Un banquet pour se rassembler
On n’est pas loin de la Caf, à côté du centre social du Grand Canet, dans le 14e arrondissement de Marseille. Sur la place des États-Unis, juste avant l’assemblée générale du centre, une ficelle entre deux arbres. Au milieu, une pancarte : « Dans mon quartier, quelles sont les injustices ? Qu’est-ce qui me touche ? ». Le but ? Délier les langues et nourrir le débat qui doit avoir lieu lors du banquet « citoyen » du 2 juillet au « parc de l’Espérance ».
Pour jouer les porteurs de parole : Danièle Galus. Administratrice au Grand Canet, elle a longtemps été directrice du centre social Saint-Gabriel. Voilà qui en dit long sur les liens entre les deux structures, distantes de moins d’un kilomètre l’une de l’autre. « On est le bébé de Saint-Gabriel », résume Abdel Zoubaire, le coordinateur « jeunesse » du Grand Canet.
Il y a environ cinq ans, après que « Saint-Gab’ », cette institution qui joue le rôle de « haut-parleur des quartiers nord » depuis plus de 50 ans, ait chapeauté une annexe au Grand Canet, la Caf a opté pour la création d’un centre à part entière sur un territoire qui, quoique voisin, a néanmoins des spécificités.
Veto contre le parking
Pour Robin Assous, coordinateur des tables de quartier, « en allant vite, on a affaire à des quartiers populaires avec les problématiques classiques que l’on connaît dans le nord de Marseille. Mais, à y regarder de plus près, on se rend compte que Saint-Gabriel est plus proche de la Belle-de-Mai, donc du centre-ville alors que le Grand Canet est plus éloigné. Et puis, si, côté Saint-Gabriel, il y a trois collèges, des restaurants, au Grand Canet, vous avez moins d’écoles, moins de commerces… »
Pas question pour les deux centres de travailler chacun de son côté ! Démonstration avec la préparation du banquet citoyen. Comme le dit Ibrahim qui se partage entre les deux conseils d’administration : « On travaille à plus de coopération. Et ce banquet, c’est un premier pas on ne peut plus symbolique. » Les deux centres ont décidé ensemble de laisser passer les élections et de le faire au parc de l’Espérance. Car, quand le parking de la Caf a été évoqué, certains ont mis leur veto : « C’est glauque, non ? Et on y est tous les jours ! »
Au Grand Canet, au-delà du travail autour des porteurs de parole, l’accent a été mis sur les jeunes. Le terreau est favorable : lors de l’AG, ceux-ci se sont fendus, sous la houlette de Seda, d’un rap intitulé « Intolérance, hors de chez moi ». De quoi alimenter les débats. Comme les ateliers où ils ont évoqué eux-mêmes les questions relatives à l’injustice. Avant d’aller jouer les journalistes ! (lire ci-contre)
« Un premier pas on ne peut plus symbolique »
Saint-Gabriel n’est pas en reste. Certes, Danièle Galus dira ses « difficultés » à ce que la parole se libère. Et une autre administratrice d’expliquer qu’à « parler d’injustice, on ne va pas évoquer la même chose dans les noyaux villageois et dans les cités ». Mais l’acteur Kamel Boudjellal mise sur le « théâtre forum ». Aussi appelé « théâtre de l’opprimé » : « On s’attendait à causer violence institutionnelle, territoriale, mais on a évoqué les violences du quotidien. Faire la queue à la préfecture ou au consulat pour des papiers. On a aussi parlé logement. Les solutions trouvées ? Classiques : le piston, le pognon ou se faire aider par une association. C’est Marseille… Ce qui ne nous empêchera pas de nous attaquer aux dysfonctionnements institutionnels. Pour balayer un escalier, faut commencer par le haut ! »
Les deux centres n’en oublient toutefois pas le travail au quotidien. Et celui qu’ils peuvent faire en commun. Comme le détaille Abdel, « il y a des commissions de coopération, des membres du conseil d’administration du Grand Canet qui participent à celui de Saint-Gabriel et réciproquement. Et on a non seulement des projets en commun mais aussi des dispositifs qui couvrent les deux territoires ».
Par exemple, le dispositif Move (Mobilisation orientation vers l’emploi) dont s’occupe Malek Abderrahmane, un salarié de Saint-Gabriel qui assure chaque mercredi une permanence au Grand Canet : « Le but, c’est repérer les « invisibles » qui passent sous les radars des structures traditionnelles pour les informer et les orienter. S’occuper des deux territoires, c’est une demande de l’État. Ce sont des quartiers que je connais bien. Et si les problématiques sont les mêmes, les publics sont un peu différents. »
Autre outil commun aux deux centres, les « tables de quartier » qu’animent Robin : « On n’est pas dans quelque chose qui vient d’en haut. Au contraire, cela permet aux habitants de se faire entendre et de faire émerger des solutions qui viennent du terrain. » Ainsi, à la mi-juin, des parents de l’école Canet-Jean Jaurès ont enfilé leurs gilets jaunes, sorti leurs panneaux de signalisation et fait eux-mêmes la circulation devant l’école.
Une initiative vue d’un bon œil par la directrice : « On a demandé des ralentisseurs. Mais, pour la métropole, il y a un feu, un passage piéton, la sortie de l’école est donc sécurisée. Ça ne nous empêche pas d’avoir quelques frayeurs ! » En attendant les agents promis à la rentrée par la mairie, et comme la présence de l’Addap (Association départementale pour le développement des actions de prévention) ne suffit pas, Bouchra, avec d’autres parents, s’est mobilisée : « Tant qu’il n’y aura pas les agents, on sera là. Pour sécuriser la sortie. Mais aussi sensibiliser parents et enfants. » Du concret. Et de quoi alimenter les conversations du banquet au parc de l’Espérance. Tout un programme !