Chronique - sans gant et sans masque - d'un premier tour marseillais hors norme
Coronavirus oblige, pour aller voter, hier, ce dimanche 15 mars, à Marseille, faute parfois de gel antibactérien, certains électeurs n’ont pas hésité à sortir les gants voire les masques. Mais, sur fond d’abstention massive (participation : 32 %) – un électeur sur trois seulement s’est déplacé – il en est qui n’ont pris ni les uns ni les autres pour montrer leur vrai visage.
Ça a commencé dès potron-minet. A peine croise-t-on la tête de liste du Printemps marseillais (gauche – écologiste- citoyens), Michèle Rubirola, au sortir de son bureau de vote, qu’une des figures de la liste de gauche, Nicolas Mémain, attire notre attention sur les interrogations qu’ont suscité dès 9 heures du matin l’arrivée dans les bureaux de vote de curieuses procurations : des listing sans tampon ou de simples photocopies.
La police s’en mêle
Étrange, d’ailleurs, de voir, dans la soirée, à quelques centaines de mètres de distance de part et d’autre de la place Castellane, Emmy Font, collaboratrice de Stéphane Ravier, le sénateur RN marseillais, et Marie Batoux, directrice de campagne du PM, tenir à peu près le même discours. « Des irrégularités ? C’est bien simple, j’ai passé ma journée avec la police et la préfecture ! », lâche la frontiste. Marie Batoux, elle, multiplie les exemples, du candidat agressé aux rabatteurs, à l’intérieur comme à l’extérieur, pour tel ou tel candidat en passant par… la tentative de vol d’urne avec des armes de type « air-soft ».
La politique, à Marseille, c’est pas soft. Même l’outsider de droite Bruno Gilles n’en revient pas : « J’ai un peu de bouteille et je n’ai jamais vu un climat aussi détestable. J’ai failli me faire mettre dehors d’un bureau de vote ! Tous les candidats aujourd’hui ont saisi le préfet ou le procureur, pour des problèmes qui concernaient la même candidate. Sans se concerter ! Et ça laissera des traces. Mon mandat ? Aucune négociation avec Vassal. »
Vassal confinée
Si l’héritière du maire sortant, Jean-Claude Gaudin, met presque 10 points dans la vue à son outsider (qui fait presque le double que le candidat macroniste Yvon Berland), au QG de Martine Vassal, on renâcle à répondre au Ravi. D’autant que le mensuel qui ne baisse jamais les bras ni ne met de gant est venue avec une jeune stagiaire qui, en période de pandémie, à tout de l’agent infectieux ! Nous ne pouvons donc pas rester. Et pas de déclaration avec le discours officiel. De toute manière, pendant que, sur BFM TV, le 1er ministre se tâte en direct pour savoir s’il faut reporter le second tour ou non, Martine, elle, n’est pas encore maquillée et Yves Moraine encore en baskets…
Retour donc à Castellane pour deux analyses diamétralement différentes. Si, comme l’a dit cet historique du Front Bernard Marandat, « le fascisme, c’est la fête » et si, au fond de la permanence marseillaise, quelques rires fusent, Stéphane Ravier (19,45 % sur l’ensemble de Marseille) fait grise mine : « C’est le coronavirus qui, malheureusement, sort vainqueur ! Il y a eu trop peu de participation pour tirer la moindre conclusion. » Et d »appeler de ses vœux le report le scrutin. Pour des « raisons sanitaires », évidemment. Mais aussi parce que, reconnaît-il, même si le RN arrive en tête dans les quartiers nord et perce dans les quartiers sud, l’électorat frontiste, plus âgé, s’est moins mobilisé que celui de gauche. Comme le résume Jean-François Luc : « La photo est vérolée ! »
Rubirola est là
Michèle Rubirola, elle aussi, en appelle au président de la République… mais pour que les gens puissent « voter au second tour » et que « le changement devienne réalité ». Car, pour elle, « le printemps, le changement est là. Aujourd’hui, les Marseillais ont orienté la ville vers un avenir radicalement différent ». Rubirola (23,44 %) et Vassal (22,32 %) sont au coude-à-coude. Dimanche soir, après sa déclaration, Rubirola ne répondra à aucune question. Son entourage, lui, est déjà en train de décrypter, secteur par secteur, les résultats.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas simple. Sur l’ensemble de la ville, la liste « écolo » de Sébastien Barles émarge à 8,1 %, Yvon Berland pour LREM obtient 7,86 %, l’ex-socialiste Samia Ghali rassemble 6,42 %… Le Printemps Marseillais est en ballottage favorable dans les trois secteurs du centre ville (« 1/7 », « 2/3 » et « 4/5 ») et menace Martine Vassal dans son fief (« 6/8 ») ; cette dernière étant bien partie dans deux secteurs (« 9/10 » et « 11/12 »). Les deux derniers (« 13/14 » et « 15/16 ») ont placés en tête leurs anciens maires devenus sénateurs, Stéphane Ravier (RN) et Samia Ghali (ex-PS). Avec 6,4 % sur la ville, l’ex socialiste ferme le peloton de queue, derrière la REM (7,9%) , qui est à la peine partout, et la liste « écolo » de Sébastien Barles (8,1%). En clair, le jeu est ouvert, en particulier dans une élection indirecte avec 8 mairies de secteur. Alors Barles, considérant son score comme « honnête » tout en reconnaissant qu’il y a eu une « prime à l’unité » en appelle, comme Bruno Gilles (10,6 % sur l’ensemble de Marseille), à une large alliance « pour battre Vassal et sauver Marseille ». Car, pour lui, « il y a une vraie chance de gagner. Je pensais qu’une faible participation favoriserait les blocs clientélistes. Mais malgré tous ses moyens et tout ce que l’on a vu aujourd’hui, Martine Vassal fait des scores faibles ».
Mais, pas facile d’imaginer le Printemps s’entendre avec Ghali ou même la gauche de la macronie… Une préfiguration de ce qui pourrait être une Marseille ingouvernable ? Autant dire que les discussions vont être aussi longues que les nuits sont courtes. Pendant ce temps, Hervé Menchon candidat EELV, lui, se demande comment il va faire « parce que, pour (se) présenter, j’ai dû mettre en suspens mon travail, emprunté… Que se passe-t-il si le scrutin est annulé? » Épuisés, certains militants s’interrogent : « J’ai qu’une envie : embarquer mes gosses à la campagne et voir mes parents… ».