes informatifs qui jusqu’ici n’ont pas montré leur efficacité ou dans l’augmentation de la capacité humaine de services qui ont fait leurs preuves dans la lutte contre le terrorisme ? Ce sont des choix politiques.
« Je suis favorable au tirage au sort »
Les Français tirés au sort pour siéger dans la convention citoyenne pour le climat, font-ils de l’ombre au Parlement avec ses élus ?
Je suis favorable au tirage au sort. Se pose actuellement la question de la réorganisation totale du Conseil économique et social et environnemental, le Cese, la 3ème chambre de l’État. Il y a deux positions. La première consiste à dire qu’il ne sert à rien, que cela fait longtemps qu’il ne fait pas grand-chose avec sa déclinaison régionale, le Ceser. On devrait l’aider à mourir. C’est un peu ce que souhaite la droite. Et puis on peut penser qu’il y a là un vrai outil qui a servi en regrettant qu’on ne revivifie pas sa démocratie interne, qu’on ne lui donne pas sa place, qu’on ne fait pas assez de pub sur son action et que le gouvernement ne tient pas assez compte des résultats qu’il obtient. Pour le revivifier, je pense qu’il faut faire appel au tirage au sort pour permettre aux gens de participer aux commissions et en même temps lui permettre d’initier des pétitions afin qu’il s’autosaisisse de sujets. Cette participation citoyenne me semble fondamentale qui vient en complément de la démocratie représentative. Elle ne la tue pas, elle n’y est pas opposée, elle permettra d’aller plus en avant. Si la démocratie représentative fonctionnait de manière parfaite, cela se saurait. Il y aurait 80 % de participation aux élections et ce n’est pas le cas. On a été désigné dans des élections, on sait le poids que cela représente, mais on n’est pas sourd sur le fait qu’il n’y a pas beaucoup de participation, que la démocratie se manifeste ailleurs aussi et qu’il faut en tenir compte.
Faut-il appliquer les conclusions de la convention ?
Nous avons rencontré la convention citoyenne pour le climat récemment. On travaille sur la future loi qui n’est pas encore connue. Nous rappelons au gouvernement, pratiquement lors de toutes les séances, son engagement à reprendre sans filtre les dispositions proposées par la convention. Il faut avancer. L’écologie macronienne c’est celle du dire, on veut défendre celle du faire.
Le Président a réaffirmé son soutien à la filière nucléaire en projetant de construire six centrales EPR…
Cela a été un de mes premiers combats, dès 74, c’était compliqué et cela le reste toujours. Nous essayons d’expliquer que l’on ne s’en sortira pas en consommant toujours plus d’énergie. J’ai défendu des amendements dans la loi de finance pour obtenir plus d’argent sur la rénovation thermique des bâtiments privés ou publics. En Allemagne ils ont réussi à abandonner le nucléaire tout en programmant la fin du charbon. La proportion des énergies renouvelables dans le mix énergétique est bien supérieure en Allemagne qu’en France. On est dans deux planètes différentes. Sortir de l’urgence climatique en luttant sur le front de l’énergie cela consiste à mettre tous les moyens sur les énergies renouvelables qui permettent de nombreuses embauches.
Vous êtes toujours un Amish comme Macron le déplore, en refusant la 5G ?
Emmanuel Macron fait beaucoup de références au religieux. Dans le passé on nous critiquait en nous disant que nous voulions retourner dans les cavernes avec des bougies. C’est le propos de gens qui ne nous connaissent pas et ne nous écoutent pas, comme Macron. Concernant la 5G, oui, il faut prendre un moratoire. Il faut arrêter de développer ad vitam des technologies et des produits sans étudier leurs répercussions au niveau environnemental et de la santé. On a déjà fait par le passé l’erreur avec l’amiante, les néonicotinoïdes, le glyphosate, pour des tas de produits. Au moins attendons le rapport de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) sur la 5G. Y a-t-il une urgence à le faire ? Sauf à vouloir passer au tout numérique. J’ai lu quand j’étais jeune un bouquin de science fiction de Clifford D. Simak qui s’appelle Demain les chiens : la société humaine y est morte du manque de communication avec des gens ne se voyant plus. Mettons en perspective ce que la 5G peut offrir par rapport à ce qu’elle coûte.
« Il faut prendre un moratoire sur la 5G »
Les dernières municipales ont permis aux écologistes de beaux succès dans les grandes villes…
Nous avons été hyper heureux. Cela dit, nous avons aussi gagné des petites villes (Besançon, Annecy) et d’autres dont on ne parle pas. Maintenant il faut que Jeanne Barseghian (Strasbourg), Gregory Doucet (Lyon), Pierre Hunic (Bordeaux), arrivent à montrer que dans la gestion quotidienne de leur ville, le fait d’avoir un maire écolo aux manettes dans leur cité induit un changement positif dans la vie des gens. Ils vont le faire comme Eric Piolle (Grenoble) qui, pourtant, avait été très critiqué durant la première année. Aujourd’hui ces critiques se sont tues.
Et puis Rubirola est là ! [Cet entretien a été réalisé le 11 décembre 2020, 5 jours avant la démission de la maire de Marseille]. Qui n’était pas votre premier choix puisque vous aviez soutenu au premier tour, à Marseille, une liste 100 % écologiste conduite par Sébastien Barles…
Pour nous il était évident, en mars 2020, que pour avoir une majorité à Marseille il fallait au premier tour une liste écolo défendant avant tout un programme écolo autour de l’écologie. Après des tas de discussions, négociations, fusions entre les deux tours, si cette liste d’union (sous les couleurs du Printemps marseillais, Ndlr) l’a emporté, c’est parce qu’il y avait une liste écolo au premier. S’il n’y avait eu qu’une liste dès le premier tour, reste à prouver que Michèle Rubirola serait maire de Marseille.
Vous affirmiez alors qu’un logo EELV était plus porteur qu’une coalition entre les gauches et les écologistes. Pourtant à Marseille, Aix-en-Provence et Aubagne, par exemple, les listes unitaires ont eu plus de succès…
Oui, l’union est possible, utile, voire indispensable ! La question c’est de savoir comment on la fait : avec une union politique de premier tour sur des programmes qui obligatoirement vont mettre des bémols sur des aspects sociaux ou écolos ? Ou est-ce qu’il faut affirmer lors des premiers tours un pôle écologiste ?
Michèle Rubirola est-elle une maire EELV ?
Elle n’est jamais partie. Elle a été mise en retrait par le parti qui l’a réinvestie avant le second tour. Pour nous c’est une adhérente EELV. Marseille est une ville qui a un maire écologiste. Je n’ai jamais remis en cause la réalité de son écologisme.
« Chez les écolos, la politique n’est pas une carrière »
Une question récurrente est posée : est-elle le faux nez d’une gouvernance socialiste avec un premier adjoint, Benoît Payan (PS), très présent ?
L’exécutif municipal à Marseille est doté d’un maire et d’adjoints écolos dans une partie de l’exécutif ainsi que de gens de la société civile qui auraient très bien pu être sur nos listes également. Il existe au sein de la majorité un rapport de force : chacun essaye de défendre en priorité des mesures liées à son parcours et à ses idées politiques. C’est logique et normal. Chez les écolos, la politique n’est pas une carrière. On n’y est pas depuis nos 18 ans jusqu’à notre dernier mandat électif. On a fait d’autres choses, on participe activement à tout un tas d’associations.
Le style « Rubirola », c’est une faiblesse ou une chance pour Marseille ?
C’est compliqué de répondre. La politique n’est pas sa vie. Elle fait autre chose. C’est une certitude. Cela ne peut être qu’un bien. On a trop vécu avec des politiques en dehors des gens, du peuple. Ce n’est pas le cas de Michèle Rubirola. Mais à un moment donné, il s’agit de Marseille, de la deuxième ville de France. Il y a une incarnation importante de sa fonction. Elle ne peut pas d’un seul coup s’improviser. Cela ne va pas venir en trois mois ; il faut l’aider à ça. J’ai toujours dit à Michèle : on est là pour t’aider. Il ne faut pas hésiter à s’appuyer sur nous.
L’écologie a donc enfin droit de cité à Marseille ?
Je suis à Marseille depuis 1962. L’écologie n’y a jamais eu de place. Aujourd’hui, oui c’est le cas. Je fais confiance aux élus écolos et à Michèle Rubirola pour faire en sorte que cela aille mieux. Est-ce que tout est parfait ? Non. Est-ce que je peux, comme sénateur, et EELV, aider pour avancer plus vite ? Oui.
Du coté d’Aix-en-Provence, la double étiquette de Dominique Sassoon, à la fois suppléant de la députée LREM, Anne-Laurence Petel, et tête de liste EELV aux dernières municipales, suscite des remous chez les écologistes.
Il est suppléant, il ne peut pas démissionner. Cela n’existe pas dans la loi. Plusieurs mois avant l’élection municipale, il a fait savoir qu’il se désolidarisait de LREM et d’Anne-Laurence Petel. Sa désignation aux municipales a été le choix très majoritaire des Aixois. On l’assume. Il a fait le meilleur résultat qu’EELV n’a jamais fait à Aix-en-Provence. Une autre liste écolo a obtenu 4 %. Les deux listes ensemble auraient permis de fusionner avec la liste de gauche et peut-être de gagner la mairie…
Et nous voilà déjà à la veille de nouvelles élections locales. Deux pour le prix d’une, d’abord prévues en mars, désormais en juin : les régionales et les départementales. Comment parler politique locale, faire campagne, dans le contexte sanitaire, social et économique ?
J’ai travaillé avec des sénateurs sur un rapport, remis le 16 décembre, sur les manières d’améliorer la participation, la démocratie, pendant la campagne. Ce sont des élections importantes pour la région, le département. Un sénateur siège dans la chambre des territoires. J’ai dit aux grands électeurs que mon rôle principal serait d’être celui qui portera les solutions, les demandes et les projets des maires du département au sein du Sénat et auprès du gouvernement. Je vais m’y employer avec l’ANCT (nouvelle Agence nationale de cohésion du territoire) qui existe depuis un an mais n’est toujours pas mise en place dans les Bouches-du-Rhône par le préfet. Pour les élections qui arrivent, il n’est pas question que l’on se retrouve à nouveau au Conseil régional avec aucun conseiller régional, de gauche ou écolo. On mettra tout en œuvre pour y arriver. On va trouver la meilleure solution. Il n’est pas non plus question que nous laissions le département des Bouches-du-Rhône à Martine Vassal et aux Républicains vu leur gestion de la métropole. Le département est gagnable pour la gauche et les écolos.
Et revoilà devant vous l’éternelle problématique : faut-il présenter, comme aux municipales, des listes écologistes au premier tour ou, comme aux sénatoriales, faire d’emblée le choix de l’unité ?
La vraie question c’est quelle place et quel poids pour l’écologie ? Y a-t-il moyen de favoriser un nouveau modèle de société en accédant à la gouvernance des exécutifs dans des villes, des départements, des régions et au sommet de l’État ? Oui à des alliances à une condition : que les gens qui vont se déplacer puissent s’exprimer en faveur d’un projet écolo. Aux sénatoriales, j’ai été élu par des écolos qui n’auraient peut-être pas voté pour une liste si je n’y avais pas figuré et cela nous a permis de monter un groupe au Sénat. Notre objectif est d’avoir de nombreux élus à la région et de prendre le département des Bouches-du-Rhône. Pour cela on fera des alliances. Je n’exclus rien.
Sur le fond, la promesse d’une « région d’après », évoquée lors du premier confinement, rompant avec les dérives écologiques, sociales et économiques du vieux monde, est-elle encore une perspective ?
Au Sénat, on a discuté d’un projet de loi sur « les biens communs, le monde d’après » afin de constitutionnaliser le fait que les biens communs puissent être considérés différemment au regard de la crise écologique et sanitaire. C’est un vrai débat. Mais aujourd’hui, il faut permettre aux forces, aux partis, aux gens qui défendent un modèle de société différent pour produire, consommer, d’être présents dans les exécutifs en prenant les manettes du pouvoir. C’est ça qui nous fera avancer et pas l’incantation à un monde d’après que tout le monde a pu faire, à droite, à gauche, au centre.
« Renaud Muselier prend du retard tous les jours »
Les enjeux comme celui des effets du réchauffement climatique, déjà dramatiques en Paca comme lors des inondations dans la vallée de la Roya, peuvent-ils être entendus alors que les gens ont peur tout de suite de perdre leur emploi ?
Le risque existe que les soucis sociaux liés à la crise sanitaire rendent moins prégnante la prise de conscience de l’urgence d’agir face au changement climatique. Mais je ne crois pas que les gens aient déjà oublié l’urgence écologique en désirant avant tout repartir dans la consommation comme avant. J’ai rendez-vous avec le sous préfet en charge de la relance pour voir comment il envisage la déclinaison du plan national à l’échelle locale. C’est mon boulot de sénateur de veiller qu’on arrête de dire d’un côté « on va changer les mobilités, diminuer le rôle de la voiture » et en même temps qu’on continue à faire voter, par exemple à la métropole, des mesures toujours en faveur du développement de la voiture et de la route au détriment du ferroviaire par exemple.
Quel est votre regard sur le bilan écologique du tandem Muselier-Estrosi à la tête de la région ?
Je ne dis pas que rien de ce qui a été fait n’est positif. Mais il s’agit d’une goutte d’eau par rapport à la façon dont il faut avancer aujourd’hui pour résoudre l’urgence climatique et sociale. On ne peut pas continuer sur ce chemin-là. On avance à 10 à l’heure alors que les crises sociales, sanitaires et climatiques avancent à 100 km heure. On prend du retard tous les jours. Il faudrait reprendre à l’échelle locale les mesures préconisées par la convention citoyenne du climat ou d’autres organismes d’État comme l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
Qui pourrait incarner votre projet lors des élections régionales ?
On a du mal avec l’incarnation, on le voit lors de toutes les élections. C’est compliqué. L’homme providentiel, chez nous, on a du mal avec ca. Pour l’instant nous avons désigné un chef de file EELV en Paca qui sera tête de liste ou non. On n’en sait rien car cela dépendra de la configuration finale. Il s’appelle Olivier Dubuquoy. Il est très peu connu mais est-ce que Pierre Hurmic (Bordeaux), Jeanne Barseguian (Strasbourg), Grégory Doucet (Lyon), ou Éric Piolle, quand ils ont été élus, étaient les plus connus dans leur ville ? Non, ce n’est pas eux qui ont fait l’élection.
Pour que la perspective soit complète, évoquons en un mot la présidentielle. Vous avez fait votre choix avant la primaire des écologistes en septembre ?
On a déjà l’agenda, avec une primaire rassemblant quasiment tous les partis écolos de France plus Générations. Celui que je connais le mieux, dont j’ai été le plus proche par le passé et qui me semble être un bon candidat, c’est plutôt Yannick Jadot.
Propos recueillis par Michel Gairaud
Le 21 décembre, le jour de l’élection du nouveau maire (PS), Benoît Payan, nous avons fait réagir Guy Benarroche sur la nouvelle donne politique marseillaise :
Comment réagissez-vous à la démission de Michèle Rubirola ?
Elle a le courage d’une femme de dire que son état de santé la fragilise au point de renoncer à être maire de Marseille faute de pouvoir accomplir telle qu’elle le voudrait sa fonction. Des tas d’hommes politiques ne l’ont pas eu. Je connais personnellement son humanité, son humilité et son éthique et je la garantis de tout mon soutien. Je m’y suis donc résigné, même si j’aurai tant désiré qu’elle puisse continuer à mener cette équipe, choisie par les Marseillais pour réparer Marseille et projeter notre ville dans un futur respectueux de tous ses habitants. Le travail de cette équipe, s’obligeant et obligée de jouer collectif, a démarré depuis 6 mois avec Michèle. Il continuera d’arrache-pieds vu l’immensité du chantier laissé par des années de gestion catastrophique. Chaque élément nouveau qui nous parvient aggrave encore un peu plus le bilan de l’ancienne municipalité. Les écologistes sont bien là, présents et actifs dans ce collectif, exerçant des fonctions clés, veillant à respecter tous les engagements pris, et impliqués totalement dans la réussite du projet choisi par les Marseillais. Ils y contribuent et y veillent quotidiennement. Les projets, solutions et actions menés par l’écologie politique que nous portons sont bien ceux qui permettent et permettront de changer la vie au quotidien des Marseillais, en prenant en compte les urgences écologiques, sanitaires et économiques. Nous sommes la et nous le restons pour ça.
Le Vert est dans le fruit
Remontons d’abord dans le temps. En 1974. Lointaine époque où n’existait ni Google, ni Apple, ni Facebook, ni Amazon. Guy Benarroche avait 20 ans. La perspective de devenir sénateur l’aurait, à cette époque, autant effrayé que l’idée d’être un jour emmuré vivant au Panthéon… Car il brandissait alors, haut et fort, le drapeau vert et noir de l’écologie libertaire. Sans rechigner déjà, toutefois, à assumer de hautes fonctions comme celle de directeur de publication d’un journal créé à Marseille : L’Or vert, autoproclamé « organe de la révolution écologique ».
Né à Oran, il a huit ans, en 1962, lors de son rapatriement d’Algérie. Dans les fameuses années 68, il étudie les sciences économiques à Aix-en-Provence. Pour fêter ses 18 ans, il créait le Clap, le Comité de lutte anti pollution, l’une des premières associations écolos des Bouches-du-Rhône bataillant, autour de l’étang de Berre, contre « la Méditerranée poubelle de l’industrie ». Syndicaliste étudiant, il soutient la campagne de René Dumont, en 1974, le premier candidat écologiste à une présidentielle.
Passionné de rock, il fonde un magasin de disques, puis une société d’organisation de concerts de musique. Avant, beaucoup plus tard, de devenir ingénieur commercial dans une boite conseillant les entreprises pour qu’elles s’adaptent à « la finitude des ressources de notre planète ». Sans lâcher le militantisme associatif, en couple depuis 1981, mais toujours hors les liens sacrés du mariage, père de deux enfants, sa vie familiale et professionnelle l’éloigne longtemps de l’activisme politique.
Il adhère ainsi tardivement à un parti. Ce sera en 2010, à 56 ans, lors de la création d’Europe écologie. Dès lors, dans une région où l’écologie politique a été jusqu’ici extrêmement discrète, il entame un tout aussi discret parcours dans les rouages d’un parti réputé pour ses adhérents turbulents. Malgré les vifs débats internes, il réussit pourtant la prouesse de rester secrétaire régional d’Europe écologie durant dix ans, jusqu’en octobre dernier.
Son premier mandat, en 2014, est tout aussi tardif : conseiller municipal à la Bouilladisse où il vit depuis près de 30 ans. Gratifié lors des dernières municipales du titre d’adjoint, il a aussitôt démissionné du poste pour rejoindre le Sénat. L’ancien libertaire siège désormais au bureau exécutif national d’Europe écologie. Tremblez sénateurs, la révolution écologique est en marche ! Le Vert est dans le fruit et le palais du Luxembourg !
M. G.