« J’étouffe ! »

février 2018 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
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Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Lionel Royer-Perreaut, maire LR des 9ème et 10ème arrondissements de Marseille, invité de la Grande Tchatche

le Ravi : la droite a-t-elle besoin de parler comme Trump pour séduire un électorat populaire ?
Les interviews cash et trash, ce n’est pas ma façon de faire de la politique. Et quand on est chef de parti et qu’on a un destin national, ce sont des exercices auxquels il faut se prêter avec modération. On risque vite d’être mal compris par le commun des mortels. Notre rôle n’est pas de céder à la tentation de la provocation. L’homme politique doit jouer son rôle dans la dignité. Il ne faut pas céder au jeunisme ou au modernisme.

Vous retrouvez-vous dans la ligne dite « identitaire » prônée par le nouveau président des Républicains ?
Le parti politique tel qu’il a été voulu par le général de Gaulle à l’aube de la Vème République s’essouffle. Il ne correspond plus aux attentes des citoyens. D’ailleurs, pour susciter le débat d’idées, chacun crée sa chapelle de son côté. Le juste milieu entre la démocratie représentative et l’oxygénation nécessaire entre les temps électoraux est la démocratie active. Or les partis ne sont pas armés pour répondre à cette attente. Pour la droite, après une dizaine d’années de cohabitation forcée entre libéraux et conservateurs, entre UDF et RPR, elle renoue avec ses clivages traditionnels.

Guy Teissier, votre mentor en politique, est passé par l’extrême droite. Pensez-vous possible et souhaitable d’amener certains membres et électeurs du Front national à intégrer Les Républicains ?
Dans un parcours politique et humain, il faut savoir évoluer. L’expérience et la vie nous font parfois changer d’approche. Pour ce qui est des tactiques électorales, Laurent Wauquiez s’est fait élire sur un programme très à droite. Mais nous ne sommes pas là pour mimer des partis qui ne nous ressemblent pas. Par le passé, la droite s’est un peu perdue à force de trop s’arrondir. Il faut cependant prendre garde à ne pas passer de l’autre côté du balancier.

Jean-Claude Gaudin ne s’oppose plus à la fusion de la Métropole Aix-Marseille et du Département des Bouches-du-Rhône. Êtes-vous sur la même ligne ?
Être pragmatique, ce n’est pas forcément être fataliste. Une métropole est un territoire qui existe par sa capacité à rayonner. Or le débat a été travesti en appelant métropole ce qui est en réalité un « département croupion ». Cette métropole a été créée par et pour des fonctionnaires. On donne l’illusion que les politiques décident mais ils ne décident de rien. L’important est de faire en sorte que les compétences soient données aux élus de proximité, donc aux maires. Ensuite, il faut que le nombre d’élus se réduise. Et il faut créer une institution réellement représentative du territoire. Reste qu’avoir créé une métropole pour la fusionner dans la foulée avec le Département est un non-sens. Il aurait fallu transférer directement les compétences au Département. On aurait fait l’économie du cinéma de ces trois dernières années.

Marseille est entourée de territoires riches et dynamiques méfiants à son égard. Peut-on changer cela ?
C’est une réalité : cette ville est pauvre. Mais Marseille n’a aucun intérêt à se standardiser. Ensuite, d’aucuns sont contents qu’elle absorbe ce qu’ils ne veulent pas sur leurs territoires.

Renaud Muselier, président LR de la Région Paca, a déclaré : « Jean-Claude Gaudin a fait deux mandats de trop. Le mandat précédent était celui de la cohabitation politico-mafieuse avec Monsieur Guérini. Et le dernier ne sert à rien. » Partagez-vous ce bilan ?
C’est Renaud, c’est pour ça qu’on l’aime. Une fois que vous avez enlevé les petites phrases diverses et variées dont la fonction est d’occuper les journalistes, la Région, le Département et la Ville cohabitent parfaitement. Et cela permet de booster les projets importants pour le territoire.

Pourtant, Guy Teissier déclarait, déjà en 2013 : « Tout dysfonctionne dans cette ville. On assiste à la fin du règne de Jean-Claude Gaudin. Il est assis dans son fauteuil et ne veut pas en bouger. La seule force qui le meut, c’est sa volonté de se maintenir au pouvoir. »
Quand on voit le développement économique de Marseille, Jean-Claude Gaudin n’effectue à l’évidence pas un mandat pour rien. Dire le contraire serait de la mauvaise fois. Se faire réélire quatre fois l’a conforté dans son approche de la politique. Maintenant qu’il a annoncé qu’il ne serait pas candidat aux municipales de 2020, c’est à nous d’inventer et d’expliquer de nouvelles méthodes pour rendre cette ville un peu moins anarchique. La question est de savoir comment on bascule dans un nouveau monde et comment on fait de la politique autrement. Il faut changer nos habitudes, notamment dans la manière de gérer des politiques de proximité.

Vous êtes président de 13 Habitat l’office HLM qui, à l’époque de Jean-Noël Guérini était dénoncé comme un « temple du clientélisme ». Avez-vous repris la maison en main ?
Oui mais je ne peux pas dire que tout ce qui se faisait par le passé a disparu. Il y a encore du travail. Je ne suis pas non plus dans une logique de chasse aux sorcières. Mais désormais les attributions sont beaucoup plus transparentes.

Quel regard portez-vous sur ces communes des Bouches-du-Rhône connues pour ne pas apprécier les logements sociaux, craignant que de nouvelles populations investissent leurs territoires ?
Les habitants de ces petites villes ont toujours peur des logements sociaux. Quand un maire en propose, il est rarement accueilli à bras ouverts. Reste que, à l’échelle de la métropole, on a 72 000 demandes de logement à satisfaire. Le besoin est donc immense et il faut y répondre, mais intelligemment. Or l’État prend le problème à l’envers : au lieu d’accompagner les maires et de proposer une fiscalité incitative, il les contraint. La loi SRU, qui impose un certain pourcentage de logements sociaux par commune, aboutit à des aberrations. On empile les lois contradictoires et, par exemple à Tarascon, la loi SRU est difficile à respecter tout en se conformant au plan de prévention des inondations et aux textes protecteurs de l’environnement. Autre exemple, à Port-Saint-Louis-du-Rhône, le maire a fait construire de nombreux logements sociaux. Beaucoup sont aujourd’hui inhabités. C’est insensé de traiter identiquement des villes très attractives et d’autres avec peu d’activités économiques.

La création de votre club Oxygène Actifs est-elle une façon de vous positionner en vue des municipales en 2020 ?
Avant tout, je voulais m’oxygéner parce que j’étouffe. J’étouffe dans ce paysage politique sans débat d’idées, où tout tourne autour des petites déclarations des uns et des autres. Nous sommes tout de même dans le pays de Descartes et des Lumières. Or on nous impose du prêt à penser. Je ne me reconnais plus dans la politique telle qu’on la pratique depuis soixante-dix ans.

Propos recueillis par Michel Gairaud et mis en forme par Boris Barraud

Portrait

Il était une fois un conte de Royer-Perreaut. Pas encore quinquagénaire, il est donc un « jeune » en politique. Il aurait même pu figurer parmi le casting des marcheurs de la start-up nation. Sauf que son candidat à la présidentielle c’était François Fillon. Et que loin des novices macronistes de la société civile, il est issu de « l’ancien monde ».

Etudiant en sciences agronomiques et en droit public, il fait ses classes dans le Var avec les jeunes de l’UDF. Et le voilà rapidement attaché parlementaire de Yann Piat, la députée ex-FN ralliée au parti républicain qui, dénonçant la mafia, est morte assassinée dans des circonstances toujours débattues.

Le destin de Lionel Royer-Perreaut a longtemps été celui d’un homme de l’ombre, de numéro 2, de fidèle bras droit du député Guy Teissier, l’ancien para. A 20 ans, il devient son assistant parlementaire. Teissier le nomme directeur de cabinet à la mairie des 9ème et 10ème arrondissements de Marseille, puis le choisit comme député suppléant avant d’en faire son successeur, en 2014, à la mairie.

Le cumul des mandats, dans le temps et en nombre, n’est donc pas pour lui un souci. Il est aussi conseiller départemental depuis 2015, grâce à nouveau à un prestigieux binôme avec Martine Vassal, la future présidente. Il préside également 13 Habitat, le 1er bailleur social du département.

De quoi lui donner des ailes ! Et l’envie d’un grand bol d’oxygène. « Oxygène actifs » c’est justement le nom du club de réflexion qu’il a lancé en décembre. Il était donc une fois un conte de Royer-Perreaut : celui du petit Lionel… devenu grand !

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