Une « COP » d’avance
On a beau travailler au Ravi, il y a parfois des raisons pour ne pas l’être. Comme lorsqu’on se retrouve verbalisé pour « non-respect du confinement » après avoir couvert un apéro de rue à Marseille en demandant, carnet de notes et carte de presse à la main, à la police ce qu’allaient devenir les personnes arrêtées ! Peut-être que le policier zélé n’a-t-il pas eu les consignes de la « cellule de crise interministérielle » indiquant que la carte de presse suffit pour les déplacements des journalistes? Ou a-t-il estimé déjà adoptée la loi de « sécurité globale » qui pourrait lui donner les coudées franches ? Un texte qui résonne en ce deuxième anniversaire de la mort de Zineb Redouane, 80 ans, tuée d’un tir de grenade lacrymo à Noailles.
De quoi donner du relief à cette anecdote d’un amateur éclairé de l’histoire de la police marseillaise : « En 1947, le prix du ticket de tramway augmente. Manifestation. Arrestations. La foule envahit le palais de justice puis la mairie avec, semble-t-il, le soutien au moins passif des policiers. Le groupement de CRS est dissous. À l’époque, bon nombre venaient du PC. Ça a changé. » Confirmation du spécialiste des questions de sécurité à la faculté d’Aix-Marseille, Laurent Mucchielli : « Sur les questions sécuritaires, les régions les plus en pointe sont l’Île-de-France et Paca. On le voit à travers l’investissement sur ces thématiques des collectivités, notamment du côté de la vidéosurveillance et de la police municipale. »
La plus équipée est Nice (quoique talonnée par Cannes en nombre de caméras par habitant) avec Toulon pas loin et Marseille à l’orée du top 10. Et si le maire LR Christian Estrosi milite pour la « reconnaissance faciale », à Hyères, il y a même des caméras parlantes ! Côté police municipale, d’après La gazette des communes, on trouve en Paca un tiers des agents : en tête, Marseille et Nice, Cannes et Saint-Tropez se distinguant côté « densité ». Une police aux pouvoirs élargis par la nouvelle loi. Et, bien sûr, armée.
Culture de la répression
« Jean-Claude Gaudin y a longtemps été opposé. Pour lui, la sécurité, c’était du ressort de l’État, note le sociologue. Il a cédé en 2011 suite à une série de règlements de comptes médiatisés. D’où un conseil à huis-clos pour armer les agents et développer la vidéosurveillance. Le modèle niçois. Mais n’oublions ni le Var ni le Vaucluse. Et le poids de l’extrême droite qui gère plusieurs villes. C’est lors des élections de 2015 que la région a particulièrement investi cette thématique. Même s’il y a toujours eu depuis les années 1970 une préoccupation sécuritaire. Au vu de l’histoire, on peut se demander si on a affaire à des politiques sécuritaires ou carrément racistes. »
Interrogation partagée en off par un magistrat : « Ayant travaillé dans d’autres régions, ce qui m’a choqué ici, c’est qu’il y a une véritable culture de la répression. Et, comme pour le racisme, c’est totalement décomplexé. » Nos élus se lâchent allègrement. Peu après l’attentat de Nice, Estrosi assène : « Si on continue à vouloir abattre un ennemi avec les seules armes de la paix, on ne gagnera pas la guerre. » Dans le viseur ? La CNIL, la Constitution… Jamais en reste le député LR Éric Ciotti veut un « Guantanamo à la française ». Et celui qui a succédé à Estrosi à la Région, Renaud Muselier ? « Ce n’est pas avec des bougies que l’on combat l’islamisme», a lancé celui qui, comme son prédécesseur, en gare ou dans les lycées, les gadgets sécuritaires..
« La sécurité, c’est un business »
Soupir de Mucchielli : « Quand, en 2018, dans mon livre Vous êtes filmés !, je dis que, derrière les caméras, il y a la reconnaissance faciale, les drones, ce n’est pas être devin mais parce que c’est la suite logique. Il y a d’un côté des politiques pour qui la sécurité est un fonds de commerce et de l’autre, des industriels pour qui c’est un business. Il ne peut y avoir que convergence. » D’où l’investissement accru en politique de membres des forces de l’ordre ou du monde de la sécurité. Ça ne date pas d’hier.
Dès 1986, Marcel Maunier monte l’association Défense Police « parce que, pour se faire entendre, les syndicats, ça ne suffit pas. Eux sont politiques. Nous non ». Il a pourtant été élu FN, un de ses collègues émarge à Debout la France et le président d’honneur fut Serge Pasqua, « le petit-neveu de Charles. Ça permettait de faire passer des messages en direct ». Dans la revue de l’association, on trouve aussi une pub du département et de la métropole… Lui qui ne serait contre ni « l’armement des facteurs » ni un « Guantanamo à la française » pense que « tant que n’iront pas au trou ceux qu’on arrête, ça n’ira pas ». Son regard sur la loi de « sécurité globale » ? « Le seul qui nous a répondu, c’est Macron. Et Darmanin nous séduit de plus en plus… »
Outre l’ex-premier flic de France Christophe Castaner, de l’aixoise Anne-Laurence Petel à Bruno Poirson d’Avignon, pour voter la loi sur la « sécurité globale », la macronie est le petit doigt sur la couture. Et n’oublions pas qu’avant de passer de LR à EM !, Caroline Pozmentier a joué les zélotes de la « Smart City ». Un concept de surveillance généralisée contre lequel bataille la Quadrature du net, avec sa campagne Technopolice, et qui a pas mal essaimé dans la région : Marseille, Nice mais aussi Cannes, Vitrolles ou Istres. « Certes, il y a un cluster dans le sud-est et Nice comme Marseille sont pionniers, note Eda de la Quadrature. Mais la tendance est générale et il y a une fuite en avant techno-sécuritaire partout en France. »
Caméras en trompe l’œil
Et de comparer avec Grenoble : « Quand le maire EELV Éric Piolle a été élu, il s’est dit contre les caméras, proposant même de les revendre ! Mais, suite à plusieurs faits divers, il a fait machine arrière. Et choisi d’équiper la police municipale avec des caméras piétonnes ! » Y aurait-il un remake à Marseille ? Le Printemps marseillais va recruter 100 policiers municipaux. Un frontiste ironise : « Ça a changé, la gauche ! »
Quant au moratoire sur les caméras, il est en trompe-l’œil : « Ils disent ne pas vouloir déployer plus de caméras mais ne peuvent revenir sur les marchés, déplore la militante de la Quadrature du net. Ils vont donc en installer 400 de plus et il y en aura 1 500. Le moratoire – une promesse pourtant du PM – ce sera pour 2021. Sans qu’on sache ce que va devenir le projet de “big data de la tranquillité publique”. Pourtant, le PM avait signé notre lettre ouverte ! Mais l’élu à la sécurité Yannick Ohanessian reconnaît que, depuis sa nomination, on ne cesse de lui proposer des gadgets sécuritaires. » Mucchielli s’étonne de « ne pas avoir été sollicité. Je suis un des rares à avoir étudié la vidéosurveillance et réalisé un diagnostic de sécurité sur Marseille ».
Fin novembre, après avoir défilé contre les violences faites aux femmes, quand les élus de la majorité entendent derrière eux les manifestants opposés à la loi sur la « sécurité globale » faire la jonction au Vieux-Port en scandant « À bas l’État, les flics et les patrons », prudents, ils retirent les écharpes tricolores et prennent la tangente. Le surlendemain, lors d’un conseil sans public, sera acté le renouvellement du matériel de la police municipale. Et, certes un « audit » de la vidéosurveillance, mais aussi un nouveau contrat de maintenance pour les caméras. Pendant ce temps, le préfet de police des Bouches-du-Rhône vient de se faire limoger pour, semble-t-il, avoir ironisé sur les « dealers sans attestation ». Il vient d’être remplacé par le bras droit de son collègue parisien Didier Lallement qui, lui, est toujours en poste. Y aurait pas un peu du « floutage de gueule » ?