« Noailles, un an et après ? »
Cette fois, c’est bien à cause de la pluie. Contrairement aux affirmations hâtives de Jean-Claude Gaudin pour expliquer la mort de huit personnes dans l’effondrement de deux immeubles dans le centre de Marseille il y a un an, dont un était propriété de la ville depuis de longues années, ce sont bien les intempéries qui ont eu raison de l’assistance de la 5e Agora de Noailles ce samedi 23 novembre. Si des pluies diluviennes sont annoncées, il y a aussi de la fatigue chez les militants. « Je savais qu’il y avait de l’épuisement pour certains, mais je ne pensais pas à ce point », confie une retraitée à son voisin en s’installant sur les gradins du Daki Ling, un lieu artistique dédié au clown et au burlesque de la rue d’Aubagne, où se réunit l’assemblée.
Parmi la petite cinquantaine de personnes à prendre place sur les bancs en bois et sous les projecteurs de la salle pour répondre à l’invitation – « Noailles, un an et après ? » – il y a des militants des collectifs de soutien aux délogés, de l’association Un centre ville pour tous, des membres du conseil citoyen local et quelques habitants. Et beaucoup de retraités. Lancée au lendemain du 5 novembre 2018 sous l’impulsion de Destination familles, une association installée au 43 de la rue d’Aubagne qui fait office de centre social et sert alors de base arrière – pour l’accueil des familles, des élus, des journalistes, des techniciens -, l’agora de Noailles se veut lieu d’expression, de mobilisation et de réflexion sur le devenir du quartier.
Six mois après la dernière, le public est aussi venu pour un point d’actualité. C’est Benoît Gilles, le rédacteur en chef de Marsactu, le journal en ligne marseillais, qui s’y colle de la scène. Le tour est complet : point sur l’instruction et les projets de réhabilitation du quartier, nouveau report de l’ouverture du centre social promis il y a quinze ans, outils annoncés toujours pas en place ou peu utilisés, à l’image du permis de louer. Conclusion du journaliste sur des « indices inquiétants » : « La métropole a demandé à la ville une liste d’immeubles sur lesquels lancer des travaux d’office, elle ne l’a toujours pas eue. » Ce qui ne surprend visiblement personne : l’exposé se déroule dans un silence quasiment religieux.
Réappropriation des espaces publics
Hervé Trémeau, le directeur de Destination familles, lance finalement la discussion. « Le projet de réhabilitation va durer des années, il faut organiser la mobilisation pour être présents dans les instances de concertation », souligne cet ancien éducateur. Dans son viseur, les îlots (d’immeubles) démonstrateurs qui vont être réhabilités en premiers, le Domaine Ventre et la place des Halles Delacroix. Rencontré la veille, il estime qu’en plus d’une « vigilance citoyenne », les enjeux à venir restent « l’implantation d’équipements publics » dans le quartier et le maintien de sa « mixité sociale ». Pour lui, « le profil des huit morts montre qu’elle existe ». La sociologie de la salle aussi.
Les premières propositions émergent en même temps que les premiers départs. A celle de mettre en place une plate-forme de revendications, répond la transformation de l’Agora en table de quartier ou encore la création de jardins partagés, pour créer « des lieux de vie et de production » insiste Marie Batoux, élue Front de gauche à la mairie des « 2/3 ». « On doit profiter du flou sur la concertation pour s’auto-organiser », plaide aussi Laura, une brune aux cheveux longs d’une trentaine d’années. Et de proposer la création d’un groupe de travail sur l’aménagement des espaces publics.
Du côté du Collectif du 5 novembre, on regarde aussi vers l’avenir. Trois jours plus tôt, en assemblée plénière hebdomadaire les mêmes questions se posent. La même fatigue aussi : il faut un long moment d’échanges, parfois tendus, entre une partie de la douzaine de militant-e-s présent-e-s pour que la réunion se lance. Court, moyen et long termes sont ainsi posés sur la table, autour de jus de fruits et de gâteaux apéro. Réunis exceptionnellement dans les murs de la Maison méditerranéenne des droits de l’homme (MMDH), sur lesquels est encore accrochée l’expo « Dessine-moi un facho » du Ravi, ils tentent « d’articuler tout ça », « pour que le soufflet ne retombe pas ».
Après le succès de la semaine de commémoration du drame, avec en point d’orgue une manifestation qui a rassemblé près de 15 000 personnes le samedi 9 novembre, le collectif a bientôt un nouveau rendez-vous important. Le 30 janvier, Kévin Vacher, une de ses principales figures, est convoqué au tribunal pour une accusation de violences aggravées en réunion avec préméditation. Il lui est reproché d’avoir blessé au doigt une agente de Marseille Habitat lors de l’évacuation cet été d’un immeuble sous arrêté de péril propriété du bailleur social, jusqu’à peu sous gérance d’un marchand de sommeil. Lui dénonce un procès politique.
Accès au droit
Si une manif de soutien est déjà programmée le 25 janvier, les militants ont aussi d’autres idées en tête. Un nouveau défilé, en décembre, en hommage aux huit victimes ou encore la participation à la plate-forme de propositions à l’adresse des candidat-e-s aux municipales. Mais aussi des propositions plus agit pop. « On a imaginé mettre en demeure les quatre élus indignes [propriétaires de taudis, ndlr] et les pouvoirs publics pour leur inaction ou envoyer des lettres d’expulsion à Julien Ruas et Xavier Méry [respectivement élu à la prévention et à la gestion des risques et conseiller métropolitain en charge de l’habitat indigne, ndlr] », sourit Kévin Vacher.
Chargée de la distribution de la parole, Zorah Boukenouche enchaîne pour plaider une nouvelle stratégie. « Faut qu’on arrête de taper sur la mairie, sinon ça va être pris comme un règlement de comptes entre gauchistes et Gaudin. L’Etat aussi n’a pas agi », assène cette travailleuse sociale très impliquée dans la commission des délogés du collectif. En écho, Mael, un délogé à la tignasse brune, pousse à plusieurs reprises pour la création d’une association au sein du collectif : afin de récolter de l’argent pour aider les délogés, mais aussi pour mener des combats juridiques. Installé en retrait, il explique : « On veut que la charte des délogés devienne un droit opposable, créer une jurisprudence. »
Il y a urgence. La crise est toujours là, comme la mauvaise volonté de la mairie. Selon la Fondation Abbé Pierre, il y a toujours une dizaine d’évacuations par mois. Ce mercredi 20 novembre, la plénière du Collectif du 5 novembre s’est d’ailleurs ouverte, à une centaine de mètres de la MMDH, par une réunion sur l’expulsion d’une cinquantaine de personnes, dont beaucoup de demandeurs d’asile, d’un immeuble du 4e arrondissement géré par un marchand de sommeil. Accompagnés par un groupe de jeunes militants du collectif de soutien aux migrants El Manba et désormais relogés en hôtels, ils sont venus se renseigner sur leurs droits et sur de possibles actions à mener pour les faire valoir.
A Noailles aussi l’urgence est toujours très présente. A la sortie de l’Agora, Hervé Trémeau insiste : « On ne peut pas dire que le quartier revit, il est toujours à vif. Une goutte de pluie, c’est comme une goutte d’acide. »