« Le présidentialisme est une maladie »
le Ravi : Lors des primaires de la gauche, n’y avait-il pas la place pour un candidat communiste ?
Pierre Dharréville : La question s’est posée début 2016 mais le PS, qui visait alors un scénario favorable à une candidature Hollande, a tout fait pour la refermer. La primaire a donc finalement été socialiste. Et puis je conserve un doute sur cet outil « Canada Dry » qui donne le sentiment de prendre une décision, d’avoir du poids sur les événements. En réalité, à l’arrivée, ce n’est pas toujours le cas. Après des semaines de discussion chez les communistes, et bien au-delà, nous avons choisi un candidat : Jean-Luc Mélenchon.
Le candidat Mélenchon, vous l’avez choisi ou il s’est désigné tout seul ?
La manière dont il a procédé n’était pas forcément celle que nous aurions souhaitée, mais nous ne souhaitions pas ajouter de la division. Nous avons voulu engager une dynamique de rassemblement à gauche pour la faire gagner aux élections présidentielle et législatives. Or, le risque que nous courons est d’aller vers un tout autre scénario où pourraient s’affronter la droite et l’extrême droite.
Pourquoi ne pas présenter directement un candidat PCF à la présidentielle ?
Dans la Vème République, l’élection présidentielle est centrale. Nous le regrettons parce que le présidentialisme est une maladie pour la démocratie. Il faudrait changer de système. En même temps, si on veut porter des idées, rendre visibles des batailles, c’est plus facile en participant à cette élection. On ne travaille pas pour la boutique mais pour promouvoir des avancées concrètes pour les gens. Et nous avons suffisamment de convergences fortes avec Mélenchon afin de mener avec lui cette bataille. Mais c’est aux législatives que se créent les majorités politiques…
Benoît Hamon questionne le productivisme. Cela vous parle ?
Il faut faire émerger de nouveaux modes de production et de consommation. Bien souvent, la décision sur des sujets majeurs d’un point de vue environnemental revient à des actionnaires, pour lesquels la boussole n’est absolument pas de savoir comment on respecte l’humain ou la planète. Il faut injecter de la démocratie là-dedans. Mais on a besoin de l’industrie pour relever les défis climatiques et écologiques. De la même façon qu’on ne peut pas relever le défi environnemental sans relever le défi social.
Un revenu universel de base est-il une bonne idée ?
Nos propositions, qui sont aussi celles de Jean-Luc Mélenchon, ce sont d’abord l’augmentation du Smic et des salaires, la diminution du temps de travail, la retraite à 60 ans et l’augmentation des minima sociaux. Mais nous défendons également la sécurité sociale de l’emploi et de la formation : la volonté de permettre à celles et ceux qui travaillent de passer de l’emploi à la formation sans perte de revenu. Le travail crée de la valeur et doit permettre aux gens de vivre. Pensez à la somme globale des dividendes distribués à leurs actionnaires par les entreprises du CAC 40 : 55,7 milliards d’euros pour 2016. Treize milliards de plus qu’en 2015 ! C’est colossal ! Ces richesses, il faut aller les capter pour créer de l’emploi et du salaire.
Gaby Charroux, député sortant et désormais votre suppléant, était hostile à la loi sur le non-cumul des mandats qui l’a contraint à renoncer à un nouveau mandat. Si vous êtes élu, serez-vous un député hors sol ?
Je ne crois pas car il y a différentes manières d’être élu de la République. Et puis, le sens de l’engagement de Gaby Charroux en tant que suppléant à mes côtés, c’est justement de m’aider à être connecté aux réalités auxquelles les élus locaux et les maires font face.
Etes-vous favorable à cette loi de non-cumul ?
Je suis plutôt d’accord même si ça ne suffira pas, hélas, à démocratiser la prise de décision.
Les législatives s’annoncent difficiles mais votre circonscription est réputée l’une des rares gagnables pour la gauche en Paca. Êtes-vous optimiste ?
On y va pour gagner, parce que d’abord nous sommes sortants, et parce que nous sentons bien être en phase avec des aspirations qui sont exprimées fortement. Le risque principal, c’est que les gens soient démobilisés en se demandant si ça peut servir à quelque chose encore de se déplacer. Je vais travailler à les convaincre.
Comment expliquer les scores très élevés du Front national dans vos terres historiquement communistes ?
Pour les élections régionales, la manière dont s’est passé le quinquennat ne nous a pas aidé : la politique du gouvernement a nourri la désespérance et le Front national prospère sur la crise, même si sa progression est fondée sur une tromperie. Au second tour des régionales, la porosité entre la droite et l’extrême droite sur le plan des idées fait que les hommes et les femmes de gauche ont sans doute eu du mal à se déplacer pour aller voter contre le FN.
Partout dans le monde, les gauches reculent. C’est terminé la gauche ?
Non même si on est dans une phase difficile car, en face, les forces de la finance ont beaucoup de pouvoir. Mais des choses grandissent. On l’a vu en Europe, avec la réaction de certains peuples, en Grèce par exemple. Ces derniers temps, en France, les sondages ont été systématiquement démentis par les électrices et les électeurs : ça montre que les gens sont en quête de nouveaux espoirs. Si la gauche travaille bien, elle pourra en être le nom.
Votre slogan de campagne, c’est « plus fort la gauche, plus fort le peuple ». Il ne faut donc pas opposer les deux termes ?
La gauche n’a pas de raison d’être sans le peuple. Les solutions pour le peuple se trouvent à gauche. Pour peu qu’on la définisse clairement et qu’on n’abandonne pas le combat après avoir fait de beaux discours sur des estrades et brandi le drapeau rouge. L’idée de gauche est abîmée par des gens s’en revendiquant : ce qu’ils ont fait au pouvoir, c’est à n’y rien comprendre et à se révolter. Mais je ne renonce pas à cette idée-là. Celle du progrès social est plus que jamais une idée neuve. Comme celle de l’émancipation humaine, de la liberté, de l’égalité, de la fraternité.
Pourquoi vous méfiez-vous de ceux, comme l’extrême droite, qui dénoncent le système ?
Parler du « système », c’est diviser en deux l’espace démocratique ; il y aurait d’un côté la classe politique et de l’autre les citoyens. Cette façon de raisonner est un coup porté à la démocratie, à la capacité d’agir des gens. La politique appartient aux citoyennes et citoyens. Elle le devrait en tout cas ! On peut considérer effectivement que le système politique, tel qu’il est organisé, conduit les gens au sentiment de ne pas décider réellement, à celui que leur avis ne compte pas. Il faut transformer profondément les institutions pour les démocratiser au maximum.
Tout autre sujet : ne craignez-vous pas qu’on vous reproche de quitter le navire La Marseillaise, en renonçant à le présider, alors qu’il traverse à nouveau un moment difficile ?
Je ne suis plus le capitaine mais je suis encore pleinement engagé pour que ce journal ait un avenir. C’est une aventure collective. J’en ai été le nom pendant quelques temps en donnant tout mon possible. Mais on entre dans une phase politique intense où, en plus, je suis candidat. Il était nécessaire que quelqu’un reprenne le flambeau.
Le quotidien régional progressiste peut-il encore s’en sortir et se développer ?
Oui, il le peut et il le doit. Le pluralisme de la presse est une question démocratique éminente aujourd’hui. Il serait dramatique que seuls les grands groupes industriels et d’armement possèdent la presse dans notre pays. La Marseillaise est indépendante de toutes les puissances financières. Il est décisif que ce journal ait un avenir.
Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Marine Martin