« On nous a mis à la porte ! »

février 2022 | PAR Jean-François Poupelin
Notre test du conseil municipal d'Orange, présidé par Yann Bompard, fils de Jacques et Marie-Claude, héritier des fondateurs de la Ligue du Sud, groupuscule d'extrême droite très actif auprès de Zemmour.

08:56

L’espace Alphonse Daudet, une salle des fêtes située à l’entrée de la ville, n’accueille pas que la vie démocratique d’Orange. Un soutien-gorge traîne dans les allées du parking…

09:00

Cheveux et barbe rasés de près, col de son pull aussi rond que son visage, Yann Bompard interroge,  installé à une vingtaine de mètres de son opposition : « Est-ce que tout le monde est prêt ? Parce que c’est 9h00, et avant l’heure c’est pas l’heure, et après l’heure c’est plus l’heure. » Les bavards regagnent leurs place au petit trot.

09:01

Le Conseil municipal est ouvert, ce 31 janvier, dans la foulée et au pas de charge. « Je déclare la première séance de l’année ouverte. Je vous présente mes meilleurs vœux », lance d’une voix posée le fils de Jacques Bompard, qui a succédé à ce dernier le 30 novembre. Si Marie-Claude, la maman, a perdu Bollène en 2020, l’ex frontiste, maire d’extrême droite d’Orange depuis 1995 sous la bannière de la Ligue du sud, a été définitivement condamné cet automne pour prise illégale d’intérêts à un an de prison avec sursis, 30 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité dans une affaire immobilière impliquant également sa fille et son beau-fils. S’il est absent, l’ancien maire a fait de la résistance. « En attendant la notification du jugement, il a considéré qu’il était toujours élu. Il a donc pu installer son fils avec son beau-fils, condamné dans la même histoire, et qui est directeur général adjoint à la ville », raconte en aparté Patrick Savignan, élu opposition de gauche.

09:05

Au moment du bouclage du Ravi, Jacques Bompard figurait d’ailleurs toujours sur la liste des élus sur le site Internet de la ville ! Qui affichait aussi un ordre du jour du Conseil municipal daté du 31 janvier 2021 ! Pour un site qui se pique de « Réinformation », ça ne fait pas très sérieux…

09:07

« C’est la première fois que l’on reçoit les dossiers quinze jours à l’avance », apprécie Patrick Savignan. Yann Bompard le douche immédiatement : « Il y a une grosse DSP (délégation de service public, Ndlr) à l’ordre du jour, on était tenu par des délais légaux. »

09:11

Délibération 1, « installation de monsieur Cédric Archier ». Jacques Bompard étant définitivement bouté hors de son hôtel de ville, il faut bien le remplacer. A noter que la première décision du nouveau maire a été de donner son parrainage à Eric Zemmour. Sans surprise : la famille fait partie des premiers soutiens à la candidature à l’élection présidentielle du polémiste d’extrême-droite.

09:14

Inquiétude sur les banc de la République en marche à propos d’une marché public. « La société est en redressement judiciaire, est-ce qu’on a des garanties sur sa liberté d’embaucher ? C’est très encadré dans ce type de procédure… », interrogent Christian Gastou et sa barbe de trois jours poivre et sel. Réponse du maire, coude sur la table et main qui supporte sa tête : « L’entreprise est très réactive en cas de carence et c’est ce qui nous intéresse. » Avant de se relever : « On n’est pas connu à Orange pour être mauvais sur la sécurité… »

09:18

Le vote électronique qui suit est un peu chaotique : le logiciel a du mal à être lancé, des votes ne sont pas pris en compte… Un cadre de la ville vole au secours des moins doués.

 

09:20

Respectivement, cheffes de file des Marcheurs et de la gauche, Carole Normani et Fabienne Haloui, demandent la parole d’un même geste à propos du nouveau marché de fourniture et livraison de repas et goûter pour les écoles et accueils de loisirs, attribué à une société d’Ysère. Pull blanc et carré court, la première gagne le toss et attaque en premier : « Ça me surprend qu’il n’y ait aucune entreprise locale pour répondre. » Yann Bompard, aussi subtil que son père : « Je ne peux pas mettre un flingue sur leur tempe. »

09:22

Mèche blonde et tunique noire, Fabienne Haloui défend, elle, la régie directe et la mise en place d’une cuisine centrale avant de prendre à témoin Marcelle Arsac, adjointe aux ressources humaines, en la tutoyant. Le maire se plaint de son manque de « politesse » alors que sa colistière et sa choucroute sortent les crocs : « Madame Halaoui (sic), je n’ai jamais appartenu au PCF et je suis fière de le combattre ! » Réponse calme de la communiste : «  Même si je sais que ça vous ferait plaisir, mon nom n’est pas connoté. » Dans la grande salle de l’espace Daudet, l’ambiance se réchauffe.

09:27

Yann Bompard annonce « le gros morceau de la matinée » : le « choix du délégataire – Concession pour la gestion du Théâtre antique, de l’Arc de Triomphe et du Musée municipal de la ville d’Orange à compter du 1er avril 2022 » (délibération 4). Pas sûr que ça ait fait rire le sortant…

09:29

Penché sur sa délibération dans un col roulé bleu, Jonathan Argenson, adjoint à la logistique, annonce le nom de l’heureux élu, Edéis, un gestionnaire d’infrastructure pour les collectivités. Carole Normani demande immédiatement la parole et tape sur tout : sur la durée de la délégation (10 ans), le délégataire (plus habitué à la gestion des aéroports) et encore sur l’absence de l’annexe présentant le projet culturel de l’heureux gagnant. « On peut se poser la question sur votre volonté à ce que l’on y ait accès », persifle l’ingénieure agronome.

09:32

Dans la foulée, Patrick Savignan… approuve au contraire le choix. « J’ai participé à la commission et aux réunions et il y a eu unanimité pour ce projet novateur, qui inclut les Orangeois et implique les scolaires… », explique l’opposant. Sa colistière approuve, avec un bémol : « Qu’il n’y ait pas eu de présentation en conseil municipal. Il y a un écran, vous nous avez fourni des tablettes, on vote électroniquement… Ça aurait été judicieux pour ce projet qui nous engage pour 10 ans. »

09:35

« In cauda venenum », commente  Yann Bompard version Triple-patte, un des pirates de la BD Astérix. Fabienne Haloui : « J’ai appris le latin à l’école, pas à l’église ! » Le maire, pédant : « Les Romains, dont l’empire a duré mille ans, aussi parlaient latin. C’est une locution qui veut dire que ça commençait bien mais que ça finit mal. »

09:39

Carole Normani remet une pièce. Explication du vote contre de son groupe : « Il y a un risque pour la ville car la délégation est de dix ans et parce que le prestataire n’a pas d’expérience dans le domaine. »

09:40

Yann Bompard prend la parole : « Est-ce qu’il y a d’autres demandes de précision ? » Comme personne ne réagit, le conseiller général poursuit. Et, après avoir expliqué son choix et juré qu’il « n’y aura pas de rap » dans la future programmation, de cingler : « Le dossier était consultable dans les services, je vous croyais consciencieux ! » Réponse de la cheffe de file LREM : « En septembre on a fait cette démarche et on nous a mis à la porte ! »

09:44

Le combat Macron-Zemmour s’exporte en Provence et l’ambiance gagne quelques degrés. Christian Gastou vole au secours de Carole Normani : « On nous a dit  qu’on n’avait pas le temps de nous donner un rdv ! » Moment de flottement qui profite à Bernard Vaton, un autre « marcheur »: « Les Zemmouriens, il faut s’attendre à ce que les prix d’entrée augmentent ? » Yann Bompard, la colère froide : « Le pouvoir macronien a augmenté le coût de la vie dans tous les domaines, donc va y être obligé. »

09:54

Le maire met fin à la « partie de ping pong. » Et au conseil municipal : « Le dossier est adopté, c’est la fin de la séance. » Commentaire de Patrick Savignan : « Le maire est moins agressif et moins violent que son père, mais je pense qu’il est plus idéologue. » A côté, des confrères, installés dans le public, se lancent dans une interview à bâtons rompus avec un type en costard noir. Marcheur ? Génération Z ? Impossible de trancher.

De bas en haut, dessinés par Trax, Yann Bompard, le maire d’extrême droite (Ligue du Sud) d’Orange ; Carole Normani, conseillère d’opposition LREM ; Fabienne Haloui, conseillère d’opposition PCF.

Fiche technique

Ville d’Orange

28 803 d’habitants (2022)

23 % de pauvreté (2019)

17,1 % de chômeurs (2018)

17,3 % de logements sociaux (2018)

51,85 % pour Marine Le Pen au second tour de la présidentielle

(Données : Insee)

Le maire :

Yann Bompard, depuis le 30 novembre 2021 et la condamnation définitive de son père Jacques pour prise illégale d’intérêts. Président de la communauté de communes des Pays réunis d’Orange. Conseiller départemental depuis 2015. Fils de. 36 ans.

La majorité

28 élus de la liste « Jacques Bompard 2020 » (Ligue du Sud, extrême-droite)

L’opposition

4 élus de la liste « Le printemps pour Orange » (LREM), 2 élus de la liste « Orange solidaire et écologiste » (DVG) et 1 élue de la liste « Orange Avenir » (RN).

Le conseil soumis au test du Ravi

Durée : 53 mn.

Présents : 20 élus de la majorité, 6 de l’opposition.

Temps de parole cumulé de l’opposition : 9 minutes.

Le public : 17 personnes, dont 5 journalistes.