LGBTQIslam
Seul un écriteau sur l’interphone signale sa présence. Dans le quartier de Saint-Mauront, la mosquée gay-friendly de l’Institut Calem fait profil bas. Pourtant, son fondateur, l’imam Ludovic-Mohammed Zahed, l’assure : “À Marseille, ça se passe bien. Si vous ne marchez pas sur les plates-bandes des autres communautés, vous êtes tranquilles.” À l’inverse, en 2012 alors qu’il lance à Paris la première mosquée inclusive d’Europe, il goûte à l’hostilité de certains musulmans. “C’était des menaces de mort sur Facebook et des personnes qui m’arrêtaient dans la rue avec de mauvaises intentions”, se souvient notre imam moderne, barbe courte et casquette à l’envers. Heureusement il y a eu plus d’encouragements !”
“C’est contre-intuitif… Mais dans sa nature, l’islam est la religion monothéiste la plus favorable à l’homosexualité !”, avance Raphaël Liogier, sociologue des religions à Aix-en-Provence. Vraiment ? Pourtant, ce n’est pas un scoop, l’homophobie rampe au sein de l’islam – au même titre que dans les deux autres religions monothéistes. Sondage peu réjouissant : 63 % des personnes de confession musulmane perçoivent l’homosexualité comme « une maladie » ou « une perversion sexuelle » (Ifop, 2019). C’est haram. Tout simplement.
Troisième voie
Mais rien n’est jamais simple à Marseille. Et dans le 3ème arrondissement, Calem abat discrètement l’oxymore supposé : celui d’être musulman et homosexuel. Ludovic-Mohammed Zahed, quarantenaire assumant son homosexualité, a tenu bon pour lancer, quelques années après son expérience parisienne, un institut phocéen. “La motivation, c’est le terrain. Il y a un malaise chez les musulmans LGBT. Soit ils se nient eux-mêmes, soit ils deviennent islamophobes, soupire Ludovic-Mohamed, derrière le nuage de sa vapoteuse. Nous leur montrons que l’islam ne les rejette pas, bien au contraire.” Avec sa petite salle de prière, l’institut ouvre alors une troisième voie. Celle où “l’on ne coupe ni son bras gauche (sa spiritualité) ni son bras droit (sa sexualité)”. Un slogan qui a séduit Fares, 26 ans, un grand gaillard au regard profond. “À la mosquée, on me reprochait d’être trop efféminé. C’était dur, souffle-t-il. J’ai même songé à renoncer à ma sexualité pour Dieu. À Calem, je prie en étant moi-même : je ne me cache plus.”
Islam inclusif
Calem ne se borne pas à l’accueil des croyants LGBT. L’institut forme les imam(e)s inclusifs de demain. “Il faut aller au-delà du dogme et du discours fascisant d’un islam qui contrôle ses croyants jusque dans leur sexualité, martèle notre imam marseillais. On veut permettre aux femmes ou aux personnes LGBT de mener la prière”, ajoute-t-il. Au programme : interprétations inclusives du Coran, apprentissage des traditions mystiques musulmanes, et même lecture de Michel Foucault… “L’islam mainstream de demain”, plastronne Ludovic-Mohamed sur son site internet.
Pour notre sociologue, cette modernisation n’a rien de surprenant. “La spécificité de l’islam, c’est que Dieu n’a pas de représentant. Rien n’empêche la création d’une nouvelle école juridique pro-LGBT. Les musulmans peuvent y adhérer, ou pas. C’est bien plus démocratique que l’Église !, compare Sébastien Liogier. Aujourd’hui, il y a un courant moderniste qui replace le Coran dans son contexte historique – l’Hégire – pour mieux l’interpréter à la lumière de la société actuelle. C’est de là que viendra la modernité.” Alors l’avènement d’un islam gay-friendly a sonné ? Le sociologue tempère : “L’islam est en retard. C’est aussi une question culturelle inhérente au bassin méditerranéen. Les mosquées inclusives sont minoritaires, mais je crois à l’appel d’air.”
Exorcisme
Ludovic-Mohamed vise plus haut. Car le terrain est loin d’être conquis. Dans les quartiers nord de Marseille, il est même étouffant. “Faute de politique d’intégration, il n’y a pas de vrais repères en dehors de la religion, analyse l’imam. Alors quand les croyants LGBT sont en plus exclus du cercle religieux, c’est dur. ” Cette double ostracisation, Sofiane l’a vécue. “J’ai grandi dans l’interdit quand mon quartier vivait au rythme de l’islam”, se souvient l’ancien habitant de La Solidarité (15ème arrondissement). On me traitait d’hérétique. Mon père refusait que je vienne à la mosquée parce que je lui faisais honte. Moi, je voulais faire partie du truc.”
Mais rien n’y fait. Il ne marche pas comme les autres, porte des Doc Martens plutôt que des Nikes, bref, sa dégaine le trahit. “Un jour, je rentrais du lycée et je tombe sur un imam assis dans ma cuisine. C’était irréel… Il était là pour m’exorciser ! Il a lu des versets pendant 30 minutes en me touchant le visage”, raconte le presque-trentenaire, qui avec du recul, en rigole franchement. “Du coup, j’ai arrêté de croire. J’allais pas m’endoctriner dans quelque chose qui me rejette”, résume-t-il simplement.
Les associations ont pris conscience de l’ampleur du problème. Catherine Tomasini, co-déléguée SOS Homophobie en région Paca, intervient régulièrement dans les collèges des quartiers : “Ces gamins sont comme tous les autres. Ils recrachent ce que disent leurs parents. La solution, c’est l’éducation.” Méthode classique, la militante installe une boîte où les adolescents peuvent s’exprimer anonymement sur le sujet, pour sonder la nouvelle génération. Sur un bout de papier froissé, un élève s’interroge dans une écriture toute tordue : “Y’a que Dieu qui peut juger non ? » Inch allah !