« Vous n’avez pas la parole ! »
16:00
Début de la retransmission du conseil municipal sur la page d’accueil du site Internet de la ville de Fréjus. Pour cause de Covid et en grand démocrate, David Rachline, le maire d’extrême droite (RN) depuis 2014, réunit le conseil à huis clos ce 23 février. L’écran s’ouvre en plan fixe sur des gens en train de s’installer ou de papoter. Le décor : en fond d’écran, derrière les membres du cabinet, une Marianne et deux drapeaux tricolores ; au premier plan, cinq bureaux disposés en U, certains divisés par des plexiglas.
16:02
Costard-cravate sombre, barbe de trois jours, le visage rond et le crâne dégarni et rasé, le maire fait son entrée. L’ancienne étoile montante de la galaxie mariniste s’installe seul au bureau central, face caméra.
16:10
Hors champ, une voix chaude lance les hostilités avec la première délibération, le rapport 2020 sur le développement durable. David Rachline ne présente pas son interlocuteur. Pour mieux couper l’herbe sous le pied des islamo-gauchistes de Var Matin dont il recense les articles jugés « outrageants » sur son action (lire page 10) ?
16:13
Comme un vin nouveau mal barriqué, la séance tourne déjà vinaigre. La voix off cherche à répondre à l’ancien sénateur, le frontiste coupe, d’une voix curieusement peu sonorisée et qui rappelle celle de Nicolas Sarkozy : « Vous n’avez pas la parole ! C’est le président de séance qui fait la police de l’assemblée et vous l’aurez quand je vous la donnerai. »
16:26
Passe d’armes sur le projet de déménagement des services techniques entre David Rachline et Richard Sert, son ancien premier adjoint, qui s’est présenté en mars 2020 pour dénoncer le fonctionnement clanique du maire. L’opposant reproche un projet flou sur son financement, le RN coupe : « On le finance avec des recettes complémentaires, pas sur des recettes aléatoire comme vous le proposiez à l’époque. » Richard Sert, lui aussi hors-champ : « Le dossier avait été monté par l’avocat de la ville. » Rachline, fielleux : « Le sujet intéresse peu les Fréjussiens, qui ont tranché en mars. »
16:31
Nouvel échange d’amabilités entre les deux anciens colistiers à l’occasion du vote des taxes 2020. David Rachline finit par couper le micro de son opposant, que l’on entend protester de loin : « Ne râlez pas, vous faisiez pareil quand vous étiez à ma droite ! »
16:45
Le débat s’engage sur le budget primitif 2021. La caméra reste en plan fixe, sur le maire. Installés à la première table de la jambe gauche du U, Brigitte Lancine (logement) se recoiffe alors que Gérard Charlier de Vrainville (« attractivité du territoire« ) est perdu dans ses pensées.
16:54
Toujours hors champ, Robert Icard prend la parole pour le groupe d’Emmanuel Bonnemain (Divers centre), arrivé deuxième en mars. L’ancien directeur des finances et des services d’Elie Brun, le prédécesseur LR de David Rachline, s’attarde en particulier sur la « capacité d’autofinancement nette négative » de la ville et « des cessions de patrimoine non soutenables », deux éléments pointés par la chambre régionale des comptes dans son rapport de gestion depuis 2013 rendu public en janvier. Un rapport moins sévère qu’attendu, mais qui pointe quand même la fragilité financière de la commune et s’interroge sur le calcul de la valeur du patrimoine communal par la majorité, qu’elle cède à tour de bras pour rembourser ses emprunts. Les magistrats financiers pointent également certains emplois du cabinet. Conclusion vengeresse du maire : « Merci beaucoup pour vos conseils M. Icard, j’espère que vous avez eu autant de talent pour le précédent maire. » L’intéressé tente une réponse, coupée par le frontiste : « Vous n’avez pas la parole ! »
17:04
Après un nouvel échange d’amabilités entre le maire et son ancien premier adjoint sur « la gouvernance partagée » à la Cavem entre le président LR et son premier vice-président RN (le Ravi n°187), David Rachline passe la parole à « Mme Fernandes », liste d’union centriste. Toujours hors champ, la référente locale de LREM attaque sur « les propos racistes tenus par un adjoint sur les réseaux sociaux à propos d’une pub montrant un couple mixte ». Réponse outrée du frontiste : « Je n’ai pas vu ces publications, mais ce sont des réflexions qui me sont totalement étrangères et que j’ai toujours combattues. » Comme, c’est bien connu, le RN et la famille Le Pen…
17:18
« Allez, allez, accélérez ! » « Je vais vous demander de conclure. » L’intervention sur le budget de quatre minutes chrono d’Angélique Fernandes agace de plus en plus David Rachline.
17:19
Une armoire à glace en polo bordeaux traverse l’écran.
17:20
En réponse à son opposante, le maire mord violemment : « Vous devriez vous lancer dans la broderie car vous savez broder. Quelles sont vos propositions de désendettement ? L’opposition parle, mais il faudrait qu’elle travaille. » D’abord interdite, l’avocate lance quelques pistes timides sur les effectifs – qui continuent de progresser malgré les transferts à l’intercommunalité – ou les frais de représentation du maire qui flambent. Réponse de l’ancien sénateur, furieux : « C’est la brasse coulée, vous n’y connaissez rien ! Vous êtes le zéro de la politique et c’est pour ça que vos scores sont proches de zéro depuis que vous vous êtes lancée en politique. » Lui a bénéficié d’une abstention record de 62 % en mars dernier (sept points au-dessus de la moyenne nationale), et d’une opposition éparpillée, pour se faire réélire au premier tour.
17:26
La voix off du début de séance demande la parole, David Rachline balaie : « Votre groupe s’est déjà exprimé, j’en ai assez entendu ! » Et d’encourager Gérard Longo, son adjoint aux finances : « Vas-y, vas-y ! »
17:28
Finalement, la voix off obtient le droit d’intervenir sur le budget primitif à la délibération suivante. L’occasion de découvrir le candidat caché : Emmanuel Bonnemain hymself ! David Rachline décide de sortir.
17:35
Les regards de la douzaine d’élus et d’agents visibles sur l’écran fixent le hors-champ : Patrick Perona, adjoint aux sports, se lance dans la lecture de… la mauvaise délibération. L’élu s’excuse : « J’étais un peu parti. » Le maire, lui, revient.
17:39
Hors-champ, le chef de file de « Notre parti c’est Fréjus » s’inquiète du contrôle des associations : « Certains résultats interrogent, comme le déficit de 53 000 euros de l’association d’accueil des Fréjussiens. » Le frontiste, sûr de lui : « C’est certainement dû à la crise. Mais la CRC trouve notre travail formidable. » Si cette dernière approuve les mesures mises en place, elle note aussi au passage que la baisse des subventions s’est faite sur le social. Emmanuel Bonnemain, lui, insiste : « Je parle de l’exercice 2019, pas de 2020. »
17:46
Délibération 12, « exploitation des plages ». Personne n’a rien à redire sur l’attribution des lots. Le sujet a pourtant eu raison d’Elie Brun, condamné sur les conditions d’attribution d’une concession à l’ex de sa femme !
17:58
Les masques tombent. A l’image, il n’en reste plus que deux accrochés sur la douzaine de visages. Un téléobjectif fait une rapide apparition à l’écran, en haut à droite. David Rachline se caresse le crâne.
18:00
La voix de Richard Sert vient de reprocher à Jean-Louis Barbier, adjoint au domaine public maritime, de ne pas être venu en palmes et maque présenter la signature par la ville de la Charte de protection du sanctuaire de Pelagos, comme il l’avait promis en commission. Quelques rires fusent hors-champ.
18:02
Ultime échange d’amabilités entre le maire et son ancien premier adjoint, qui vient de défendre Robert Icard. « Vous auriez dû vous faire élire avec ces gens-là, vous êtes un drôle de zigoto », raille David Rachline. Richard Sert, jamais vaincu : « Je vous renvoie le compliment. »
18:09
« Dernière délibération, les délégations au maire. La séance est levée », conclut le frontiste. De fait, l’image est coupée presque immédiatement.
De haut en bas, illustré par Trax : David Rachline, le maire d’extrême-droite (LR) ; Richart Sert, conseiller municipal d’opposition (extrême-droite) ; Angélique Fernandes, conseillère municipale d’opposition( LREM).