Benoît Payan, carte maire

Sans lui, Marseille n’aurait pas basculé à gauche. A cause de lui, va-t-elle rebasculer à droite ? Un an après son élection comme maire de Marseille, Benoît Payan cristallise les espoirs et les inquiétudes sur la capacité du Printemps marseillais à transformer la ville. Du côté brillant de la médaille : une municipalité qui a lancé des chantiers tous azimuts. Du côté sombre : un fonctionnement critiqué – officieusement (1) – par beaucoup en interne comme étant centralisé, autoritaire et opaque.
Soyons clairs : le pisse-copie extrême-gauchiasse qui écrit ces lignes a un – petit – passif avec Benoît Payan. Durant la pré-campagne du Printemps marseillais, votre serviteur faisait partie des très nombreux.ses militants et sympathisants (2) qui s’élevaient contre l’idée d’une tête de liste socialiste pour mener une coalition cherchant à fédérer la gauche, les écologistes et les citoyens. Car à Marseille le PS et la droite locale sont souvent perçus comme co-responsables de l’état de la ville. A cette époque, les pro-Payan, eux, mettent en avant son parcours de PS atypique. Professionnel de la politique élevé, comme tout socialiste marseillais contemporain, dans le giron de Jean-Noël Guérini, il a su s’en éloigner plus tôt que d’autres, suivant dès 2011 sa mentor Marie-Arlette Carlotti, bien avant le crash de la maison Guérini qui survient quatre ans plus tard, en 2015. Après l’échec cuisant du PS aux municipales de 2014 et son hécatombe électorale, Benoît Payan prend la présidence du groupe socialiste à la ville. Et y gagne peu à peu ses galons. Bon communiquant sur les réseaux sociaux, incisif en séance, il joue, avec d’autres élus comme le communiste Jean-Marc Coppola, un rôle de relais efficace avec les mobilisations citoyennes, contre le partenariat public privé pour la rénovation des écoles, ou pour la lutte contre l’habitat indigne.
Geste rare
Réveillé par le drame de la rue d’Aubagne, l’électorat de gauche est prêt à se mobiliser pour les municipales. Mais Payan est-il la bonne locomotive ? Dans les réunions de préfiguration du Printemps, les Insoumis renâclent. Partie prenante du début, les syndicats, CGT en tête, font la moue, gardant le souvenir amer du quinquennat Hollande et de la loi El Khomri. A trois mois du premier tour, la situation semble bloquée. Benoît Payan fait alors un geste que peu de politiques auraient fait : il se met en retrait, et pousse Michèle Rubirola, son ancienne binôme au Conseil départemental. Durant la campagne, il fait le job, écumant les plateaux télé et radio et les débats avec la droite, que Rubirola fuit comme la peste. Au soir du second tour, la victoire est là. Mais malgré le bilan désastreux de Gaudin, l’affaire des fausses procurations à droite, la mobilisation citoyenne, la victoire s’est jouée sur un fil.
« Il y a quand même dès le départ un problème de légitimité »
Face au champ de mines qui s’annonce, Michèle Rubirola ne se sent pas de taille. Dès l’entre-deux tours, le Ravi révèle que la future maire de Marseille envisage de quitter son poste en cas de victoire. Le « switch », que les militants espèrent ne voir survenir qu’en juillet 2021, après les régionales, pour surfer sur la dynamique du Printemps, survient finalement dès le 15 décembre 2020. Benoît Payan accède au fauteuil pour lequel il s’est battu toute sa vie.
La mairie est désormais pilotée par un pro, un « urgentiste », et on va voir ce qu’on va voir. Très vite, on voit. Alors que le programme du Printemps appelait à des élus 100 % disponibles pour Marseille, plusieurs grands élus, dont le maire lui-même, se mettent sur les rangs pour les départementales.
Remportées elles aussi largement par la droite, les régionales confirment la tendance : en quelques mois, la dynamique du Printemps s’est enrayée. Dès les élections sénatoriales, généralement pourtant très cadrées, la liste du Printemps avait vu 30 % de ses voix lui échapper. « Il y a quand même dès le départ un problème de légitimité. Le “switch” reste perçu par beaucoup de Marseillais, et pas seulement de gauche, comme un coup politique et un déni de démocratie, alors que le Printemps prônait une ville plus transparente », pointe Lionel Royer-Perreaut, maire (LR) des 9e et 10e arrondissements, qui pratique Benoît Payan depuis ses débuts en politique.
Autour d’un demi ou d’un café, les élus de la majorité pointent la difficulté à faire avancer les dossiers. « Dans beaucoup de domaines, l’administration était désorganisée ou inexistante, souligne Sébastien Barles, ex-tête de liste EE-LV et adjoint à la transition écologique. Il a fallu trouver des fonctionnaires, des directeurs d’administration… Cela prend du temps. » Un an et demi après les municipales, plusieurs postes stratégiques dans la haute administration sont tout juste sur le point d’être pourvus. Idem sur les moyens techniques : plusieurs adjoints se sont aperçus qu’il n’existait aucune gestion informatisée dans leur domaine d’activité, notamment sur le personnel des cantines ou certains dossiers d’urbanisme. Sur les réseaux sociaux, les adjoints s’affichent malgré tout en action sur le terrain, et en concertation avec l’ensemble des acteurs, professionnels et usagers.
Élection à rejouer
Mais dans le même temps, le fonctionnement devient de plus en centralisé et vertical. A la mairie, tous les postes de décisions stratégiques, notamment les finances, sont trustés par des socialistes proches de Benoît Payan. Les arbitrages – comme l’embauche de 100 policiers municipaux plutôt que des agents dans les écoles ou les bibliothèques – sont tranchés en comité réduit de quelques personnes autour du maire. « La tendance à vouloir tout re-centraliser, c’est une conséquence des blocages, voire des torpillages, qu’on peut rencontrer à certains points dans l’administration, tempère Sébastien Barles. Les choses se mettent en place pour qu’on puisse évoluer vers un processus de décision plus fluide. » Patience. Pour combien de temps ? « En un an et demi de Printemps marseillais, à part de la communication, on a pas encore vu grand-chose, tacle Lionel Royer-Perreaut. Pas de projet structurant, pas de vision globale. Or ce que l’on ne lance pas dans les deux premières années de mandat, généralement on ne le fait pas. » La question est d’autant plus brûlante que, si le Conseil d’État confirme les révélations du site d’info Blast et annule d’ici la fin de l’année l’élection municipale dans les 11e et 12e arrondissements, le Printemps marseillais aurait une chance d’élargir sa majorité, rebattant dans le même temps les cartes à la métropole. Plus jeune maire de l’histoire de Marseille, Benoît Payan pourrait avoir à défendre son pré-bilan, contrasté comme nous le détaillons par ailleurs, beaucoup plus tôt que prévu.
1. Par timidité sans doute, les adjoints de la majorité ne se sont pas bousculés pour venir défendre le bilan du Printemps dans nos colonnes. Invité de façon anticipée et répétée à participer à une Grande Tchatche, notre émission politique sur Radio Grenouille, Benoît Payan lui-même a trouvé le temps de répondre au Point, pas au Ravi… Notre invitation à débattre est relancée !
2. En tant que membre fondateur et administrateur de Mad Mars, puis membre de la commission électorale du Printemps marseillais, le tout pour finir candidat dans le 6-8 en position non-éligible. Vendu, va !!
Mais désormais dégagé de toutes responsabilités politiques pour se consacrer, corps et âme, au sacerdoce de la presse indépendante.