« Fière de Marseille, ma ville insoumise »
le Ravi : Mélenchon a été battu au premier tour de la présidentielle mais il s’en est fallu de peu qu’il soit qualifié au second. C’est une petite victoire ?
Sarah Soihili : C’est une victoire tout simplement ! Elle est le résultat d’un travail de plus d’un an pour construire un programme issu des propositions des citoyens. Nous l’avons chiffré avant d’approcher les gens, un par un : tractage, marchés, porte-à-porte. Aller sur le terrain c’est vraiment quelque chose de difficile pour un militant. Nous l’avons fait et notre score est dû à cela.
Comme Podemos en Espagne, les Insoumis marquent une grande distance avec les appareils politiques. C’est important ?
J’ai tout de suite été attirée par ce mouvement parce que, justement, ce n’était pas un parti politique, car il n’y avait pas d’accords de partis, tout ce que je déteste. J’ai été au PS, j’ai vu ce que c’était les petits arrangements entre amis, ou ennemis, soi-disant…
La France Insoumise a quand même une structure pyramidale…
Non. Jean-Luc Mélenchon ne dicte pas grand-chose parce que le programme, il ne l’a pas construit tout seul. Il a appris lui aussi à apprendre. Il n’a pas contribué à tout. Il avait son avis, bien évidemment, mais quand la majorité s’exprimait, il en prenait acte et il jouait le porte parole des insoumis…
Assumez-vous le refus de donner la consigne de voter Macron pour battre Le Pen ?
Nous avons préféré consulter les insoumis mais en aucun cas il n’y a eu l’option « voter Marine Le Pen ». Nous avons toujours procédé ainsi sur des points essentiels comme le projet d’assemblée constituante ou encore le plan B concernant l’Europe. Je ne vois pas pourquoi nous n’aurions pas continué dans cette ligne. Et puis depuis trente ans, Jean-Luc Mélenchon a toujours combattu le Front national. Le procès qu’on lui fait est injuste. Consulter les insoumis, ce n’est pas insulter la démocratie. C’est parce qu’on ne discute pas de tous les sujets avec les citoyens, qu’on ne parle pas avec eux de leurs frustrations, que le Front national est à ce niveau-là. Parler, discuter, c’est la meilleure arme pour lutter contre le FN.
A titre personnel, quel est votre choix ?
Lutter pour qu’il n’y ait pas une seule voix pour Marine Le Pen, appeler à lui faire barrage. Soit en votant blanc, soit en votant Emmanuel Macron. Je suis contre l’abstention. On ne peut pas avoir été pour le programme « l’Avenir en commun », défendant la prise en compte du vote blanc ainsi que l’obligation de voter, puis finalement s’abstenir.
Sur le fond, Macron et Le Pen, c’est bonnet blanc et blanc bonnet ?
Cela reste différent. Marine Le Pen, c’est vraiment tout ce que je ne peux pas supporter : la stigmatisation des uns et des autres, plus de clash entre les Français alors qu’on a besoin d’unité. Mais Emmanuel Macron, c’est beaucoup plus de libéralisme, plus de crises, et encore les mêmes qui vont trinquer, notamment les pauvres.
Une fois passée la présidentielle, votre électorat va-t-il rester fédéré ?
Ce n’est pas un électorat volatil car il a longuement réfléchi sur un programme. Je suis persuadée qu’il restera plus fort que celui des partis politiques traditionnels.
Comment envisagez-vous maintenant la suite ?
Nous souhaitons que le flambeau que nous avons allumé ne s’éteigne pas. Donc nous sommes obligés de réfléchir à la suite pour que ce mouvement perdure. Il sera présent, bien entendu, dans toutes les échéances électorales, mais il va continuer, comme nous l’avons fait depuis un an, à fédérer les citoyens en leur donnant la parole.
L’ego de Jean-Luc Mélenchon est-il un obstacle ou un atout ?
Jean-Luc Mélenchon n’a aucun ego.
Là, on a du mal à vous croire !
C’est l’image qu’on donne de lui médiatiquement. Je vais vous faire une confidence : j’avais une appréhension quand je l’ai rencontré la première fois. Et en fait, c’est lui qui a eu peur de moi !
Pour obtenir des succès électoraux n’est-il pas d’abord nécessaire de surmonter les divisions ? Comme celles qui ont opposé Hamon et Mélenchon malgré la proximité de leurs projets…
Il faut arrêter avec les guerres de partis qui ne profitent qu’à une toute petite poignée. Si les citoyens qui ont approuvé le programme de Benoît Hamon se retrouvent aussi dans celui de Jean-Luc Mélenchon, je les appelle à venir discuter avec nous pour faire un mouvement plus large. Ils y prendront part à la même échelle que nous. Il n’y aura pas un chef et un sous-chef, un chef qui dirige et les militants qui exécutent.
Aux législatives présenter des candidatures « Insoumis » face à ceux du PCF ou des écologistes serait-il une erreur ?
Pour prendre l’exemple de ma circonscription à Marseille, j’y appelle à l’unité. Je n’attends pas un accord national – et il y en aura un, c’est obligatoire, avec les communistes, avec Europe écologie. Je leur ai écrit des lettres, je discute avec eux. J’ai fais ce pas là. J’en ferai un, deux, trois, quatre, cinq, jusqu’à ce qu’on soit tous unis. Pour être candidat France insoumise, il faut juste signer une charte. Il est vrai que beaucoup de communistes ne l’ont pas souhaité jusqu’à présent, peut-être par peur de s’effacer au profit d’un mouvement citoyen. Mais aujourd’hui, il ne faut vraiment pas qu’on soit désunis. Le FN est à nos portes.
Cette unité doit-elle inclure les candidats du Parti socialiste, comme Patrick Mennucci par exemple ? Les Insoumis ont rassemblé 39 % dans sa circonscription…
Pour quel projet ? Patrick Mennucci va-t-il défendre les lois de Macron comme il l’a fait quand il était député à l’Assemblée nationale ? Ou bien va-t-il diamétralement s’opposer à ce qu’il a voté depuis cinq ans ? Si on peut avoir un grand mouvement, comprenant toutes les forces de gauche en incluant un PS renouvelé avec un nouveau projet, j’en serai la première heureuse. Mais aujourd’hui, malheureusement, je ne vois pas le PS se remettre en question.
A Marseille, Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête au 1er tour. Cela ouvre quelles perspectives ?
J’étais fière de me réveiller dans ma ville en me disant qu’elle était insoumise. Cela fait des années que le FN perce à Marseille mais aujourd’hui, la France insoumise est un rempart contre ce parti et ses idées parce qu’on arrive à parler à cet électorat déçu, en colère. Dans ma circonscription, Stéphane Ravier (sénateur-maire de secteur FN, Ndlr) n’aurait pas pu être maire s’il n’avait pas eu des électeurs auparavant sympathisants de gauche. Ils ont voté pour lui par désespoir, par colère. Je peux comprendre leur tristesse, leur ras-le-bol…
Peut-on « dégager » le FN des quartiers nord de Marseille ?
J’ai grandi aussi à la Castellane, dans le 16ème arrondissement. J’aurais donc pu vouloir me présenter pour les habitants du 15-16 mais je savais pertinemment que le FN était encore plus ancré dans les 13ème et 14ème arrondissements et je ne me suis pas trompée : au 1er tour, dans le 13ème, Jean-Luc Mélenchon est seulement arrivé deuxième. J’aurais pu choisir un secteur beaucoup plus facile au centre ville. Mais non. Je suis une combattante. Jusqu’au bout je me battrai contre le Front national pour l’avenir des électeurs et de mon pays.
Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Maëva Gardet-Pizzo