« Il faut dépasser les clivages d’appareil »
le Ravi : Quel bilan tirez-vous du quinquennat de François Hollande ?
Cécile Muschotti : Le bilan est compliqué mais on bénéficie petit à petit des réformes mises en place dans de nombreux domaines, l’éducation, la santé, la protection de chacun d’entre nous. Cela aurait pu aller plus loin, notamment sur la réforme fiscale. Il y a eu un problème de communication, Hollande aurait dû éclairer le chemin qu’il voulait suivre. L’état du PS est dramatique. Les frondeurs ont fragilisé la majorité gouvernementale, sans essayer d’utiliser l’appareil politique pour avancer d’autres propositions.
Benoît Hamon, un frondeur selon vous, a pourtant largement emporté votre primaire !
Il faut recontextualiser l’organisation de cette primaire. Pour la majorité du PS, ce système devait être re-questionné avec un président socialiste sortant. Les frondeurs ont joué de leur grosse voix pour l’imposer, en s’appuyant sur les statuts du PS. Mais maintenant Hamon est le candidat socialiste. Je ne remets pas en cause sa légitimité.
Traînez-vous les pieds pour faire la campagne du candidat socialiste ?
Non mais j’attends qu’il pose sur la table les conditions du rassemblement de la gauche, d’abord parmi la famille socialiste. Aujourd’hui encore, des choses ne sont pas claires.
A vos yeux, le revenu universel est-il indéfendable ?
Je ne pense pas que les jeunes souhaitent qu’on se tourne vers ce type de projet. Je le vois dans mon travail, où j’accompagne les gens vers l’insertion professionnelle. Ils veulent faire le métier qui leur plaît avec un salaire à la hauteur de leurs compétences. On appelle « trous de la raquette » les ruptures dans un parcours, lorsque les dispositifs d’accompagnement financiers et sociaux ne jouent pas leur rôle. Il faut révolutionner les institutions en charge de l’emploi, de la santé, de l’instruction, du handicap. Pour cela, il ne suffit pas de lisser les situations avec un revenu qui permettrait à chacun d’avoir la même chose. Il faut protéger le parcours de chaque Français de sa naissance jusqu’à sa mort.
Hamon veut aussi abroger la loi El Khomri que vous soutenez pourtant toujours…
La loi travail est révolutionnaire sur l’accompagnement de la transition professionnelle, en ne prenant plus en compte le statut mais l’individu. Le débat a été tronqué, l’enjeu était la représentation syndicale et son financement, avec la priorité accordée aux accords d’entreprise sur les accords de branche. C’est être de gauche de prôner l’écoute des salariés, que les syndicats puissent être représentés dans chacune des décisions d’une entreprise. Mais vous savez bien comme moi que le problème pour la CGT, c’est qu’elle est minoritaire dans les petites et moyennes entreprises…
Les gauches sont-elles irréconciliables ?
Non, si on se met autour de la table et qu’on travaille au rassemblement. Mais les appareils, syndicaux ou politiques, nous mènent en bateau. C’est pour ça que les gens ne veulent plus entendre parler de la politique, qu’ils pensent « tous pourris », qu’ils ne se déplacent plus pour voter. Entre le militant et le politicien, il y a un gouffre.
Christophe Castaner, tête de liste PS aux élections régionales, a rallié Emmanuel Macron. Allez-vous suivre son exemple ?
Je ne sais pas encore mais j’espère profondément qu’Hamon fera un pas vers Macron, pour nous, pour la France. Il faut dépasser les clivages d’appareil afin de proposer autre chose à nos enfants. Il est hors de question qu’on fasse l’impasse sur ces élections et qu’ils grandissent dans une France menée par Fillon ou Le Pen. On doit construire un projet commun, que chacun vienne poser une petite pierre, et arrêter la négociation permanente de positionnement, de places, de candidatures aux législatives. Macron assure un socle autour du triptyque républicain, du respect des différences culturelles, sociales, religieuses.
Que va faire votre mouvement « Debout la gauche » pendant cette séquence électorale ?
Nous avons organisé des ateliers dans toute la région Paca, qui vont nourrir ceux qui veulent construire un projet pour les législatives. Nous avons rédigé le résumé des propositions, nous le soumettrons à Macron ou Hamon. Les gens ont beaucoup à dire, mais il faut leur laisser la place de s’exprimer. J’ai vu des jeunes quitter les rangs du PS parce qu’on ne voulait pas leur laisser de place dans le parti, les aider à se présenter aux élections.
Ne reste-t-il vraiment plus que 500 socialistes encartés dans le Var ?
Et encore, on arrondit ! C’est intéressant aussi de regarder la moyenne d’âge de nos militants : on se demande où sont passés les jeunes !
Petit retour en arrière : vous étiez contre le retrait « républicain » en faveur de Christian Estrosi pour battre l’extrême droite. Vous regrettez toujours ce choix ?
Christian Estrosi ce n’est pas Xavier Bertrand. Nous disions qu’Estrosi et Marion Maréchal-Le Pen, au regard de la porosité de leurs idées pendant la campagne, c’est la même chose. Et malheureusement la réalité l’a bien confirmé ! Cela a été mis en lumière lorsque Estrosi a proposé une motion anti-migrants au Conseil régional sous les applaudissements du FN. Je regrette donc toujours que nous ayons cédé à la pression d’une triangulaire. Il aurait fallu rester présent dans l’opposition à la région. Maintenant on ne peut plus rien y faire.
Et que voterez-vous si François Fillon affronte Marine Le Pen au second tour de la présidentielle ?
J’irai à la pêche ou je voterai blanc même au risque de voir Marine Le Pen présidente ! Ça fait une bonne dizaine d’années que je fais de la politique, je ne vais pas systématiquement m’asseoir sur mes convictions, pour « faire barrage à… ». C’est terminé ! Fillon est un élu républicain mais avec des propositions extrêmes qui détruiraient l’avenir de la France. On ne le compare pas pour rien à Margaret Thatcher !
Vous avez été personnellement l’objet d’insultes et de menaces sur la fachosphère suite à vos initiatives féministes comme la « marche des shorts ». Cela dit quoi de l’extrême droite régionale ?
En effet, absolument, j’ai fait l’objet d’appel au meurtre, au viol collectif, avec des mots que je n’oserais absolument pas citer ici. C’était très révélateur. La violence de ces réactions politiques a finalement permis au FN de se dévoiler, eux qui depuis des années essayent de faire croire aux Toulonnais, aux Varois, aux Français, qu’ils sont un parti politique comme les autres. Par cette haine, la haine des autres, ils ont montré véritablement que le FN n’est pas un parti républicain digne de pouvoir gagner ni même digne de se présenter aux élections.
Vous pensez avoir une chance de l’emporter face au député sortant LR Philippe Vitel, véritable baron local de la droite ?
Avant lui c’était déjà son père. C’est une véritable dynastie ! Il faut questionner le statut du politique, et les indemnités liées à son activité. Au mandat doit succéder un retour dans la vie active. Vitel est élu par manque de participation, parce qu’il n’y a pas vraiment d’autre choix. C’est pour cela que je peux l’emporter. Et puis en 2012, dans l’entre-deux tours, il a déclaré : « Qui mieux que moi peut aujourd’hui mieux représenter les idées du Front National ? » C’est donc un candidat bien particulier !
Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Thomas Desset