Le RN tousse dans le 13, en pleine forme ailleurs
Avant le premier tour des municipales et le confinement généralisé, le coronavirus est déjà dans toutes les têtes. Le peu d’affluence pour voir Marine Le Pen soutenir le sénateur frontiste marseillais Stéphane Ravier, le 6 mars, est loin d’être dû à la seule présence des antifas à l’entrée du parc Chanot. Quelques jours plus tard, à la veille du scrutin, le « dictateur nord-phocéen » distribue encore les poignées de main et s’offre, avec ses têtes de liste, une balade surréaliste en centre-ville. Passage éclair dans les méandres de Noailles. Pour le quarteron de frontistes, la quincaillerie Empereur est vue comme un vestige, une résistance. Rue des Capucins, Ravier crache : « Ça fait bien longtemps que des Capucins, y en a plus… » Il regrette « la Canebière de son enfance », déplore autant le nombre de banques que de kebabs. Et promet une Canebière « dont on puisse à nouveau être fier. Provençale, française… »
Au soir du premier tour, même si, au fond de la permanence frontiste, on entend les rires fuser, le patron du RN marseillais a la mine aussi grise que son costume : « C’est le coronavirus qui, malheureusement, sort vainqueur ! Il y a eu trop peu de participation pour tirer la moindre conclusion. » Et, face à ce qu’il considère comme un « hold-up démocratique », reconnaissant que l’électorat frontiste s’est moins mobilisé, il réclame ce qui adviendra : le report du second tour. Il refuse même de commenter, sinon à la marge, les résultats secteur par secteur. Résumé de Jean-François Luc, tête de liste pour les 4e et 5e arrondissements : « La photo est vérolée ! » Même mot d’ordre pour le patron de la fédération des Bouches-du-Rhône, Laurent Jacobelli : « Cette élection est un simulacre ! Impossible d’en tirer le moindre enseignement ! Sinon que notre électorat n’est pas sorti. Dans une telle situation, les réflexes conservateurs sont exacerbés. On ne rajoute pas de la crise à la crise. D’où une accentuation de la prime aux sortants. Et une difficulté accrue quand on est en position de challenger. »
En clair, les résultats du RN dans le « 13 » sont loin d’être flamboyants. Et le secrétaire de la « fédé » de citer les 10 % de son prédécesseur à la fédé, Emmanuel Fouquart, candidat malheureux à Martigues face au maire sortant, le communiste Gaby Charoux, réélu au 1er tour : « Qu’on ne me dise pas que cela reflète l’audience de notre parti sur la ville ! » Même analyse sur Istres, une ville que le RN avait pourtant dans le viseur, où il finit quatrième avec seulement 11,3 % des voix. Et Jacobelli, qui, à Allauch, est en troisième position, de grommeler quand on évoque la contre-performance du candidat frontiste à Tarascon, loin derrière celle qui fut longtemps au Front, Valérie Laupies. Dur dur d’être un frontiste dans le « 13 », comme Philippe Sanchez à Vitrolles qui a vu, à la veille du scrutin, son ex-directrice de campagne tenter, en vain, de remettre en cause sa domiciliation…
Dans les départements limitrophes, le RN peut se consoler en voyant les municipalités frontistes presque automatiquement reconduites. Si, fait notable, les époux Bompard (Ligue du Sud, extrême droite) vont devoir dans le Vaucluse (et en particulier Marie-Claude) attendre le second tour pour savoir s’ils gardent Orange et Bollène, le Pontet et Camaret-sur-Aigues restent dans l’escarcelle du parti d’extrême droite. Et, dans le Var, tandis qu’à Cogolin, Marc-Etienne Lansade (qui n’est officiellement plus au RN) vire en tête, à Fréjus, David Rachline est réélu au 1er tour. Pas question donc pour le secrétaire départemental varois Frédéric Bocaletti de bouder son plaisir. Même si le maire sortant LR de Six-Fours Les Plages, réélu au premier tour, le laisse loin derrière : « Par rapport à 2014, il me manque 2 000 voix. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne sont pas les personnes âgées – elles se sont mobilisées pour voter pour le maire sortant – mais les classes populaires et moyennes, notamment les jeunes, qui, face au coronavirus, se sont démobilisées. »
La fondation Jean Jaurès a eu le nez creux puisqu’à la veille du scrutin, elle a publié une note éclairante sur « l’implantation des listes » du RN. Et de constater que le parti a présenté « 392 listes », soit près d’un tiers de moins qu’en 2014, une baisse qui correspond à peu près au nombre d’élus qui ont fait défection (500 sur 1500), le RN étant incapable de « présenter des listes dans 20 communes de plus de 9000 habitants dans lesquelles il avait pourtant réalisé plus de 40 % des voix aux dernières européennes ». En Paca, si, dans le « 13 », le nombre de listes RN reste autour d’une trentaine, dans le Var, il « passe de 31 à 17 » et de « 18 à 12 » dans le « 06 ». Ce qui dénote, pour les auteurs, une « instabilité des effectifs militants sous l’effet d’un turn-over » rapide des équipes locales, ce dont témoigne également « un taux de renouvellement élevé des têtes de liste ».
Bocaletti, qui n’avait pas connaissance de la note, serre les dents : « En 2014, la fondation Jean Jaurès nous reprochait de faire du quantitatif. Maintenant, de faire du qualitatif ! On l’a clairement dit : on n’investira pas de candidat dont on ne peut être sûr. Voilà pourquoi on n’en a pas eu à Brignoles ou Saint-Maximin [Lire notre enquête : « A Saint-Maximin une vrai fausse candidature du RN« ]. C’est une stratégie d’implantation sur le long terme. Et pour les six ans à venir, cela nous fera moins de boulot. Parce que gérer une fédération comme celle du Var, c’est usant », avoue celui qui depuis des années demande à passer la main.
Commentaire au lendemain du premier tour de Sylvain Manternach, co-auteur de la note : « On n’est pas surpris par les performances du RN car on avait bien senti que la dynamique n’était pas de leur côté. Certes, il y a la stratégie de dédiabolisation et de sélection, contrairement à 2014 où ils avaient lancé les filets pour ramener tout ce qu’ils pouvaient. Mais cela indique aussi que les municipales sont des élections très particulières. Où il faut des réseaux, de la notoriété, des ressources à distribuer, ce qui ne peut que favoriser les sortants… » D’ailleurs, pour lui, la réélection d’un Rachline à Fréjus « cela veut dire qu’il y a un bilan auquel les électeurs, qu’on le veuille ou non, adhèrent. Et cela doit nous interroger dans l’approche critique que l’on a de ces municipalités ».
Une réflexion qui résonne tout particulièrement à Marseille en voyant le communiste Jérémy Bacchi, tête de liste du Printemps marseillais dans les 13 et 14e arrondissements, annoncer, face au risque FN dans le fief de Ravier, le retrait de la gauche au profit du « général » de Martine Vassal, David Galtier. De quoi faire hurler la n°2 de Bacchi, la socialiste Florence Masse. En politique aussi, l’application du principe de précaution n’est pas toujours sans excès.