Je réseaute, tu réseautes, nous réseautons !
« Il faut des fois aller à Paris pour se rendre compte que nos voisins lillois font des trucs extraordinaires ! », s’amuse Ali Rahni. Le vice-président de l’association Nouveau regard sur la jeunesse (ANRJ), née à Roubaix juste avant les émeutes de 2005, est un routier du militantisme dans les quartiers populaires. Mais c’est un petit nouveau, deux ans à peine, dans le réseau des acteurs de la Fondation Abbé Pierre.
En accompagnant, depuis des années, des projets d’expression artistique, culturelle ou citoyenne issus des quartiers populaires, de pièces de théâtre en débats sur la parentalité, le service « promotion des habitants » de la fondation en est arrivé à rencontrer des porteurs de projet avec un ADN commun. Comme le décrit sa cheville ouvrière Malika Chafi : « Ils partagent nos valeurs, sont installés sur un territoire conforme à notre objet, et ont un dispositif de travail destiné à faire lever la tête. À faire qu’on redonne du courage aux gens qui ont été accablés… Ce ne sont pas des mots administratifs, on l’assume ! »
Ne leur manquait à tous que la rencontre… Chose faite depuis 2013. À l’époque, le service réunit ses partenaires en groupes de travail pour réinterroger ses priorités : « Ils se sont rendus compte qu’ils avaient des objectifs communs, se souvient Malika Chafi. Ce sont eux qui nous ont dit “on a besoin d’être plus forts ensemble, de se voir, de participer à des actions sur d’autres territoires”… »
Echanger et parler
Ce nouveau réseau s’organise autour d’un blog, Croisons le Faire, dont les acteurs rédigent le cahier des charges collectivement. « C’est un outil pour échanger, pour parler aussi, décrit David Cadasse, de la société Akoma, prestataire pour le blog et lui-même partie prenante du réseau. On fait des fiches sur les associations, les actions, on donne la parole aux protagonistes. Parfois c’est étonnant comme on ne les voit pas… » Avec des nouveaux contacts à la clé. « J’ai découvert des initiatives locales, qu’on connaissait pas forcément. On a tellement la tête dans le guidon sur ce qu’on fait nous ! », explique Ali Rahni, séduit aussi par les projets, autour du blog, de formations pour savoir soi-même communiquer et se mettre en scène.
Mais, fait remarquer David Cadasse, « le blog fait partie d’un tout, d’une dynamique. Chaque année, la Fondation invite à Paris une cinquantaine d’acteurs pour partager des expériences et se voir de visu ». Cinq journées ont été organisées jusqu’ici, avec des discussions et des présentations de projets. « Ça crée une dynamique de travail collectif, on a des réflexions ensemble, témoigne Mohamed Mechmache, président de l’association AC le Feu, à Clichy-sous-bois. On est inspirés, on se dit, tiens, ici il y a ce projet, ce n’est pas une mauvaise idée, pourquoi on ne travaillerait pas pour créer ça ? »
« Moi je ne les lâche pas, à chaque fois qu’il y a un événement, j’y vais ! », appuie, enthousiaste, Mamadou Diakité, ancien footballeur professionnel et fondateur de l’association Give Dream, qui organise des discussions avec des jeunes de quartiers et des tournois de football féminin à Lille. « Mon projet phare depuis deux ans, c’est un documentaire, Yes I am, financé par la Fondation Abbé Pierre, sur les nouveaux modèles identificatoires dans les quartiers populaires. Le principe, c’est dire « vous aussi vous pouvez », il y a des avocates, des médecins, un peu tout le monde d’origine et de religion différentes… Je mets pas mal des gens du réseau de la Fondation. » Une première version doit d’ailleurs être diffusée le 9 décembre 2019 à Marseille, lors du festival Opération Quartiers Populaires, organisé par un membre du réseau des acteurs, Mémoires Vives.
Peut-être qu’on y arrivera ?
Car la mayonnaise a pris, hors des cadres de ceux qui l’ont initiée, constate Malika Chafi : « Ils se voient entre eux aujourd’hui, c’est étonnant ! » De Toulouse à Roubaix ou Marseille, les invitations se croisent, et les réseaux se mêlent, comme avec la coordination Pas sans nous des quartiers populaires, dont des membres de l’ANRJ font partie et dont Mohamed Mechmache est aujourd’hui président : « Quand Malika cherche à rencontrer d’autres personnes, ça nous permet aussi de dire, là il y a des gens qui font un travail formidable, va voir ce qu’ils font et tu jugeras toi-même », décrit-il.
Plus subtil, plus important peut-être, le réseau aide à garder soi-même courage et énergie : « Ça remonte le moral, explique Ali Rahni, dont l’association a perdu financements et local à la suite de conflits avec la mairie de Roubaix. On croit qu’on est tout seul quand on se bagarre dans son quartier, dans sa ville, mais en fait, il y a plein de thématiques sur lesquelles on travaille tous. »
« Au moment où on a des doutes, on a des gens qui nous disent, faut pas lâcher, on est passé par là et on y est arrivé, confirme Mohamed Mechmache. Si avec la Fondation Abbé Pierre, on peut élargir ce cercle, peut-être qu’on y arrivera ? Peut-être qu’on pourra poser ce débat, au niveau politique : comment faire pour que l’apport des habitants des quartiers soit pris en compte ? » En attendant, les bonnes volontés s’organisent, avec, déroule Ali Rahni, « un petit peu de moyens financiers, un petit peu de moyens humains et beaucoup d’amour fraternel. Parce qu’on en a besoin pour la lutte, sinon on devient fou ! »
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