Pour les femmes, un Printemps encore nuageux
Durant les derniers mandats de Jean-Claude Gaudin (LR), les adjointes au maire de Marseille avaient d’importantes responsabilités : urbanisme (Laure-Agnès Caradec), logement (Arlette Fructus), sécurité (Caroline Pozmentier), et on en passe. Mais quand il s’agissait de trancher des arbitrages, tout se passait entre hommes, dans le très petit cercle de fidèles de Jean-Claude Gaudin : directeur de cabinet, secrétaire général de la mairie, adjoint aux finances. Avec l’arrivée de Michèle Rubirola (EELV), première femme à devenir maire de toute l’histoire de Marseille, les choses allaient changer. Sur les quatre secteurs gagnés par le Printemps marseillais au second tour des municipales, trois ont été remportés par des listes menées par une femme. Et c’est une autre femme, l’ancienne socialiste Samia Ghali, qui permet à Michèle Rubirola d’obtenir une majorité au conseil municipal, en la soutenant avec ses neuf élus. D’entrée de jeu, le gouvernement municipal est paritaire (1), et des dossiers hautement stratégiques attribués aux adjointes, comme l’urbanisme, la modernisation de l’action publique, l’environnement, les affaires sociales. Les dossiers de lutte contre les discriminations et les violences faites aux femmes, d’hébergement d’urgence pour les femmes et les mères de famille sans logement, s’affichent haut dans la liste de priorités de la nouvelle majorité. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes féministes ? Méfi.
Rendues difficiles par les absences répétées de Michèle Rubirola pour raisons de santé, les décisions sont dans un premier temps relativement concertées au sein de l’équipe municipale. Mais quand survient le « switch » avec l’élection de Benoît Payan (PS) en remplacement de Michèle Rubirola, la dynamique s’inverse. Dans une tribune publiée dans Le Monde, l’écrivaine Valérie Manteau pointe l’incohérence de la maire démissionnaire : « Si le poids du pouvoir n’est pas supportable pour une simple citoyenne, c’est un problème auquel nous devons ensemble chercher une solution, au lieu de désigner un supposé surhomme, “l’urgentiste” Benoît Payan […]. Vous renforcez l’imaginaire de l’homme providentiel comme jamais, tout en professant ne pas y croire. »
D’autant plus que, souci d’efficacité ou naturel politique qui revient au galop, le centre de décision se resserre, comme sous la droite, autour du maire, son directeur de cabinet, l’adjoint aux finances et quelques conseillers. Un management plus autoritaire et vertical se met en place, au point que nombre d’élus, autant encartés qu’issus de la société civile, n’osent plus émettre ouvertement de critiques, autant en interne qu’en public. Adjointe au maire à l’Environnement, Christine Juste, ancienne membre du bureau national d’EE-LV, tempère : « Il y a peut-être un effort à faire sur la parité dans le cabinet, mais il y a quand même plusieurs femmes qui y ont des rôles très importants. Dans ma délégation, je ne travaille presque qu’avec des femmes et je n’ai jamais eu de souci avec mes collègues hommes. » Les nouvelles élues, elles, se confrontent au sexisme politique, y compris au sein de leur majorité et même de leurs propres services. Sur un compte Twitter intitulé « Jeunes & fraîches », reprenant comme titre la déclaration d’un élu à propos d’une élue lors d’une réunion officielle en préfecture, elles racontent leur vécu, toujours plus hallucinant. Un chef de service qui balance à son élue « je vous explique ce que vous allez devoir dire et surtout ne pas dire », un élu qui coupe la parole à une élue pour la passer à un homme en expliquant « vouloir la protéger », un collaborateur qui dit à son élue « c’est décidé, tu es la miss conseil municipal »…
Même certaines élues ne sont pas non plus à l’abri de dérapages. Dans un échange sur une messagerie cryptée, Christine Juste qualifie l’agression sexuelle dont a été victime la candidate à la primaire Sandrine Rousseau de « triste personnage qui lui a fait pouet pouet sur les tétés ». « Si quelqu’un essayait de m’approcher je vais pas attendre dix ans pour m’en rappeler, et gravir entre-temps les échelons du parti… », tacle-t-elle sans susciter de réaction. « Je ne dis pas qu’il n’y avait pas un problème avec Baupin, explique-t-elle a posteriori. Mais cette affaire qui ressort dix ans après les faits, à trois semaines d’un congrès… Je n’aime pas qu’on détourne l’objet d’un combat. Je ne dis pas que ce n’est pas une expérience violente, mais ces femmes qui n’ont pas l’air d’être faibles et qui se taisent pendant des années, elles se rendent complices de ce qui se passe après elle. »
À la même période, en plein conseil de territoire de la métropole marseillaise, le maire (divers-droite) de Gémenos Roland Giberti envoie paître une élue Printemps marseillais d’un « vous m’avez cru parce que vous êtes une jeune élue ! » À droite, à gauche ou au centre, le combat contre le patriarcat s’annonce encore très long…
1. Bien mieux quand même que ce que fait le Ravi ! Sur six salariés permanents de votre satirique régional préféré, seules deux sont des femmes… La situation s’inverse à la Tchatche, l’association qui porte le journal et ses actions d’éducation aux médias : le collège qui la dirige compte quatre femmes et deux hommes. Mais la gouvernance, elle, est beaucoup plus horizontale.