La droite est morte, vive la droite !
« Après Macron, j’espère un retour au clivage gauche-droite, qui est salvateur pour notre démocratie. » Tout nouveau président des Républicains des Bouches-du-Rhône et sénateur depuis septembre 2020, Stéphane Le Rudulier est un vrai optimiste. A la veille du premier tour de la présidentielle, Valérie Pécresse, sa candidate, est pourtant plus proche de la défaite que d’une victoire finale et LR du « cocovirus » qui a déjà contaminé le PS.
Avec des législatives que beaucoup imaginent mortifères pour la droite, LR est en effet en passe de se transformer en un parti d’élus locaux et de disparaître de la scène nationale. « Depuis la première République, depuis 230 ans, la gauche et la droite existent ! », s’insurge l’ancien maire de Rognac, qui a rassemblé le 21 mars à Marseille 450 militants et élus pour parler de l’avenir. Il gonfle les muscles : « Nous tenons le Sénat et nous sommes le premier parti en termes d’élus locaux et d’adhérents. »
Un optimisme qui n’est pas partagé par tous ses camarades. Et pas seulement parce qu’un chien a pu adhérer à LR pour voter à la primaire de la droite. « On va certainement avoir une traversée du désert », reconnaît Jean-Pierre Giran, maire de Hyères (83). Tout en convoquant lui aussi l’histoire : « Je suis profondément convaincu que les convictions fortes finissent toujours pas ressurgir. » « Il pourrait y avoir un sauve-qui-peut, parce qu’une grosse partie des députés va être balayée par Macron et notre image écornée », noircit de son côté Didier Réault, vice-président du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône et candidat aux législatives à Marseille face à un ancien LR. Et d’insister : « Notre principale difficulté est d’affirmer une ligne cohérente et de faire rêver les gens. »
LR de rien
C’est peut dire. Coincé entre En Marche ! et le Rassemblement national, LR est en plus concurrencé lors de cette présidentielle par le polémiste d’extrême droite Eric Zemmour. Deuxième de la primaire de la droite, le très droitier député de Nice Eric Ciotti a ainsi réaffirmé fin mars qu’il voterait Eric Zemmour en cas de duel au second tour avec le président sortant. Christian Estrosi et Hubert Falco (maires de Nice et Toulon) ou encore Renaud Muselier (président du Conseil régional) et Martine Vassal (patronne de Didier Réault) ont de leur côté quitté LR et soutiennent Emmanuel Macron. C’est aussi le cas de Bruno Gilles, l’ancien sénateur et maire des 4e et 5e arrondissements de Marseille. Chiraquien de toujours, pilier des Républicains des Bouches-du-Rhône jusqu’à sa candidature dissidente aux municipales de 2020, ce fan de Tintin est désormais référent dans le « 13 » d’Horizons, le parti créé par l’ancien premier ministre Édouard Philippe. Aujourd’hui, il clame à qui veut l’entendre que « le seul candidat de droite, c’est Macron ». Avec en tête les dernières propositions économiques du président sortant : le recul de l’âge de la retraite à 65 ans ou le boulot obligatoire pour les bénéficiaires du RSA. Difficile de lui donner tort…
Toujours fâché contre son parti, Bruno Gilles pilonne. « Malgré le nouveau monde, un parti doit avoir un chef. LR va se reconstruire autour de qui ? Eric Ciotti ? » Réponse de Julien Aubert, député d’Apt et membre de la cellule riposte de Valérie Pécresse : « Ce qui fait qu’un parti est populaire, c’est un chef mais aussi des valeurs. Et on est dans un moment de clarification. » Actant que la « droite cossue » et conservatrice a migré vers Zemmour, lui souhaite reconstruire une « droite bonapartiste et gaulliste » autour des élus locaux. « Être patriote sans être sectaire, avoir une vue sociale, vouloir un État fort… Il y a de quoi revenir à un étiage intéressant », assure Julien Aubert. Une « équation gaulliste » qui est aussi le « corpus idéologique » vers lequel veut également revenir Jean-Pierre Giran. Lui cite Malraux : « Le gaullisme, c’est le métro à 18 heures : on y trouve toutes les classes sociales confondues, la confiance dans les territoires, la souveraineté nationale mais pas le nationalisme. »
Échec et mat
Une option qui promet un débat d’idées plus qu’animé chez LR. « Eric Zemmour parle très souvent de la convention de 1991 de la droite [1990, Ndlr], c’est sur ce socle qu’il faut reconstruire », développe Stéphane Le Rudulier. « Fermeture des frontières », « suspension de l’immigration », « réserver certaines prestations sociales aux nationaux », « incompatibilité entre l’islam et nos lois », etc. A l’époque, il s’agissait déjà de contrer le FN. « Il y a les deux tiers des électeurs d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen à reconquérir, il faut leur proposer une troisième voie », insiste le sénateur. « Les difficultés de LR viennent de la stratégie de Sarkozy de récupération des électeurs du RN et d’une droite fière », rappelle cependant le Marseillais Didier Réault. « Eric Zemmour a montré qu’une partie de l’électorat donne du sens au combat politique, mais c’est aussi l’échec de l’union des droites », balaie de son côté Julien Aubert.
« Si l’union des droites n’a pas marché, l’exemple de Paca montre que la droitisation est aussi un échec », analyse le politiste Emilien Houard-Vial. « Christian Estrosi est passé de la droite décomplexée au chantre de la droite modérée parce qu’il a fait le constat qu’elle ne marche pas : le RN ne baisse pas et il y a un risque d’aliénation des plus modérés. Avec Renaud Muselier, ils ont donc tenté une inflexion du parti [aux régionales], de faire passer l’idée d’une alliance avec Macron, mais LR a refusé », développe ce spécialiste de la droite. « Pourtant, les élus commencent à se rendre compte de cette [nécessité] et développent des stratégies pour conserver leurs mandats », poursuit le politiste. Avant de rappeler : « Et puis Christian Estrosi n’a pas changé sa politique au niveau local. » Qui reste elle bien à droite.
« Le candidat de droite, c’est Macron ! »
Pour Émilien Houard-Vial, « Paca pourrait donc être la tête de pont de la reconstruction de ce que sera la droite ». Une droite qu’il imagine à l’avenir en « force d’appoint » : « Comme LR est plus souverainiste et moins libéral que LREM, il pourrait y avoir une coalition LR-LREM à l’image de celle UDF-RPR, avec des alliances comme à Toulouse. Et même la possibilité d’une majorité durable à l’assemblée », juge le politiste. Par contre, il ne voit ni la droite se recentrer autour de son extrême et de personnalités comme Eric Ciotti, ni une nouvelle grande formation émerger : « Horizons ou la France audacieuse de Christian Estrosi n’ont pour objectif que la prise du pouvoir, ils n’ont ni programme, ni identité, ni troupes. »
A l’opposé d’Émilien Houard-Vial, Bruno Gilles estime qu’Horizons est l’avenir de la droite. « C’est compliqué de faire passer les militants et élus de LR à la REM, mais chez Horizons je retrouve un parti gaulliste avec une position très claire vis-à-vis de l’extrême droite, la fermeté et l’ordre, la priorité donnée à l’éducation, etc. », explique l’ancien président des LR 13. Reste que la guerre de succession d’Emmanuel Macron, qui ne pourra pas se représenter en 2027, n’est pas gagnée pour Édouard Philippe. Une guerre dont LR espère profiter.