« Les gens doivent croire en leur force »
le Ravi : Mai 68, cinquante ans plus tard, c’est un état d’esprit ?
Samuel Johsua : C’est un mouvement extrêmement puissant qui a bouleversé tout le pays mais qui a buté sur les difficultés d’aller plus loin et sur le basculement libéral du monde dans les années 70. Mais la plupart des gens mobilisés en 68 sont restés du bon côté. Ça ne veut pas dire qu’ils sont obligatoirement toujours à l’extrême gauche mais ils pensent encore qu’on peut changer le monde. Seule une toute petite partie a glissé de l’autre côté, celui de Macron, mais c’est celle qui occupe le champ médiatique…
Alors que débute un mouvement social autour des cheminots, rien n’a semblé jusqu’ici faire obstacle au rouleau compresseur des réformes de la « République en marche »…
C’est une politique de sidération. On a l’impression qu’ils ouvrent en même temps tous les tiroirs dans lesquels étaient stockés des projets de réformes libérales, de manière à ce que plus personne ne puisse arriver à résister. Mais le mouvement social pourrait réussir. Des rapports de force existent encore en France : on ne sait jamais comment peut réagir ce pays resté très attaché à ses services publics, à ses garanties de travail. Et puis les fragilités macroniennes apparaissent : des résistances se développent sur beaucoup de fronts et les résultats des élections partielles sont particulièrement inquiétants pour ce pouvoir.
Que faire face à un gouvernement qui procède par ordonnances ?
En 67 la question s’est déjà posée avec les ordonnances de De Gaulle ! Même Dominique De Villepin (ex-premier ministre UMP) vient de mettre en garde le gouvernement contre l’autoritarisme. Au moins les ordonnances sur le travail avaient été annoncées ! Mais voilà que le gouvernement recommence avec la SNCF en écrasant le Parlement. On a la politique la plus à droite depuis des décennies. Emmanuel Macron montre sa force mais fait aussi preuve de faiblesse : car s’il était autant assuré de sa politique, il irait devant le parlement !
Pourquoi faire du statut des cheminots un enjeu national ?
La SNCF n’a pas besoin de cette réforme pour résoudre ses problèmes. Donc, le gouvernement s’attaque à un symbole. Il veut imposer une défaite à un secteur qui a encore les moyens de résister en masse par les voies traditionnelles, comme la grève, aux politiques conduites. Ce qui est visé c’est aussi l’idée que l’emploi pourrait être garanti à vie en faisant passer les cheminots, auprès des plus précaires, comme des privilégiés. Mais c’est grâce à des statuts comme le leur qu’il y a un dévouement pour le bien du pays qu’on ne trouve quasiment pas ailleurs.
Renaud Muselier (LR), le président de la région, se réjouit de l’ouverture à la concurrence du ferroviaire. Est-ce que ce sera, comme il l’affirme, une chance d’améliorer le service des TER ?
Ce sera une catastrophe comme dans les autres pays. Déjà, à Marseille, dans les quartiers Nord, les trains ne s’arrêtent presque plus et les gares sont fermées. La privatisation ne fera qu’augmenter les prix sans résoudre les problèmes. Noam Chomsky a décrit comment faire en sorte de détruire un service public : empêchez qu’il fonctionne bien puis dites aux gens : regardez, cela ne marche pas, il faut privatiser.
La France Insoumise offre-t-elle une alternative crédible aux politiques libérales ?
On peut toujours l’améliorer, notre programme de la présidentielle, mais on ne présentera pas des choses tellement meilleures. Pour augmenter la crédibilité de l’alternative, c’est moins sur les contenus qu’il faut travailler que sur l’idée que l’espoir existe pour y arriver. Les gens doivent croire en leur propre force.
LFI est-elle traversée par une tension entre l’aspiration démocratique à plus d’horizontalité et la verticalité d’une organisation autour d’un leader charismatique, Jean-Luc Mélenchon ?
La France Insoumise, c’est polycentrique, plusieurs endroits peuvent la représenter. Nous ne voulons pas revenir à la structuration des partis comme on l’a connue avant. Le rôle du groupe parlementaire est considérable et tout le monde n’y pense pas pareil. Personne ne théorise chez nous la place du chef. Après les gens ont parfois une image figée de notre mouvement autour de la parole de Mélenchon. Ce qui me travaille le plus c’est que dans le peuple, en bas, certains veulent malgré tout se mobiliser autour d’une incarnation, d’un chef. Pour moi, l’émancipation c’est quand les gens eux-mêmes prennent leurs affaires en main. Mais je constate que la médiatisation, la façon de parler à la télé, font qu’ils ont tendance à travailler comme avec l’OM : Ils sont dans les tribunes mais ce ne sont pas eux qui jouent.
A Marseille la France Insoumise a-t-elle réellement l’ambition de gouverner la ville ?
Il est déjà stupéfiant que Mélenchon soit arrivé en tête à Marseille (Ndlr au 1er tour de la présidentielle). Quelques mois avant, je n’y aurais pas cru. Ça marque les rapports de force mais ça n’existe que sur la base d’une participation à l’élection très élevée. Les municipales sont encore loin. Le boulot de la France Insoumise est d’abord de répondre à la question qu’on nous pose tout le temps : « vous les politiques on ne vous voit que pour les élections ». Si on ne répond pas, on est mort. Nous devons d’abord agir pour que cela ne régresse pas trop en menant une lutte sociale.
Pour gagner des élections, il faudra rassembler. Et cela ne semble pas au programme des Européennes…
Les Européennes sont l’élection où, avec Hamon (Génération.s), les divergences sont les plus importantes puisqu’il veut faire une politique progressiste dans le cadre des traités. Nous, on ne voit pas comment c’est possible. Mais pour des municipales, on ne peut effectivement pas gagner autour d’un seul parti. Ce qui va compter c’est de savoir ce que feront les milliers de militants investis dans le milieu associatif. Si on fait un programme avec eux, si on se mobilise ensemble, on a une chance. Les accords de parti, ça ne suffira pas !
Vous siégez dans l’opposition d’une mairie de secteur tenue par l’extrême droite. Où en est le FN dans l’exercice du pouvoir ?
Ils sont affaiblis mais le danger reste là. La politique menée par Stéphane Ravier dans le 13/14 est considérée par une large partie de la population comme un échec. Il a peu de pouvoir comme maire de secteur, mais il exerce un ministère de la parole. Récemment, lors d’une manifestation pour réclamer l’ouverture de la station de métro Gèze au marché aux puces, complètement terminée depuis deux ans, il n’y avait aucun représentant de la mairie FN. Elle préfère mener campagne contre des pans entiers de sa population, certaines cités populaires comme la Busserine, afin de les mettre à genoux.
Ravier a cédé son fauteuil de maire à sa nièce. Du népotisme ?
Il fait surtout ce qu’il peut car tellement d’élus l’ont quitté qu’il risque de perdre sa propre majorité. Mais attention ! Le risque du Front national n’a pas disparu. Ils sont assis sur une idée majeure bien présente dans le pays : le racisme.
Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Marine Torres